Qui de nous ne s'est cru atteint de diplopie en voyant, à la
belle saison, un couple d'insectes évoluer lourdement, en un groupe étroitement
uni ?
C'était un ichneumon, un pompile, pirates féroces, mais
utiles, emportant une chenille paralysée d'un coup de dard ; c'était une
mante religieuse enserrant, entre ses puissantes pattes antérieures, la
sauterelle décapitée ; c'était peut-être, aussi, un couple d'insectes de
même famille unis pour la reproduction : diptères soudés dans un vol éperdu
ou tandem d'agrions bleus voletant sur un banc de roseaux.
Le plus souvent, leur vol était déséquilibré, sans
assurance, étant donné la charge à emporter ou le manque de synchronisme dans
les battements d'ailes.
La moindre saute de vent plaquait le couple au sol, plus ou
moins brutalement, et, si la chute se produisait sur l'eau, les poissons
entomophages avaient vite terminé la carrière des voyageurs ailés : même
la mante et l'agrion, pourtant volumineux, étaient happés bruyamment.
Le pêcheur à la mouche, qui sait observer et conclure, en a
déduit que, deux artificielles accolées flotteraient peut-être mieux qu'une
seule et seraient plus attirantes !
A-t-il raison ? Je crois que oui, dans certains cas :
les jours de grand vent, au lac ou sur les grandes étendues d'eau calme, quand
l'eau « frise », de même que sur les rivières tourmentées.
En tout cas, les pêcheurs utilisant les coléoptères comme
modèles et même ceux employant des artificielles plus déliées ont intérêt à
savoir monter un tel couple.
Nous prendrons comme standard deux grosses mouches « passe-partout »,
utilisables en toutes saisons, dans les conditions précitées.
Avec certaines modifications que nous verrons plus loin,
nous pourrons utiliser ce tandem en mouche sèche ou noyée.
Voyons d'abord à le construire pour la première de ces deux
méthodes, avec l'emploi du liège ; ce sera d'ailleurs un critérium, et il
n'y aura rien de mieux.
Nécessairement, les corps seront volumineux, relativement
certes, mais sans lourdeur excessive.
Prenons un hameçon à œillet, n° 14, et ligaturons
solidement sur la hampe, avec de la fine soie poissée, un bout de nylon (20 à
22 p. 100), en prenant sous cette ligature une pointe de plume longue et fine,
de coq de préférence, ébarbée d'un côté (fig. 1).
Formons une collerette en enroulant la plume et arrêtons-la
avec la soie par une demi-clé. Posons sur la hampe un morceau de liège fendu,
en forme du corps d'un coléoptère ; coulons dans la fente une goutte de vernis,
si nous ne l'avons pas enduite préalablement de seccotine ; puis, avec la
soie libre, faisons des spires serrées et régulièrement espacées sur le corps
en liège ; arrêtons par une ou plusieurs demi-clés et laissons pendre la
soie. Nous avons la 1re mouche (fig. 2).
Prenons un deuxième hameçon, passons le nylon dans l'œillet
et accolons celui-ci contre la 1re mouche.
Plaçant les courbures des deux hameçons dans le même plan,
nous construisons la deuxième mouche exactement comme la première.
Arrêtons la soie par plusieurs demi-clés, mettons une goutte
de vernis et laissons sécher. La mouche double est terminée (fig. 3). Nous
voilà en possession d'un insubmersible absolu. Même si nous le voulions, il ne
sombrerait pas, et je lui dois une très belle pêche.
Au cours d'une expédition, je me trouvai soudain devant un tel
chaos et de tels bouillonnements parmi les rocs qu'il m'était impossible de
voir quoi que ce soit.
Mes mouches, noyées, étaient happées, roulées, et mon bas de
ligne soumis à de continuelles tractions incontrôlables.
Seules, peut-être, des mouches lourdement plombées auraient
pu résister à un tel bouleversement ; j'en étais dépourvu.
Par quelle hérésie eus-je l'idée d'employer un tandem de
liège, je n'en sais rien, mais j'avais vu une belle truite se montrer en pleine
écume et je n'avais que ça comme grosse mouche.
Le résultat dépassa mon espérance et, comme seules les
grosses bêtes pouvaient se maintenir dans de pareils bouillons, je fis une
belle récolte.
Mon compagnon de pêche, avec une petite cuiller non plombée,
en prit cinq au lancer léger, simplement en maintenant son leurre dans les
remous.
On n'a pas toujours besoin de tels bouchons, et la mouche
double peut être plus finement montée : au lieu du liège, on peut employer
la plume de paon (mouche coch y bondhu), la soie multicolore (éphémères)
et le raphia.
Le procédé de montage est le même que pour les mouches
ordinaires, procédé que j'ai déjà décrit à plusieurs reprises.
La mouche double est surtout utilisée en mouche sèche ou
flottante, mais peut aussi être employée en noyée, dans la pêche au lancer
léger par exemple.
Un montage différent est alors nécessaire.
Au lieu du nylon, nous emploierons un fil d'acier galvanisé.
Nous l'introduirons dans l'œillet de la première mouche et
le laisserons dépasser de 2 centimètres environ ; ensuite, nous l'introduirons
dans une perle de cuivre qui buttera sur l'œillet, puis dans une petite hélice
en fer-blanc, en aluminium, en cuivre mince, au choix, puis dans une autre
petite perle.
Nous bouclerons le fil d'acier. Puis nous construirons la
première mouche comme indiqué précédemment, après avoir entortillé le fil
métallique autour de la hampe de l'hameçon. Nous couperons la soie et nous
passerons le fil d'acier dans une petite perle, puis dans une hélice, puis dans
une autre perle, comme nous l'avons fait en tête. Nous monterons ensuite la
deuxième mouche de la même façon que la première.
Et nous aurons une double mouche à hélice (fig. 4), qui
aurait fort bien réussi dans le chaos dont je parlais tout à l'heure.
Elle peut être lancée avec la canne à mouche, en cadence
ralentie, puis ramenée dans les courants, par saccades, sans jamais la laisser
immobile.
Elle déclenche souvent l'attaque d'un poisson réfractaire à
la mouche simple. En tout cas, tout pêcheur à la mouche doit en avoir un modèle
dans sa boîte.
Au lancer léger, avec un plomb à 20 centimètres en avant, la
mouche double à hélice est un leurre excellent pour tous les poissons chasseurs ;
le black-bass paraît y être particulièrement sensible.
J'ajoute que, si deux hélices ne paraissent pas nécessaires,
on peut très bien n'en mettre qu'une seule, n'importe laquelle. Dans toutes les
rivières à courant vif, la mouche double à hélice peut et doit réussir. Du haut
d'un pont, légèrement plombée, elle peut être promenée sur toute la largeur de
là rivière, plus ou moins loin ; je puis assurer qu'elle sera très
efficace.
Et, pour terminer, un dernier tuyau : si votre cours
d'eau a beaucoup de perches et de « black », au lieu d'employer
l'hameçon simple, utilisez deux petits triples que vous peindrez en rouge. Ne
laissez jamais votre petit leurre immobile, vous aurez du bon sport en
perspective.
Marcel LAPOURRÉ.
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