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Philatélie

Le vermillon

Qui n'a entendu, sans savoir toujours bien de quel timbre il s'agissait, un collectionneur ami prononcer, en arrondissant les lèvres, ce mot : « vermillon » ?

« Couleur semblable au cinabre », dit le Larousse. Vermillon, vermillon vif, vermillon pâle ou Vervelle, disent les philatélistes avertis.

Le 1er janvier 1849 parurent, à l'effigie de Cérès gravée par Barre père, et imprimés sur papier jaunâtre, les deux premiers timbres français : un 20 centimes noir et un 1 franc rouge, ce dernier d'un tirage très restreint.

Un changement de teinte fut apporté, dès le 1er décembre 1849, dans l'émission du 1 franc, qui, de rouge — il s'agissait d'un rouge-vermillon, — devint carmin. Ce changement n'était pas un simple effet du hasard. Une circulaire du directeur de l'Administration générale des postes, portant en marge deux cadres qui renfermaient chacun la moitié d'un timbre coupé diagonalement, en donne, à cette date, l'explication :

« L'Administration des postes, disait cette circulaire, a, dans le mois de décembre dernier, approvisionné plusieurs bureaux de poste de timbres a 1 franc imprimés en couleur rouge, de nuance beaucoup plus claire que celle des timbres de même catégorie, mais d'un tirage postérieur.

» La différence légère qui existe dans la nuance des uns et des autres a pu, jusqu'à ce jour, ne présenter aucun inconvénient ; cependant, les timbres à 40 centimes, dont l'émission est prochaine, ayant été imprimés en couleur orange, d'après une décision de M. le ministre des Finances, j'ai craint que la nuance de ces derniers timbres ne fût confondue avec celle rouge clair des premiers timbres-poste à 1 franc, et devînt, par suite, un motif d'erreurs préjudiciables aux intérêts du Trésor.

» En conséquence, j'ai décidé que les timbres à 1 franc, de couleur rouge clair, conformes au modèle ci-contre n°1, seraient renvoyés à l'Administration, qui les remplacera immédiatement par des figurines d'une teinte plus foncée, conformes au modèle n°2 ... »

C'est ainsi que furent détruites des quantités d'exemplaires d'une vignette si recherchée des collectionneurs et, à juste titre, considérée comme la plus rare de la collection française. Cette vignette, à l'état neuf, dans la nuance dite « vermillon », est aujourd'hui estimée à 400.000 francs, et, dans la nuance dite « vermillon vif », à 450.000 francs.

On ne connaît, du vermillon, que deux blocs de 8, l'un à l'état neuf, l'autre oblitéré, et deux blocs de 4. L'un de ces derniers, dans la nuance vive, neuf et comprenant nu tête- bêche, fait partie de la collection Champion.

On dit que deux timbres sont tête-bêche (comme d'ailleurs deux objets quelconques de même nature) lorsqu'ils sont placés côte à côte, sur la planche, en sens inverse l'un de l'autre.

Une telle anomalie a pu, quelquefois, n'être que le fait d'un ouvrier distrait, au moment de l'assemblage des matrices pour la confection des galvanos. Selon d'éminents timbrologues, il s'agirait, le plus souvent, d'un piège imaginé pour déceler les tentatives des faussaires, piège à la vérité puéril, puisqu'il suffit au contrefacteur d'avoir comme modèle, afin de l'imiter dans la disposition des figurines comme dans tous les détails de chaque cliché, une feuille complète de timbres. Selon d'autres, les tête-bêche constitueraient un signe permettant de reconnaître les diverses planches et les divers panneaux d'une même valeur, et c'est probablement le cas lorsqu'il s'agit de nos anciens tirages.

L'histoire du vermillon pâle, plus généralement désigné sous l'appellation de Vervelle, vaut elle-même d'être contée,

Un papetier-relieur, nommé Vervelle, établi à Paris, rue Jacob, s'était lancé dans le négoce des timbres, et sa maison, assez vite, était devenue prospère.

En 1892, au décès de Hulot, qui, durant vingt-sept années, fut directeur de la fabrication des timbres-poste à la Monnaie, et qui imprima les premières émissions françaises, son fils, embarrassé par la quantité considérable de documents qu'il avait accumulés — feuilles de timbres, essais, mises en train, épreuves ... — vendit tous ces papiers à Vervelle, moyennant la somme de 25.000 francs.

Or, avec beaucoup de choses qui présentaient un grand intérêt pour les amateurs, Vervelle trouva dans le lot, parmi des pièces provenant de la succession de Barre père, une feuille de 145 exemplaires du 1 franc vermillon, tirée dans une nuance pâle non émise, et contenant l'unique tête-bêche connu de ce timbre. Le papier était plus mince que celui des vignettes mises en service, et la feuille, d'ailleurs froissée, ne possédait pas de gomme. De la feuille entière — sans doute une feuille d'essai de nuance, — il avait été précédemment détaché 5 figurines, le panneau complet en comportant 150.

Un bloc de 8 timbres en fut retiré, qui portait le tête-bêche. Philippe Ferrari de la Renotière devait acquérir ce joyau philatélique au prix de 3.800 francs. En 1924, au cours d'une de ces fameuses ventes à l'Hôtel Drouot, où les trésors du roi des collectionneurs furent soumis au feu des enchères, il réalisait la somme de 200.000 francs. Sa valeur, de nos jours, est inestimable.

Vervelle est devenu célèbre dans le monde des philatélistes après sa découverte du vermillon terne qui porte depuis son nom. Il s'éteignit en 1916, après avoir connu la fortune.

DRAIM.

Le Chasseur Français N°656 Octobre 1951 Page 636