Le vent arrière est une mauvaise allure pour la plupart des
navires à voiles. Le bateau marche moins bien que grand, largue puisque les
voiles de l'avant sont déventées ; de plus, il roule beaucoup parce que sa
voilure ne le soutient pas ; enfin, s'il y a de la mer, il gouverne mal,
parce que son gouvernail agit tantôt sur une crête, tantôt dans un creux des lames
qui marchent comme le yacht. Dans cette allure, le timonier doit être
particulièrement vigilant. Il doit faire bien attention aux lames qui
approchent et ne pas se laisser gagner par des aulofées brusques.
On porte en général beaucoup de toile sous cette allure, et
l'absence de gîte rend souvent imprudent en ce sens. Il faut se garder de faire
des embardées et d'empanner, c'est-à-dire de laisser la grand'voile sauter
brusquement d'un bord sur l'autre. Outre le risque de se faire assommer par le
gui, il se produit une secousse violente qui risque de causer des avaries
graves dans la mâture. L'écoute de grand'voile ou de gui sera complètement
choquée, sans pourtant que le gui porte sur les haubans ; ceux-ci
supporteraient une fatigue inutile, leur point d'attache pourrait mollir et les
ridoirs casser.
Une fois le gui à son poste pour la route à suivre, amarrer
une retenue aux deux tiers de cet espars en partant du mât, et fixer l'autre
bout du filin sur les bittes de l'avant. De cette façon, le gui est tenu par
son écoute vers l'arrière, par la retenue vers l'avant. La balancine du vent
est toujours tenue raide. Rentrer la trinquette, qui est abritée par la grand'voile ;
conserver le grand foc, le border au vent afin qu'il ne batte pas d'une façon
désordonnée à chaque coup de roulie du yacht. En fuyant devant le mauvais
temps, il faut aussi veiller à ce que votre gui, venant frapper la crête d'une
lame, ne soit pas entraîné vers l'arrière. On peut éviter cela en gouvernant de
façon que le bateau reçoive le vent par la hanche du bord opposé au gui et en
soulevant l'extrémité de celui-ci au moyen de sa balancine, comme nous l'avons
recommandé plus haut.
Dans le cas d'un bateau à dérive, le yacht gouvernera mieux
au vent arrière avec la dérive relevée. Certains yachtmen recommandent, lorsque
les paquets de mer menacent la hanche ou l'arrière du bateau, de traîner, à une
distance d'environ cinq brasses de l'arrière une bouée, ou encore deux avirons
attachés ensemble solidement, ce qui atténue sensiblement la force de ces
paquets de mer et rend moins brusques les mouvements du bateau.
Personnellement, je considère qu'un petit yacht de croisière ne doit plus
garder l'allure du vent arrière dès que les lames commencent à devenir
menaçantes et à briser, et que le bateau devient dur à la barre. Il faut
prendre la cape sans tarder. Au vent de travers ou au plus près, on embarque
des embruns à une fréquence qui augmente avec la mer et le vent. Cela sert
d'avertissement : on réduit la voilure et on prend la cape. Mais, au vent
arrière, le bateau peut poursuivre longtemps sa route avec une apparente
sécurité, alors que les lames sont devenues dangereuses. Le yacht se comporte
bien jusqu'au moment où, brutalement, une lame surgit, embarque par l'arrière
et balaie le pont. Ce peut être la catastrophe. Aussi faut-il être très prudent
et prendre la cape avant qu’il ne soit trop tard et que les lames ne brisent
dangereusement. Il suffit de mettre la barre dessous et de lofer en conservant
sa voilure. Mais, si le vent est violent, il faut lofer avec précaution. Car,
si en venant dans le vent on rencontre une grosse lame alors que le bateau
conserve de la vitesse, les conséquences peuvent être désastreuses. On attendra
donc une accalmie passagère pour mettre la barre dessous et venir du lof en
bordant le foc au vent. Ce dernier bridera la vitesse du bateau au moment de
l'aulofée, ce qui est l'essentiel pour la sécurité de cette manœuvre.
Quand on doit faire de longues croisières avec des vents
réguliers venant d'une direction voisine de l'arrière, il est avantageux
d'adopter un dispositif spécial de voilure évitant les empannages, donnant une
grande stabilité de route et permettant même de gouverner automatiquement le
bateau. Ces dispositifs sont les voiles carrées et les doubles spinnakers et
focs. Pour une croisière normale, où l'on a rarement à naviguer pendant
longtemps avec des vents arrière, le système employé par Marin Marie dans sa
traversée de l'Atlantique à bord de Winnibelle, en 1933, est d'une
grande simplicité et peut être utilisé avec tous les gréements, malgré sa
surface de voilure un peu réduite. Avec des vents réguliers et constants,
employer le double spinnaker avec un gréement marconi et la voile carrée avec
un gréement aurique. Ces deux systèmes sont un peu plus compliqués que celui de
Winnibelle, mais ils donnent par contre une plus importante surface de
voilure.
A. PIERRE.
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