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La pêche à la garolle

C'est cette pêche au filet que l'on pratique sur les côtes sableuses du Sud-Ouest, en traînant la nuit une petite senne sur les bancs de sable par faible profondeur d'eau.

C'est à la fois une pêche fructueuse et amusante, mais qui, pour être bien pratiquée, exige des opérateurs jeunes et robustes.

Le matériel d'abord : c'est une senne en fil de coton ou de lin à mailles allant de 20 à 36 millimètres ; la longueur de la nappe va de 17 à 25 mètres. Cette senne est reliée à deux morceaux de bois verticaux de 1 mètre environ de hauteur appelés « bourdons ». La hauteur du filet est faible aux deux extrémités, lm,50 à peine, mais atteint 3 mètres en son milieu, qui forme poche. Le filet est tenu sur toute sa longueur par une ralingue supérieure garnie de liège tous les mètres et par une ralingue inférieure garnie de plombs. Le bourdon extérieur, ou bourdon d'eau, porte une solide corde de 3-4 mètres qui sert à la traction.

L'époque de la pêche serait évidemment la belle saison, car il faut se mettre à l'eau de nuit jusqu'au ventre et ne pas craindre les vagues traîtresses qui vous atteignent les épaules. Naturellement les hommes qui se mettront à l'eau auront intérêt à porter une espèce de sac imperméable bien serré au cou, aux poignets et à la ceinture. Mais cette pêche peut être pratiquée dès la fin juin ; au mois d'août, elle est plus agréable, car l'eau est plus chaude, mais moins fructueuse ; dès septembre, les poissons plats et les mulets, ou muges, s'approchent de la côte et permettent de réaliser des captures intéressantes ; les belles nuits d'octobre sont les meilleures. Les « mordus » sauront profiter des nuits favorables des mois de novembre et de mai, mais gare aux rhumatismes ; il faut se munir de pantalons de débarquement américains, qui protègent jusque sous les bras.

Quelles sont les marées qui conviennent le mieux à la pêche ? Il faut que les bancs de sable soient bien découverts par marée basse ; on péchera donc pendant les marées de vive-eau, pendant la pleine et la nouvelle lune ; on sortira de préférence pendant les grandes marées de nouvelle lune, et les deux ou trois jours qui suivent, et, à défaut, pendant celles de pleine lune, par temps couvert, car cette pêche au filet ne permet de prendre les poissons que dans l'obscurité. Les marées de quartier ne valent rien.

Pendant les marées favorables, les bonnes heures de la pêche sont la basse marée et la première heure du montant, parfois la deuxième ; sur la côte landaise, la basse mer de lune pleine ou nouvelle a lieu vers 10 heures ; la nuit est déjà tombée, l'été, depuis une ou deux heures ; vers minuit, au plus tard à une heure, la pêche est terminée. On sait que chaque jour, du fait de la lunaison, les marées sont retardées d'environ trois quarts d'heure.

Les circonstances extérieures favorables sont un temps orageux, couvert, une mer belle mais point trop plate remuant légèrement, avec une eau un peu trouble ; le mieux est une mer qui se calme après une période de tempête, quand l'eau est encore trouble ; le poisson, que la tempête a éloigné, se rapproche alors des côtes pour trouver sa nourriture.

Il est temps de décrire la pêche proprement dite. Le filet est placé sur ses deux bois ; les trois ou quatre équipiers marchent sur la berge en cherchant le banc de sable favorable ; l'un porte le filet sur l'épaule, un autre a sur le dos le sac en toile forte muni dans le haut d'une fente par où on glissera le poisson capturé.

Le vent dominant du noroît entraîne sur la côte des Landes un courant nord-sud qui façonne les bancs de sable, comme l'indique le schéma ci-contre. On aura donc plus souvent intérêt à tirer le filet du sud vers le nord entre les point 1, 2 et 2, 3 en négligeant les trous et les extrémités des bancs (fig. 1).

Le filet est déplié et passé sur la grève. L'équipier de tête prend la ralingue d'eau la place sur l'épaule et entre résolument dans l'eau en tirant ; il est suivi par le deuxième, qui tient le bourdon d'eau bien verticalement en le faisant talonner pour que la ralingue plombée touche le fond. Arrivé à une douzaine de mètres du bord et par une profondeur d'eau de 80 centimètres environ, l'équipier de tête marche parallèlement au bord (fig. 2) ; l'homme à terre laisse prendre à son équipier une dizaine de mètres d'avance et se met à marcher le long du bord en évitant d'avoir de l'eau plus haut qu'au-dessus de la cheville.

Normalement, l'on tire pendant une cinquantaine de mètres. Parfois quelques poissons, des muges, heurtent le filet ; le choc est ressenti par l’homme à terre, qui siffle. Il faut alors tirer le filet rapidement sur le sable humide. C'est le meilleur moment de la pêche que celui où on laisse le filet à sec pour courir à la découverte du poisson et procéder à son inventaire avec une lampe électrique, ou, le plus souvent, à la seule clarté des étoiles. Le repérage des poissons est facile : muges, bars tachetés, ombrines luisent dans les mailles d'une clarté argentée, dure, froide, presque phosphorescente. Les poissons plats sont plus difficiles à voir ; aussi marche-t-on sur le fond du filet étalé pour avoir la joie de sentir sous les pieds la rondeur visqueuse et vivante du turbot ou de la sole ; parfois on entend le clapotis rageur et rapide du turbot qui se débat. On secoue le filet pour faire tomber des algues et débris de méduse, on décroche les bars mouchetés, étranglés parfois par les ouïes aux mailles du filet, et l'on repart dans l'eau.

Une pêche de 10 à 15 kilogrammes et même 20 kilogrammes en deux heures n'est pas exceptionnelle. Aux marées favorables de fin septembre, il est courant d'avoir en trois ou quatre heures de telles captures, à condition toutefois de ne pas « couler de l'eau », c'est-à-dire de ne pas passer son filet sur un banc qu'une autre équipe vient de faire dix minutes avant. En ce cas, il faudra lui passer devant sans qu'elle s'en aperçoive.

Une dernière précaution : attention aux poissons venimeux dont les piqûres occasionnent parfois des douleurs violentes. Ces poissons feront l'objet d'un de mes prochains articles.

LARTIGUE

Le Chasseur Français N°656 Octobre 1951 Page 600