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Nos braques

Deux de nos braques, le braque français et le braque d'Auvergne, semblent, être les seuls à présenter des effectifs assez importants pour pouvoir compter sur l'avenir. Leur qualité et la facilité de leur dressage sont faits pour attirer sur eux l'attention d'une clientèle étrangère, telle qu'en bénéficie le braque allemand moderne.

Dans son modèle ancien, ce dernier rappelait le type du braque français lourd. Il n'a connu la diffusion mondiale qu'en s'allégeant et en gagnant des allures plus vives. Cette transformation a été obtenue, pour une large part, en recourant au sang pointer. Il n'en a été fait aucun mystère. À défaut d'aveu, l'apparition sporadique de têtes pointéroïdes est révélatrice, de ce croisement.

Les phénomènes de réversion sont la rançon de tout croisement modificateur de l'extérieur. Il n'y a pas à s'en trop formaliser, les races les plus célèbres d'animaux d'utilité ayant été obtenues par out cross et in breeding. Du nombre, le pointer lui-même.

Mais il est de fait que notre amateurisme éprouve pour l'alliance braque X pointer un insurmontable dégoût. D'autre part, la formule somatique que nous préférons, conformément à une tradition peu ancienne, n'est plus celle en faveur en de nombreux pays. Le chien d'arrêt chargé dans l'avant-main, avec fanon et oreilles roulées, participant à la physionomie du chien pisteur, n'est plus apprécié. Pour alléger notre cheptel, demeure la sélection, procédé tout de patience, mais sûr.

Cela a été compris en quelques régions, malheureusement peu étendues, où des sportsmen trop discrets manifestent peu de goût pour la publicité. Je conserve le souvenir d'un lot composé de deux douzaines de braques de taille moyenne et d'allure sportive, vus dans une exposition de l'Ariège, d'un type nettement français ; en un mot, de la formule susceptible de figurer sur le marché étranger au même titre que le braque allemand. De l'avis des sportsmen de la région, ces chiens chassant en terrains durs et escarpés se révèlent remplis d'initiative et très résistants. Sous leur livrée marron tiquetée, ils rappellent exactement le braque français de modèle léger et en ont les caractères.

Cette modification de l'extérieur a été obtenue sans croisement anglais et sans en compromettre la psychologie propre. Cette réalisation peut être obtenue partout. Ce disant, je pense au bleu d'Auvergne, dans l'ensemble, autre qu'il a été, au temps où le dessinait Malher, par exemple. Je l'ai connu, en ces temps déjà lointains, plus léger de corsage, pas chargé dans l'avant-main, l'oreille moins importante. Qu'il fût alors généralement bleu, cela n'a aucune importance. C'est la forme qui importe.

Devant sa silhouette distinguée, certains ne manquaient pas d'en attribuer la paternité au sang pointer. Mais alors nul ne connaissait un moyen d'en découvrir la présence. Maintenant, grâce au cynologue éminent qu'est le professeur Solaro, nous savons que le chien insulaire présente un profil montrant une convergence en avant des lignes cranio-faciales (c'est-à-dire profil concaviligne), alors que les chiens d'arrêt continentaux montrent une divergence en avant des mêmes lignes, donc un profil plus ou moins busqué. Par là ils se rattachent au chien pisteur, et c'est sans doute à cette conformation qu'ils sont redevables de mieux utiliser les émanations basses que les purs buveurs d'air. Peut-être l'éleveur, en écartant le croisement, a-t-il agi par crainte de compromettre les vertus de retriever si justement requises par le chasseur français ?

Peut-être est-ce à ce sentiment que l'on doit un croisement fait avec un pisteur de modèle lourd, d'où une création éphémère exagérant la physionomie dite « bien braque ». Or la vue de l'objet a contribué à perturber les idées quant à la physionomie que doit présenter le braque, physionomie demeurant encore appréciée par d'aimables personnes, respectueuses de la routine plus que d'une tradition.

Aux temps anciens, mettons dans les deux siècles qui précédèrent le XIXe, braques et épagneuls étaient de modèle léger et de taille moyenne. L'examen de l'oeuvre des peintres officiels Desportes et Oudry l'enseigne de manière évidente. L'épagneul géant et le braque chargé de poids mort sont nés plus tard sous 1'influence d'inspirations à la naissance desquelles l'abondance du gibier ne doit pas être étrangère.

Étant donné désormais sa rareté, l'opinion incline nettement en faveur du chien actif : c'est une des principales causes du succès de l'épagneul breton. Le temps du chien lourd est révolu, et il faut se pénétrer de cette idée lorsqu'on se soucie de l'avenir de nos braques. Le chien n'excédant pas 0m,60, comme l'ont bien compris les griffonniers, ayant des allures et chassant autrement que sous le fusil, est et demeurera à l'ordre du jour. Il faut orienter l'élevage en conséquence.

J'ai tenté d'intéresser quelques étrangers à notre cheptel braque, pour les trouver désorientés par la vue du modèle trop étoffé, révélateur d'allures réduites, suivant leurs idées. Notez qu'ils ne connaissent guère, en fait de braques, que le braque allemand moderne, très répandu aux États-Unis en particulier. Ils sont mal préparés pour s'intéresser à un chien trop volumineux et dénué de l'élégance de celui qui leur est familier.

Il ne saurait être question de tomber dans la gracilité, mais, pour plaire à notre époque, un chien d'arrêt ne doit plus donner l’impression de la lourdeur. Il n'est pas question, d'astre part, de réaliser celui dont les allures rivaliseraient avec celle des anglais, mais d'un train soutenu permettant d'explorer du terrain autrement qu'à une petite portée de fusil.

En conséquence, puisque l'étude des têtes permet de déceler le croisement dont nous ne voulons pas, il serait sage, lorsque deux concurrents ont l'un et l'autre le chef orthodoxe, de ne pas préférer systématiquement le plus chargé de tissus de fermeté incertaine. Certains ne manqueront pas d'affirmer que l'élégance de la silhouette, à elle seule, fait présumer de la présence du sang anglais. Présomption, mais non certitude. Il n'y a donc pas à en tenir compte. Du moment que le sujet en cause a la tête de sa race, il n'y a pas à lui chercher chicane. Si, par ailleurs, il se trouve établi dans la formule recherchée par le grand nombre des utilisateurs, c'est lui qu'il faut préférer.

Il y a plus d'indication de tenir compte de nos besoins que de principes ayant eu leur valeur un temps fut. C'est pourquoi j'ose prendre nettement position contre telle attitude conservatrice au risque de déplaire. Mais, il faut s'en convaincre, la clientèle de nos deux braques valables ne s'étendra que dans la mesure où on osera en dégager la silhouette, à l'instar des gens de l'Est. Certes nous en avons déjà de ces chiens, mais ils ne sont pas assez appréciés de nombre de ceux qui, tout en souhaitant long avenir aux objets de leurs amours, ne veulent pas céder aux exigences de l'évolution.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°656 Octobre 1951 Page 593