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Violons et luthiers

Depuis qu'en 1730 Antoine Stradivarius amena le violon en son point majeur de perfection, cet instrument, exceptionnellement unique par la variété de ses expressions comme par leur richesse, n'eut plus aucune modification notoire de facture.

Cependant, pendant plus d'un siècle, on ne saura pas utiliser encore sa plénitude de ressources, et il restera voué au service de la danse et à l'usage des ménétriers.

À l'inverse d'autres instruments qui se perfectionnent pour mieux épouser les progrès de la musique qui leur sont destinés, ce sont ici les virtuoses qui provoquent des réalisations de plus en plus parfaites en qualité.

Mais les caractéristiques générales demeurent sans aucun changement.

En gros, un violon se compose d'une caisse de résonance, d'un manche, de quatre cordes et d'accessoires, plus un archet pour le jouer. En tout, 69 à 71 pièces.

Les dimensions, en quatre siècles, n'ont varié que de quelques millimètres autour de 35cm,5.

La table d'harmonie est faite de deux pièces collées en sapin, comportant deux échancrures en « C » sur les bords pour le passage de l'archet. Son épaisseur n'est pas uniforme et passe de 4 millimètres au centre — on dit à l'estomac — à 2mm,5 sur les bords. Cette différence est obtenue par taillage, et celui-ci est extrêmement difficile, car en plus cette table est voûtée selon une flèche d'arc plus ou moins accentuée et d'un maximum de 14 millimètres.

Elle est aussi percée de deux ouïes, les ff, dont le dessin remonte au XVe siècle. Leur utilité est d'accroître la finesse des vibrations de « l'estomac » de la table.

Dessus et fond sont réunis par des éclisses de 3 centimètres, courbées à chaud et renforcées dans leur architecture d'assemblage par des contre-éclisses internes, des coins, des tasseaux.

A l'intérieur du violon, entre les deux faces en érable, généralement, se trouvent deux engins, qui sont la base même de la richesse sonore du violon : l'âme et la barre. Très peu de gens en connaissent l'existence, même parmi tes violonistes ...

L'âme est une tige de sapin de 6 millimètres de diamètre, placée verticalement entre les parois internes des tables et fond, sous le piédroit du chevalet, et à 2 millimètres en arrière. Elle tient par seule pression et ne doit jamais être collée. Elle est destinée à éviter sous la voûte le blocage des vibrations et, de ce fait, doit être libre relativement.

La barre est en sapin nervuré et se trouve collée sous la table d'harmonie, sur une longueur égale aux deux tiers de cette dernière, légèrement à gauche de son axe. Elle est effilée à ses extrémités. Son but est de s'opposer à l'affaissement de la voûte.

Ame et barre ont deux effets musicaux très différents. La barre renforce la sonorité des basses, à l'inverse de l'âme qui, par sa rigidité, augmente l'acuité des sons.

C'est le perfectionnement de ces deux seuls éléments, inconnus des profanes et invisibles de l'extérieur, qui a fait l'immense valeur des violons construits par Stradivarius.

Il est faux d'attribuer cette merveilleuse sonorité aux vernis, qui n'ont qu'un rôle de protection de l'ensemble, encore qu'il faille tenir compte que ces vernis ne doivent pas altérer la sonorité des bois.

Les autres éléments sont le manche, monobloc, en érable, avec une forme actuelle en volute sculptée, après avoir affecté des formes variées et même des têtes humaines ; puis les touches d'ébène évidées, séparées par le « sifflet ». Le tout est renversé pour résister à la tension des cordes, selon un angle dont l'optimum varie de 165 à 172°.

Au bas de la table est le cordier en ébène, puis le chevalet de 3 à 3cm,5 de haut, épais ce 4 millimètres au pied et 2 à sa tête. Par son intermédiaire, la pression des cordes, tendues entre 27 et 30 kilogrammes, atteint sur la table 12 kilogrammes.

Des quatre cordes, en boyau de mouton, la dernière est entourée d'un enroulement de fil d'argent ou de cuivre depuis 1675.

En 1910, on a vulgarisé la corde du mi en acier et, en 1930, le filé, en aluminium.

Certains violons comportent des filets d'ornementation en alisier. D'autres ont été garnis d'incrustations, d'armoiries, d'arabesques. Beaucoup de volutes figurent des têtes humaines, mais peu de fonds ont servi de supports à des peintures. Par contre, certains fonds, choisis très épais, ont été sculptés en véritables bas-reliefs, tel le violoncelle actuellement conservé à la Galerie d'Este, à Modène, datant du XVIe siècle, et surtout le célèbre violon de Jacques 1er conservé au Musée d'art national de Londres.

L'archet a un poids de 55 à 60 grammes, pour une longueur de 75 centimètres dont 65 pour les mèches constituées de 120 à 150 crins de cheval.

Parmi les accessoires secondaires, on trouve la mentonnière, inventée par Spohr en 1819, le coussin, par Baillot en 1834, tandis que la sourdine ou pince sur chevalet, pour diminuer la sonorité, a été généralisée par Lulli, sous Louis XIV.

Il existe des formats spéciaux de 30, 32, 35 centimètres pour les enfants virtuoses.

Du violon, on a tiré, par un fidèle agrandissement, l'alto, sous deux formats jusqu'à la fin du XVIIe siècle : l'alto au sens strict de 41 centimètres et le violon ténor, imaginé par Stradivarius, mais abandonné en raison de sa longueur encombrante de 48 centimètres. Sa lacune subsiste et fait l'objet des actuelles recherches. L'alto actuel a 67 centimètres, dont 40 pour la caisse, donc diminuée par rapport à la précédente. Ses cordes ont une tension de 30 à 32 kilogrammes et son archet mesure 72 centimètres pour un poids de 63 à 65 grammes.

Le violoncelle n'est pas un violon agrandi, ni un alto extrapolé. Son manche est beaucoup plus trapu, ses éclisses sont plus larges et le chevalet très haut. Il sonne à l'octave grave de l'alto. Haut de 1m,30 à 1m,76, ses éclisses ont de 11 à 12 centimètres. On le joue debout, exhaussé sur une pique. Son archet de 70 centimètres pèse 70 à 75 grammes. On confectionne de plus petits violoncelles pour enfants virtuoses.

La contrebasse n'a pas de caractéristiques extrêmement précises, et même ses accords sont aberrants. Il en existe de 1m,60 de haut, mais aussi de 1m,95, et même une de 2m,50 au Musée de Londres. Les éclisses varient également de 17 à 21 centimètres. On a même créé des octobasses de 4 mètres de haut ... Au XVIe siècle, la contrebasse possédait cinq à six cordes, contre seulement trois ou quatre au XIXe, avec des accords variants en la, , sol, ou sol, la, et sol, , la, mi. L'archet, très variable, tourne autour de 67 centimètres de long avec des poids de 120 à 135 grammes.

La valeur des violons est essentiellement fonction des luthiers qui en sont les facteurs. On en connaît plus de deux mille depuis 1520, tous de grande renommée.

Le premier dont le nom soit digne d'attention est Jean Kerlin, que l'on trouve à Brescia en 1540.

Après toute une série de noms illustres, Pellegrino Michel di Zanetto, Gia Battistan Doneda, Tieffenbrucker, on voit se dresser deux écoles concurrentes : l'une à Brescia, l'autre à Crémone. Une troisième surgira postérieurement à Cracovie.

Brescia est illustré par Gasparo Bertolotti, et surtout par Giovanni Maggini, qui sera le meilleur des facteurs d'altos. Crémone voit Andréa Amati (1535-1612), qui réduit le format des violons et crée une voûte haute. Cet Amati aura aussi un autre mérite, celui de donner l'instruction technique de facteur de violon au jeune Stradivarius — 1644-1737. Celui-ci perfectionne l'art de son maître et le dépasse rapidement, jusqu'à réaliser l'apogée du Violon. Il crée aussi des longuets, qui sont des violons plus étroits et plus élancés. Sous Louis XIV, à Versailles, on en créera sous le nom de « pochettes », qui seront de véritables instruments minuscules, excessivement emportables.

L'œuvre de Stradivarius est immense, avec plus de trois mille instruments dont on a identifié 500 violons, 12 altos, 50 violoncelles, depuis la honteuse spéculation à Londres, en 1027, du Milanais Tarisio.

Amati, qui est le grand nom des luthiers avant Stradivarius, donnera également d'autres disciples : Guarneri, Andréa, Battista, Ruggieri, Granini, Montagna.

La famille des Stradivarius essaime à Canossa, Venise, Plaisance, Turin, et impose pour longtemps la prépondérance mondiale de l'Italie.

En France, avec Nicolas Lupot — 1758-1824, — la classe internationale est acquise, et ce luthier sera aussi le meilleur archetier de tous les temps.

Le snobisme musical du XIXe siècle a soutenu la théorie que les instruments de Stradivarius n'étaient pas dépassables en qualité et resteraient éternellement les meilleurs. C'est faux. C'est là une simple autosuggestion d'archéologue amoureux des pièces de collections.

Ces anciens instruments sont inférieurs aux modernes, car les intérieurs n'en sont pas rabotés et leurs voûtes ne sont pas rigoureusement symétriques. On a démontré maintes fois la fausseté de ce goût purement sentimental, en faisant jouer ces instruments derrière un vélum, alternativement avec des violons modernes, ou encore en les camouflant respectivement en anciens et en récents. Chaque fois, luthiers, virtuoses, mélomanes, professionnels ou amateurs s'y sont trompés.

Janine CACCIAGUERRA.

Le Chasseur Français N°656 Octobre 1951 Page 632