Les Jeux olympiques débuteront en janvier prochain à Oslo
par les sports de la glace et de la neige. Ce prélude sera suivi, en août 1952,
par les compétitions d'athlétisme qui auront Helsinki pour cadre. La Finlande
s'apprête à recevoir des visiteurs innombrables pour lesquels elle construit
des cités de bois et de toile. Venus de tous les pays du monde, les étrangers
pourront admirer, en plein cœur de la capitale, une statue de bronze,
représentant le célèbre coureur Nurmi, héros national finlandais. Il est
rarissime que pareil hommage soit rendu à un homme bien vivant. Il risque de
faire sourire. Et pourtant c'est grâce à Nurmi, champion hors classe, que
beaucoup de gens sur la planète ont appris l'existence d'un petit pays accroché
au nord de l'immense Russie. Pour la Finlande, Nurmi a été un ambassadeur
incomparable. La reconnaissance qu'elle voue au champion n'est, du point de vue
pratique, nullement exagérée.
Mais il y a autre chose. En Suède, en Finlande, l'athlétisme
joue un rôle capital dans la vie de la nation. Les fêtes du sport pur
rassemblent des foules énormes. Elles constituent des événements qui
passionnent la nation tout entière.
En France, l'athlétisme est ignoré de la masse. Pour attirer
les spectateurs dans les tribunes d'un stade, il faut lui promettre des
attractions sensationnelles. La venue, l'été dernier, de champions américains
n'a pas réussi à secouer l'indifférence du grand public. Les championnats de
France se sont déroulés devant des enceintes aux trois quarts vides. On peut
dire que, depuis Ladoumègue et sa foulée ailée, nos compatriotes se
désintéressent du plus beau des sports. Le phénomène est regrettable, d'autant
plus que les Scandinaves n'ont pas le privilège d'élever l'athlétisme à son rang,
le premier. Les États-Unis, l'U. R. S. S. lui accordent une place
prépondérante. Après une éclipse, l'Angleterre accomplit un effort couronné de
succès pour se replacer dans le peloton de tête. Dans cette lutte toute
pacifique, nous sommes déjà distancés après avoir figuré de façon fort
honorable. A Helsinki, nous pourrons donner encore sans doute quelques
illusions grâce à une dizaine de représentants bien doués. Derrière ces
porte-drapeau, il n'y a personne ou presque ...
D'où provient cette désaffection pour l'athlétisme en France ?
En nous excusant d'employer un néologisme affreux, nous dirons qu'on lui
reproche de ne pas être « spectaculaire ». Pour faire vibrer les
foules, il lui manque trois éléments : la vitesse, la rudesse, le danger.
Il est trop simple, trop pur, trop loyal. Il n'excite pas les nerfs, n'éveille
pas des sentiments violents. Les visions qu'il offre sont brèves et, pour les
non-initiés, trop proches de la vie quotidienne. Courir, sauter, voire lancer
des poids représentent des activités banales. Les profanes sont médiocrement
sensibles à la beauté d'un geste, l'harmonie des mouvements, à des progrès qui
se mesurent par des dixièmes de seconde ou par des centimètres.
Qu'une certaine éducation soit nécessaire pour jouir des
attraits, pour nous incomparables, d'une grande réunion d'athlétisme, nous
l'admettons. Il faut apprendre quelques chiffres servant de base aux
performances sur les plans national, européen ou mondial, ce qui, d'ailleurs,
est facile. Il, faut, en outre, se mettre dans l'état d'esprit d'un homme qui
recherche moins des émotions fortes que des spectacles artistiques. Le stade,
quand ses sujets exceptionnels en occupent les pistes, pourrait être comparé à
un musée. N'en déplaise au poète, le mouvement qui déplace les lignes est splendide.
Qu'on se souvienne du film Les Dieux du stade, consacré aux derniers Jeux
olympiques organisés avant la guerre.
D'ailleurs, il serait injuste d'exagérer le caractère
technique et dépouillé de l'athlétisme. La lutte de coureurs épuisant le
meilleur de leurs forces pour gagner un quatre cents mètres, est émouvante pour
le plus profane. L'envolée d'un groupe survolant des haies a la grâce d'un
ballet. Le saut d'un homme au-dessus d'une barre suspendue à deux mètres du sol
paraît miraculeux, tant il est aérien.
Nous admirerons d'autant plus celui qui réussit un exploit
que son succès est le couronnement d'un apprentissage long, obscur, ingrat. En
particulier, les spécialistes de certains concours : lancement du poids,
du disque; du marteau, s’astreignent à des exercices fastidieux pour acquérir
une coordination parfaite, un automatisme complet de gestes. Relégués loin du
public, ils ne connaissent guère les applaudissements. Ils travaillent pour le
seul plaisir d'obtenir des résultats, de progresser. Leur désintéressement est
absolu. Qui ne les admirerait, à une époque où tout se paye ?
Beaucoup d’athlètes restent, de purs amateurs. Après une
dure journée de labeur, des ouvriers, des cultivateurs s'imposent une séance
d'entraînement solitaire. Mais la vérité force à reconnaître que les moniteurs
et les professeurs d'éducation physique, les élèves visant ces titres
constituent, en France, l'élite de nos champions. Leurs emplois, certes, ne
sont pas des sinécures, mais ils permettent une existence active et saine.
L'armée a compris, de son côté, l'importance du sport. Elle se montre très
libérale et elle laisse aux athlètes assez de loisirs pour entretenir leur
forme et pour se déplacer. Enfin, des clubs riches — ils sont rares — aident
leurs membres à se procurer des situations de tout repos. Ajoutons à ces
avantages la perspective de voyages assez bousculés et le gain aléatoire de
prix constitués par des breloques ou par des « bronzes d'art », le
plus souvent en zinc et affreux. Auprès des Cyclistes, des footballeurs, les
athlètes font figure de parents pauvres. On conçoit que leur nombre comme leur
qualité, soit en décroissance.
A l'étranger, l'école puis l'université sont les pépinières
où se cultivent les futurs champions. La formule, si ressassée, Mens sana in
corpore sano, y est appliquée littéralement. Une part égale est faite à l’esprit
et au corps. Un étudiant qui reste tout le jour le nez dans ses bouquins est
considéré comme un monstre. Les victoires remportées sur les terrains de jeu
valent autant, sinon, plus, que les réussites aux examens. Que certaines
exagérations se produisent, surtout en Amérique, nous ne le nions pas. Mais on
doit regretter que des grandes universités françaises soient démunies de tout
équipement sportif, même modeste. Pour un adolescent, pour un homme jeune,
s'ébattre en plein air est un besoin impérieux. Beaucoup d'éducateurs
paraissent encore restés à l'image, traditionnelle autant que fausse, du cancre
qui remporte le prix de gymnastique, malgré l'exemple de Raymond Boisset,
premier à l'agrégation de lettres et recordman du 400 mètres plat la même
année. En cette matière comme en d’autres, la vérité se situe en un juste
milieu, en un équilibre entre les activités du cerveau et celles du muscle.
Ceux qui demeurent les adversaires du sport sont contraints
d'admettre que les rencontres internationales ont une grande influence en ce
qui concerne le prestige des nations qui y prennent part. De ce seul point de
vue, il serait déplorable que la France ne joue pas un rôle digne d'elle aux
prochains Jeux olympiques.
En ne considérant que notre propagande, nous devons donc
encourager l’athlétisme, faire naître des vocations, révéler à eux-mêmes des
champions qui s'ignorent. Nous devons puiser dans le réservoir presque vierge
qu'est notre empire. Afrique du Nord, Afrique noire, Antilles nous ont donné
des sujets remarquables qui actuellement triomphent : Mimoun, El Mabrouk, Thiam,
Sillon, pour ne citer que les grandes vedettes. Ces Français de la plus grande
France ne sont pas des phénomènes. Endurants et souples comme eux, d'autres
attendent qu'on leur apprenne à développer et à discipliner leurs qualités
natives. L'athlétisme français peut-être l'un des premiers au monde si,
sérieusement, nous le voulons.
Jean BUZANÇAIS.
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