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Les crocodiles en A.O.F.

En A. O. F., les reptiles hydrosauriens qu'on rencontre à peu près partout où il y a de l'eau sont des crocodiles, mais les indigènes aussi bien que les Européens les nomment le plus souvent caïmans.

Ce sont des animaux puissants, dont la taille moyenne varie de 2 à 4 et 5 mètres. Toutefois certains individus peuvent atteindre des dimensions beaucoup plus grandes, 8 mètres parfois : ce sont les géants de l'espèce.

Fléaux pour le bétail et pour les animaux sauvages qui vont s'abreuver le long des cours d'eau ou au bord des mares, fléaux pour les baigneurs imprudents et les enfants noirs qui s'ébattent sans surveillance sur les plages fluviales, ce sont des indésirables.

Bien qu'essentiellement aquatiques, on les rencontre dans des lieux où leur présence est plutôt inattendue. Il m'a été donné d'en voir dans une région à peu près désertique, dans une mare croupissante dont le dessèchement absolu durait au moins deux mois de l'année ; le point d'eau le plus proche était situé à une vingtaine de kilomètres de là, et c'était un puits !

Ces reptiles effectuent d'assez longues randonnées en terre ferme ; en cas de danger, ils se faufilent à travers les obstacles avec une agilité et une adresse déconcertantes pour leur masse et leurs formes lourdes.

Au cours de mes chasses et de mes déplacements, j'en ai détruit un bon nombre et je puis dire que la peau de crocodile ne résiste à aucun projectile de chasse, chevrotines comprises.

Il est bien entendu, et c'est l'évidence même, que l’efficacité d'un projectile relève de deux facteurs principaux : sa vitesse restante et son point d'impact. Il est également vrai que, sur les parties écailleuses et les plaques cornées du dermo-squelette des vieux individus, une balle peut glisser ou ricocher ; tout dépend de son angle d'attaque — mais ne ricocherait-elle pas sur l'eau ?

Frappés à la naissance du cou par une charge de chevrotines à 20 mètres environ, les caïmans de 3 à 4 mètres sont arrêtés net.

Sur les crocodiles à terre, les parties les plus vulnérables sont l'épaule, le cou et l'arrière-mâchoire.

Sur l'eau, c'est la tête, mais l'exiguïté de la cible rend le tir assez difficile.

Blessés, ils essaient toujours de regagner l'élément liquide : il est indispensable d'achever tout crocodile blessé avant de les aborder et de ne pas se fier à leur immobilité souvent très longue. Leur puissante vitalité permet des réveils dont le moindre danger consiste en une distribution de coups de queue redoutables.

Lorsqu'ils sont touchés mortellement alors qu'ils nageaient, ils coulent ; on retrouvera leur cadavre plus ou moins loin de l'ultime plongée et suivant les déplacements causés par les courants ou les remous.

Les crocodiles s'endorment souvent sur les berges, au soleil ; à ce moment, ils digèrent.

Si on peut les approcher suffisamment, on est sûr de les tirer avec succès. Une arme excellente pour ce genre de tir est la carabine utilisant la cartouche 44-40 Winchester.

Sur les cours d'eau très larges où l'on est appelé à tirer d'assez loin sur de grands animaux très méfiants et très fuyards, il est indispensable d'être mieux armé.

Dans ce cas, je me suis toujours servi d'une carabine tirant la cartouche Lebel de chasse : balle blindée ogivale à pointe moite du poids de 10 grammes et douée d'une vitesse initiale de 810 mètres-seconde.

Atteint d'un de ces projectiles qui lui avait fait sauter la botte crânienne, mon plus grand crocodile mesurait 7m,40 de longueur (sept mètres quarante) ; il coula comme un plomb et ne put être ramené à terre qu'après plusieurs heures d'efforts.

Son tube digestif recelait le squelette en déliquescence d'un très gros poisson que je n'ai pu identifier, mais qui paraissait être un petit squale — les pêcheurs noirs me l'affirmèrent, — des cailloux, un tesson de bouteille aux cassures mousses, un gros hameçon rouillé, de fabrication locale, enfin deux petits bracelets d'argent, tout ce qui restait d'une fillette indigène disparue depuis quelques jours.

C'est d'ailleurs ce rapt qui avait motivé de ma part un long affût suivi de la destruction du monstre.

Ceci se passait non loin de l'embouchure d'une grande rivière dans l'océan Atlantique.

C'était la pleine saison des pluies. Une tornade survenant brusquement interrompit l'opération du dépouillement, et, le lendemain, il était impossible de continuer ; des essaims de mouches et une horrible puanteur interdisaient toute manipulation.

Le crocodile fut rejeté à l'eau, à mon grand regret, car pareille dépouille eût été bien reçue par le Muséum d'histoire naturelle de Paris, auquel je me proposais de l'envoyer.

À part ce géant, les plus grands crocodiles que j'ai eu l'occasion de tirer aussi bien sur le fleuve Sénégal que sur le Niger et diverses rivières ne dépassaient guère 4 mètres.

Les dépouilles des Crocodiles sont très recherchées en peausserie. À l'époque où je chassais, on ne s'y intéressait guère.

La viande, prélevée principalement dans la queue des caïmans, est appréciée par beaucoup de noirs ; elle a l’aspect de la chair de certains grands poissons que l'on nomme « capitaines » au Sénégal, mais dont le nom scientifique m'échappe ; son goût est légèrement musqué — le signataire de ces lignes en a tâté.

MENGARDE.

Le Chasseur Français N°656 Octobre 1951 Page 630