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L'automne déjà

Dissertation cycliste

J'ai connu, cette année, le mirage méditerranéen, randonnant autour d'un site déterminé — l'une des rares fois où il me fut donné de ne point me contenter de passer, simplement.

Ce faisant, j'ai pu à souhait fouiller et refouiller le paysage et rouler allégé. Par contre, il m'a fallu parcourir plusieurs fois les mêmes routes, revoir des crêtes quotidiennement familières.

Alors l'éternel problème s'est posé à moi, une fois de plus : vaut-il mieux, pour un cyclotouriste, passer ou s'arrêter ?

Dans un rayon de 100 kilomètres, j'ai découvert des merveilles inconnues là où vingt fois j'avais pédalé en voyageur pressé.

À quoi bon, dès lors, courir le monde ? Oui, mais ... si le vagabondage empêche de pénétrer jusqu'au tréfonds des choses, il porte en lui une philosophie que la station ne fournit point. Être et n'aller nulle part, c'est si bon !

Est-ce à dire que, lorsque je vais errant, je ne prépare aucun itinéraire dans le détail ? Bien sûr ! Combien de fois me crut-on parti pour Besançon ou Lille, et qu'on me signala à Gap, Bayonne ou Barfleur.

Tant de souvenirs précis, que ma mémoire retrouve sans peine, hantent la plupart des routes de France. C'est donc que j'ai, malgré tout, bien et, de toute façon, parfaitement retenu.

S'arrêter, c'est un peu capituler ; c'est prendre une option sur l'avenir ; c'est faire : « Ouf ! » alors que la vie commande le mouvement ininterrompu ; c'est rentrer, le soir, au bercail, toujours le même, en lorgnant un horizon qu'on a renoncé à poursuivre pour le seul plaisir de ne jamais l'atteindre ...

Bah ! J'avais déposé chez des amis tout l'équipement qui fait de l'humain une bête de somme. Il me semblait que la liberté nue, nue pour moi (qu'est-ce qu'un short raccourci ?), nue pour mon vélo (exempt du moindre accessoire de protection ou de portage), valait les meilleures croisières.

— Décidé à détailler la terre, le ciel et l'eau, j'atteignis au « silence » idéal dans le ... « tintamarre » des cigales ; je ressentis la vision première, les yeux dirigés vers l'infini du ciel où se balançaient, seules, les têtes de pins ... Il me suffisait que mon vélo fût là, à mes cotés.

Ah ! cols de Babaou, de Cagoyen, du Canadel — j'en passe et des meilleurs — cols sauvages, peu utilisés ; routes dénudées ou parées de fleurs ; surplombs maritimes ou creux forestiers : j'ai tout parcouru, sans hâte.

J'ai visité des camps, ces joyeusetés des temps modernes, j'ai rencontré des amis tandémistes parisiens blottis dans ces paradis théoriques ; pesé et soupesé, sur les plages, ce qui reste de ceux qui ne font pas de vélo (où-ce qu'il est advenu d'eux s'ils ont cessé d'en faire non pas avec l'âge, mais avec les infortunes de la richesse) ...

J'ai pris le pastis avec une tripotée de gens qui ne l'avaient pas gagné et bâillé le soir, sur le port et aux étoiles, avec les mêmes, exempts du moindre sommeil pour n'avoir point quitté la baie.

Enfin, j'ai longuement étendu ma chair moite sur le sable devenu une sorte d'étal humain. J'étais, le « cycliste » qui arrivait chaque matin sur le coup de midi et qui, débonnairement, troquait le collant contre le slip, selon la méthode en vigueur, après avoir arrimé sa bicyclette là où stoppaient les chevaux-vapeur. J'opposais mon ventre plat et mes cuisses brunies sous l'action aux bedons distendus et aux jambonneaux allongés dans leur fragilité :

— Bonjour tout le –monde ! Ce matin, je suis allé à X ..., par le col de Z ...

— En voiture ?

— Non, à vélo.

— Tout le monde ne peut pas avoir une auto. Mais c'est dur de pédaler, me rétorquait quelqu’un.

— Ma bagnole dort pour quinze jours sous les mûriers.

— Et vous avez une voiture ! Le pédalo lui-même me fatigue … Si je nage ... enfin si je me mets à l'eau, c’est pour faire la planche.

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Les plages n'abritent pas que des fourbus. Écoles de natation, de culture physique, jeux d'enfants et d'adultes ; ping-pong, volley-ball ; il n'est que l'embarras du choix pour pratiquer le sport. La jeunesse s’y complaît. Malheureusement la paresse occupe trop d'espace sur 1e sable qui pourrait être réservé aux ébats.

La chasse (pêche sous marine) semble accaparer nombre d'énergies jouvencelles. En ce qui me concerne, et pour m'en être tenu à évoluer dans l'eau muni de lunettes spéciales, ce que j'ai vu (sous le plafond de la mer comme éclairée) m'a stupéfié. Si, d’aventure, on inventait la bicyclette sous-marine, beaucoup de cyclistes iraient au-devant de découvertes sensationnelles.

— Revenons-en à la recherche du meilleur cyclotourisme.

Ce qu'on peut craindre en stationnant, c'est de ne point échapper aussi complètement qu'on le désirerait aux contraintes de l'agglomération. Le mal atteint d'ailleurs également les camps, dits villages de toile, où les promiscuités sont gênantes et ne répondent pas toujours à l'esprit campeur. Le touriste n'y est plus aux prises avec l'imprévu ; il n'a plus à produire un talent de débrouillardise, enfin la tranquillité sauvage, ou la seule tranquillité tout court, n'y est plus de mode. On livre les croissants à domicile dans la crique qui devrait être déserte, les murs mitoyens y font florès autant que dans le vieux Nice, sans préjudice du même étalage de linge à sécher.

La Nature y est assez malmenée.

À quand la première mairie du village de toile et le premier percepteur, car on paie une dîme pour camper !

Il ne manque que cela, le commerce ayant réussi à y pénétrer au nom du confort (auquel les intéressés voulaient échapper), les numéros de tentes préludant, craignons-le, aux numéros des rues.

En matière de camping, il semble bien qu'on ait voulu créer un dirigisme qui, à l'usage, sera aussi néfaste que dans tous les domaines ou il a pénétré, alors que le principe même en est la liberté.

Ces impressions sont celles que j'ai personnellement ressenties aux cours de mes pérégrinations. Puissent, un jour, les prix hôteliers s'abaisser, afin que la tente ne soit l'apanage que de l'amant de la nature, ou du vrai jeune qui a besoin de s'apprendre à utiliser les merveilles que le créateur a distribuées de par la terre.

Fichée en montagne ou installée au bord d'un ruisseau (dans l'herbe vraie), parmi la solitude … bravo !

Formées en bataillons, peu m'en chaut ... sauf, évidemment, pour les jeunes qui partent en colonies, en groupes constitués ou individuellement, et pour qui le voyage serait impossible sans ce rassemblement précaire, mais utile à leur concept (encore un peu court) et à leur porte-monnaie, bien léger.

Quant à l'adulte, il se doit de construire son abri provisoire en un endroit où le repos sera véritable et la communion sincère dans la solitude.

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A l'heure où montent les frimas qui nous feront rallumer les poêles, recourir aux artifices afin de continuer à faire du vélo cet hiver, coller nos photos, refaire sur les cartes nos itinéraires passés et préparer ceux de l'an prochain ... à cette heure, dis-je, il est bon s'imaginer être, sous le soleil, bien seul, en un coin quelconque de Provence, près de sa tente ... meilleur, encore, de rêver aux images qu'un pédalage (facilité par un entraînement rationnel) vous a dispensées une année durant, des côtes méditerranéennes, desquelles j'ai parlé en premier, aux côtes de la Manche (et plus spécialement du Cotentin) que nous longeâmes fin juillet ...

À cette même heure enfin, laissez-moi vous confier que je prépare déjà les chaussures de marche ... avec le seul regret de mettre bas ma forme cycliste, malgré l'atténuation que me fournira le cyclo-cross.

René CHESAL.

Le Chasseur Français N°656 Octobre 1951 Page 603