Construction d'amateur

De tous temps, sous toutes les latitudes, l'homme a manifesté son goût pour la construction navale. Ce penchant nous le retrouvons chez l'enfant qui d'une boîte ou d'un sabot fait une embarcation ; il se manifeste chez l'adolescent qui construit la première « périssoire » d'une main malhabile. Plus tard, il guide le modéliste appliqué à reproduire les chefs-d'œuvre de notre marine, ancienne ou moderne.

La lecture des ouvrages écrits par les plus grands navigateurs solitaires nous montre à quel point ces hommes étaient attachés à leur bateau, souvent construit de leurs propres mains, au prix de quelles difficultés parfois. Pour ces hommes d'une énergie exceptionnelle, l'une des plus grandes satisfactions aura été de naviguer à bord d'un bateau qui était leur œuvre, spirituelle ou matérielle, suivant qu'ils l'avaient inspirée ou réalisée.

Plus modestement, le canoéiste qui entreprend la construction de son embarcation éprouve des joies du même ordre. Même s'il ne réalise pas, d'emblée, un chef-d'œuvre, son canoé lui semblera le plus beau, et des croisières qu'il effectuera avec lui il conservera un souvenir impérissable.

Ne croyez pas qu'il soit nécessaire d'être « du métier » ou de posséder une habileté exceptionnelle pour mettre en chantier un bateau de l'importance d'un canoé. Tout bricoleur adroit, pourvu d'un outillage à main des plus classique, doit réussir, et, pour vous y aider, nous passerons en revue, aujourd'hui, les atouts qu'il est nécessaire de réunir pour prendre un bon départ.

Commencez par vous adjoindre un compagnon adroit, aimant le bateau et la rivière, qui fera peut-être votre équipier plus tard. À deux, vous surmonterez plus facilement les petites difficultés qui surgiront en cours d'exécution, et le travail avancera plus vite. Vous choisirez ensuite votre local — peu importe que ce soit un sous-sol ou une chambre sous les combles — et l'aménagerez d'une façon pratique pour y travailler à votre aise. Installez-y un établi avec étau et réunissez l'outillage habituel du menuisier : marteaux, pinces, rabots, ciseaux, tournevis, vilebrequin, chignole, équerre, pointe à tracer, niveau, presses, serre-joints, etc., brosses à peindre et à vernir.

Une étuve sera nécessaire pour le cintrage des bois (étraves et membrures) et vous pourrez la construire avec un morceau de tuyau de tôle galvanisée de 1^m,60, fermé aux deux extrémités. Ces fermetures peuvent être en bois, l'une mobile pour introduire les pièces à étuver, l'autre fixe, reliée par un tuyau coudé à un récipient d'eau placé sur une source de chaleur. Calorifugez l'appareil avec du papier et de vieux tissus ; soignez l'étanchéité et procédez à des essais pour vous assurer du bon fonctionnement, en vous entraînant à cintrer convenablement vos bois. N'hésitez pas à consacrer le temps nécessaire à la mise au point de votre étuve, car d'elle dépend la bonne et rapide exécution des pièces majeures sans perte de bois.

Mais, au fait, qu'allez-vous construire comme canoé ? Il existe deux modes de fabrication, tout-bois et entoilé, et c'est ce dernier que nous choisirons. Le canoé tout-bois est très répandu, mais sa construction est délicate : le tracé et le débit des clins, principalement leur assemblage à mi-bois, dépassent les possibilités de l'amateur. N'oublions pas non plus que le bois vernis ne souffre aucun défaut. Pour un entoilé, le débit des clins est facile ; ils sont posés jointifs, et la toile assure l'étanchéité.

À moins d'être un canoéiste très averti et de posséder les qualités techniques nécessaires, je ne vous conseille pas de dessiner vous-même votre canoé. Il existe, principalement dans les clubs de canoé, des plans établis par des spécialistes, et vous aurez tout intérêt à vous en procurer un et à en respecter scrupuleusement les cotes. C'est, en effet, un défaut courant chez les constructeurs amateurs de vouloir « améliorer » un plan en ajoutant ou en retranchant quelques centimètres ici ou là.

Rappelons, pour vous permettre de fixer votre choix, les caractéristiques d'un canoé pour deux équipiers : longueur, 4^m,80 à 4^m,90 ; largeur intérieure, 0^m,88 à 0^m,94 ; profondeur, 0^m,32 à 0^m,35. Dans le sens longitudinal, la ligne des plats-bords et surtout celle du fond doivent être courbes, relevées régulièrement vers les pointes. Transversalement, le fond du canoé est presque plat, et le rayon du bouchain voisin de 0^m,25.

Il est préférable de rassembler tous les matériaux dès le début, et voici quelques indications concernant l'approvisionnement. Pour les membrures, choisissez du frêne : 6^cm,5 est une bonne largeur ; épaisseur, 4 à 6 millimètres ; longueur 1 mètre à 1^m,50. Le bordé sera en spruce ou, à défaut, en épicéa, de 3^mm,5 d'épaisseur et 8 à 10 centimètres de largeur ; les grandes longueurs vous éviteront les joints trop nombreux, et ce sera préférable. Les étraves et plats-bords seront en frêne ; une essence différente peut être choisie pour les barrots et les pontages.

Exigez des bois de première qualité, bien secs, exempts de nœuds, et insistez auprès de votre fournisseur pour qu'ils soient tous débités « sur quartier ».

Il vous faudra encore : 1 kilo de pointes de 1 millimètre, longueur 13 à 15 millimètres, pour river, des vis de différentes tailles pour les étraves, plats-bords, etc., le tout en cuivre, bien entendu. La qualité de la toile a une importance primordiale ; elle doit être en coton et ne pas peser moins de 600 grammes au mètre carré. Il en faut 5 mètres en 1^m,40 de largeur. Vous compléterez votre approvisionnement avec du papier de verre, 2 litres de vernis marin, 3 kilos d'enduit et 2 kilos de peinture laquée, spéciale pour bateaux.

Peut-être, avant de commencer, aimeriez-vous savoir combien de temps peut prendre la construction d'un canoé. La durée est évidemment très variable suivant l'adresse et l'expérience de chacun. Vous pouvez vous baser, pour un premier canoé, sur deux cents à deux cent cinquante heures, soit environ trois mois à deux, en ne disposant que de dix heures par semaine.

En prenant dès maintenant vos dispositions, vous consacrerez agréablement vos dimanches d'hiver à ce travail et aurez la joie de naviguer dans « votre bateau » dès les premiers beaux jours.

G. NOËL.

Le Chasseur Français N°656 Octobre 1951 Page 607