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Un beau voyage

Il est probable que jamais le sport français ne fut favorisé d'un déplacement aussi sensationnel que celui que vient d'effectuer notre équipe nationale de rugby à XIII.

D'ailleurs, en dehors des Jeux olympiques, qui sont largement subventionnés, seul le sport professionnel tel qu'il est aujourd'hui organisé peut permettre de semblables « croisades » aux ressortissants d'un pays dont la monnaie se traduit en francs.

Donc — juste récompense du prestige, dont est entouré désormais le rugby français professionnel qui a battu cette année les meilleures formations des Iles britanniques, — nos rugbymen à XIII, c'est-à-dire nos professionnels du ballon ovale, furent invités cette année à faire une « tournée » en Australie, qui, avec la Nouvelle-Zélande, constitue actuellement le véritable paradis du rugby, tant par la qualité du jeu que par l'importance prise dans ces pays par le ballon ovale.

Le 14 mai, un Constellation partant de Marignane chargea une véritable délégation diplomatique française comportant, outre vingt-sept joueurs triés parmi nos meilleurs, un état-major de dirigeants, de techniciens, de soigneurs, et de journalistes. Jamais dans l'histoire du sport français on n'avait connu pareille caravane.

Nos amis d'Australie avaient bien fait les choses : « Nous vous attendons à bras ouverts ... mais nous ne pouvons pas vous garantir que vous repartirez. » Telle fut leur touchante invitation.

Pour comprendre ce geste, il faut savoir, d'une part, que les Australiens ont pour les sportifs français une amitié d'autant plus grande qu'au cours de leurs propres tournées ils reçurent chez nous un chaleureux accueil, et que (naturellement après le cricket, qui, pour tous les Anglais de la métropole et des Dominions, reste le sport national), le rugby, aux antipodes, attire dans des stades modèles et splendides une foule considérable, passionnée pour ce sport et compétente. Ce qui veut dire que les recettes sont assurées et l'expédition « rentable ».

Un match de rugby à Sydney attire une foule et crée une ambiance comparables à celles que suscite à Saint-Sébastien une course de taureaux !

Les invitations à la chasse aux pumas, ou autres attractions locales arrivaient en si grand nombre, que, s'il avait fallu les accepter, il ne restait plus un après-midi pour jouer au rugby. Trois mois avant le déplacement, nos joueurs les plus connus recevaient de Sydney des appels téléphoniques personnels, des interviews de la presse australienne sur leur vie privée ; une tournée de. Mistinguett ou de Maurice Chevalier n'eût pas rempli plus de colonnes de la presse australienne.

Une tenue civile uniforme avait été décidée pour toute la délégation ; en ville comme « en service » ils ne formaient qu'une grande famille. L'équipement minutieusement étudié pour s'adapter au climat, comportait des culottes renforcées pour amortir les « plaquages » sur les terrains particulièrement durs de là-bas. Un cuisinier français — et un échanson évidemment — était prévu pour chaque étape de la randonnée.

L'avion emportait les cadeaux souvenirs de France, choisis selon les villes ou les personnages auxquels ils étaient destinés.

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La facture dépasse 35 millions !

Mais le succès est d'ores et déjà acquis. La « tournée », qui, au moment où nous écrivons ces lignes; n'est pas terminée, a déjà donné quelques belles victoires du XIII français sur des équipes australiennes et néo-zélandaises considérées comme les premières in the world. La correction de nos joueurs a fait l'objet d'éloges aussi justifiées que celles qui concernent leur technique. Notre phénomène, le Carcassonnais Puig-Aubert, le meilleur « botteur » du monde sans doute, a gagné à lui seul plusieurs matches en accumulant transformations et drop-goals.

C'est de la très Bonne propagande française, au moment où la France éprouve un si grand besoin de maintenir son prestige. Nos rugbymen à XIII auront bien mérité du sport français.

Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°656 Octobre 1951 Page 606