En octobre 1950, nous avons parlé dans ces colonnes de la
pêche de la perche à la « petite bête » (larve du grand éphémère),
esche merveilleuse qui donne presque en tout temps d'excellents résultats. Mais
les prises qu'on en obtient ne sont pas, en général, de bien forte taille ;
150 à 300 grammes est leurs poids le plus habituel. Quand on vise spécialement
la grosse perche — nos confrères entendent par là celle de 1 à 2 kilogrammes, —
il paraît préférable de recourir à des appâts plus volumineux, tels que devons,
cuillères, gros vers ou petits poissons. C'est de la pêche à l'aide de ces
derniers que nous entretiendrons aujourd'hui nos lecteurs.
Les grosses perches sont relativement rares et leurs mœurs
diffèrent sensiblement de celles de moindre taille. En général, les jeunes
perches mènent une vie grégaire. Le plus souvent, ce sont celles provenant d'un
même frai que nous rencontrons en groupes plus ou moins nombreux échelonnés en
divers points du cours d'eau. Ces groupes s'établissent le long des berges
creuses, sous les racines immergées des arbres et des buissons qui surplombent
la rive, dans les interstices des éboulis, des perrés ou des enrochements. Le
plus souvent, ces points de station sont bordés par des eaux relativement calmes,
de profondeur moyenne. Ces jeunes poissons ne s'éloignent guère de leurs
repaires ; ils se nourrissent de minimes fretins et plus encore de petites
larves, de petits mollusques, vers ou crustacés aquatiques communs partout dans
nos rivières.
Il en est autrement de la grosse perche. Celle-ci vit
généralement isolée, quelquefois par couples. Elle s'établit, si possible, à
proximité d'endroits poissonneux, sous les crônes profonds encombrés
d'obstacles de toute nature. Peu lui importe qu'un courant assez rapide en
constitue la limite ; on dirait même qu'elle recherche de préférence ces
sortes d'endroits, et les coudes des rivières, du côté où vient frapper le
courant, paraissent être fort de son goût.
Vigoureuse, agressive, consciente de sa force, elle éloigne
de son repaire, comme le fait la truite, tout concurrent plus faible.
Seul le brochet paraît pouvoir l'intimider, et encore
faut-il qu'il soit d'une taille nettement supérieure à la sienne.
D'habitude, la grosse perche chasse trois fois par jour :
le matin, vers midi et le soir. Hormis ces heures, il faut, pour qu'elle se
dérange de son repos, qu'une proie bien tentante passe tout à proximité de sa
retraite, et encore n'en sort-elle pas toujours quand elle est repue. Les
ablettes, surtout, excitent sa convoitise, et on la voit foncer sur leurs
bandes apeurées pour se saisir des éclopées ou des retardataires.
Cette attaque est décelée par l'apparition subite, en dehors
de l'eau, de nombreux petits corps argentés, qui fuient en éventail pour
retomber bientôt en pluie dans le liquide.
Le pêcheur qui tient à repérer le gîte habituel de la
vorace, en vue de sa capture ultérieure, n'a pas de meilleure indication que
ces chasses. Quand il les voit se produire fréquemment à peu près au même endroit,
il peut en conclure que le repaire du monstre n'est guère éloigné.
Quant à la vue d'une grosse perche poursuivant en plein
courant une proie unique, fait plus rare, cela ne peut donner qu'un
renseignement très approximatif et parfois erroné. En effet, ce redoutable
percidé n’hésite pas à s'éloigner à plusieurs centaines de mètres de son gîte,
si la faim le tenaille.
Supposons maintenant le refuge repéré et connu ; que va
faire le pêcheur ? Nous avons vu que ce poisson carnassier recherche
surtout les vifs de petite taille. Les meilleurs à lui offrir seraient, à mon
avis : le vairon de 7 à 8 centimètres de long, le goujon de 8 à 10, ou la
petite bouvière, si on peut se la procurer. Si l'ablette vivait plus longtemps
captive à l’hameçon, il faudrait sans doute la préférer, car elle se voit de
loin et s'agite beaucoup. Quant aux autres poissons blancs la taille minimum
exigée par la loi en prohibe l'emploi, quand il s'agit de rechercher la seule
perche.
Comment allons-nous maintenant lui présenter nos appâts
vivants pour qu'ils soient attaqués dans le plus bref délai possible ?
C'est la disposition des lieux, au voisinage du repaire, qui guidera notre
choix. Si l’eau y est calme ou tout au moins peu courante, nous pourrons y
pêcher au vif avec flotteur, de la façon ordinaire, bien connue de tous nos
confrères. Sinon, c'est le pater-noster qui va nous fournir la solution
idéale. Voici, d'habitude, comment on le construit dans le cas que nous visons :
corps de ligne en soie tressée de grosseur moyenne, bas de ligne de 3 mètres en
très fort nylon (50/100), terminé intérieurement par un plomb piriforme ou
pyramidal assez lourd (40 à 80 grammes) suivant la force du courant. Ce bas de
ligne est divisé en deux parties égales de 1m,50 chacune réunies par un
émerillon triple ou mieux, un « clippot » en fil métallique rigide,
comme ceux utilisés pour la pêche en mer (voir figure ci-dessus).
Ce dispositif, ingénieux et solide, permet au vif d'évoluer
en tournant, sans jamais pouvoir s'accrocher au fil central. On le fixe au bout
de la courte avancée à un grappin numéro 8 ou 9 par les deux lèvres. Avec
toutes précautions utiles, nous allons maintenant descendre notre plombée le
plus près possible du gîte de la perche. Nous tendrons alors notre ligne
verticalement et, gardant la canne en main, nous attendrons les événements avec
patience.
Les évolutions du petit poisson captif ne tardent pas à
attirer l'attention de la vorace ; elle sort de son antre en trombe et le
saisit d'une tirée brusque et violente que la main du pêcheur ressent fort
bien. Il donnera aussitôt du lâche à la bannière pour permettre à l'assaillante
de mieux avaler. Après huit ou dix secondes d'attente, il ferre nettement, en
direction verticale, de bas en haut. Si l'appât a été bien avalé, la perche
sera accrochée par le fond de la gorge et n'offrira pas, en général, une bien
forte résistance. Il est bon, toutefois, de se munir d'une bonne épuisette,
pour essayer de brusquer les choses.
Évidemment, ce n'est pas à tout coup qu'on réussit ; la
perche peut être absente ; elle peut aussi n'être retenue que par la
lèvre, et chacun en connaît la fragilité ; mais que deviendrait l'émotion
recherchée par le pêcheur sans cette poignante incertitude qui suit la touche,
et quelle sera sa joie quand il aura pu jeter sur le pré ce morceau de choix, que
d'aucuns prisent à l'égal de l'ombre et de la truite ! …
R. PORTIER.
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