Nous sommes rarement consulté au sujet des accidents causés
par la rupture des canons, encore plus rarement en ce qui concerne les avaries
des bascules, mais, en revanche, on nous demande assez souvent notre avis sur
les premiers symptômes d'un désajustement de ces deux pièces capitales. Nous
pourrions en conclure que, si les canons et la bascule affirment leur
résistance par des services sans défaillances, les systèmes de fermeture
laissent plus facilement apparaître quelque fatigue. En réalité, les pièces de
fermeture ont non seulement à résister à certains efforts au moment du tir, mais
elles tendent à s'user peu à peu au cours des déplacements qu'elles ont à
subir.
Beaucoup de chasseurs ont d'ailleurs l'impression que la
fermeture d'un fusil doit être « étanche » et maintenue, à cet effet,
dans un état d'ajustage serré ; or les systèmes de fermeture des armes
modernes, que ces armes soient à bascule ou à canon fixe, ont pour seul et
unique rôle d'assurer une bonne liaison entre le canon et la culasse, cette
dernière pouvant être constituée par la table de bascule ou par une pièce
mobile amenée au contact par translation ou rotation. Lorsque l'on parle de
systèmes de fermetures « étanches » ou « hermétiques », on
oublie totalement que, depuis l'invention des douilles, ce sont ces dernières
qui sont chargées d'assurer l'étanchéité vers l'arrière et qu'elles s'en
acquittent généralement fort bien. S'il avait été nécessaire de se passer de
douilles, on aurait eu quelque peine à obturer d'une manière simple la chambre
à poudre à l'arrière ; le problème a été résolu, dans certains matériels
d'artillerie, d'une manière parfaite, mais à une échelle incompatible avec les
dimensions des armes portatives. Nous estimons d'ailleurs que, si l'arme à
bascule a détrôné si aisément les fusils à piston, la parfaite étanchéité de sa
culasse a été pour beaucoup dans son succès ; les usagers des fusils à
baguette avaient souvent à se plaindre des projections de gaz et même de débris
d'amorce.
Il reste cependant à examiner comment, en dépit d'une
excellente fermeture, les douilles peuvent parfois laisser échapper des gaz ;
ces fuites se produisent (sauf très rare rupture du culot) autour de l'amorçage
et ont l'inconvénient de causer l'oxydation des mécanismes. S'il s'agit d'une
platine à percuteurs, ces derniers sont généralement seuls détériorés, mais,
dans le cas des batteries genre Anson, l'oxydation s'étend à toutes les pièces,
y compris les ressorts ; il convient donc d'attacher une certaine
importance au placement correct des amorçages dans les culots : les
douilles neuves ne sont pas exemptes de fuites et les douilles réamorcées
doivent l'être avec beaucoup de soins dans l'assujettissement de l'amorce ;
une légère goutte de vernis évitera toute fuite malencontreuse.
Nous ajouterons que, dans les bascules les mieux ajustées,
il y a toujours un léger jeu entre la douille et la table de bascule ; ce
jeu résulte de celui ménagé à dessein dans le drageoir pour éviter la
difficulté de fermeture de l'arme. Ces jeux n'ont aucun inconvénient et n'ont
pas la moindre influence sur le recul, lequel ne dépend que des masses de
l'arme et du projectile. Tout ceci étant exposé, nous pouvons affirmer que les
systèmes de fermeture doivent uniquement assurer une bonne liaison mécanique
entre canon et culasse ; si ces systèmes sont convenablement étudiés, il
n'y a aucune raison technique pour que l'arme à bascule ferme plus mal que
l'arme à canon fixe ; c'est une simple question d'ajustage. Si les armes de
guerre emploient uniquement le canon fixe, cela tient à la recherche de la
simplicité de fabrication et à la commodité d'adjonction des dispositifs à
répétition. L'arme à bascule est beaucoup plus intéressante pour le chasseur,
en raison de sa facilité de chargement, de transport et de vérification de
l'état intérieur des canons.
Dans tous les fusils doubles, à bascule ou à canon fixe, une
étude un peu poussée de leur comportement au moment du tir a démontré qu'ils
étaient soumis à deux genres de vibrations principales.
Les premières se produisent dans un plan vertical et tendent
à abaisser, puis à relever la bouche des canons, la première flexion concordant
avec le franchissement de la bouche par la charge. Il en résulte une déviation
qui fait porter celle-ci un peu bas, en dessous de la ligne de mire.
Les secondes vibrations se produisent dans un plan voisin de
l'horizontale et tendent à faire dévier latéralement la charge. Il est facile
de remédier à l'influence des premières par une forme de bande appropriée et à
celle des secondes par une convergence convenable des axes des canons.
Il reste entendu que, dans tous les systèmes de fermeture
bien compris, la masse et la résistance des divers accrochages s'opposent à
tout mouvement ; les mécanismes sont livrés un peu durs, juste ce qu'il
faut pour que la suite des premiers coups tirés les amène à un fonctionnement
parfait ; il faudra ensuite des milliers de cartouches pour amener un jeu
appréciable, lequel ne déréglera nullement le tir à plombs ; ce n'est que
lorsque ce jeu devient notable (1) qu'il y a lieu de procéder à un
réajustement.
Quant aux fermetures disloquées, ce qui se voit rarement, on
peut affirmer que c'est le fait d'un chargement anormal ou d'une obstruction du
canon ayant provoqué des pressions dépassant de beaucoup celle de l'épreuve.
Les premières fermetures des armes à bascule étaient
réalisées au moyen d'un verrou pivotant à hélice ; ces fermetures simples
et solides ont longtemps donné satisfaction aux chasseurs. Le progrès réalisé
par l'adoption de différents verrous horizontaux et verticaux est d'autant plus
sensible que ces verrous sont reportés plus loin de l'axe de bascule ; dans
tous les cas, il convient que tous ces verrous portent à la fois sur les
crochets du canon et que certains d'entre eux ne soient pas un simple décor.
C'est dire que les armes à verrous multiples demandent une fabrication soignée
et sont en conséquence d'un prix plus élevé. Elles ont le très sérieux avantage
d'être à fermeture automatique, c'est-à-dire qu'elles ne nécessitent qu'un seul
mouvement pour leur fermeture, alors que les fermetures à hélice en exigeaient
deux, dont un assez pénible ; le tir a ainsi gagné en rapidité.
Beaucoup de chasseurs, constatant un léger jeu dans la
fermeture de leur fusil, se demandent si la dispersion n'en souffre pas ;
nous pouvons les rassurer. Tant que le jeu n'est pas considérable, seul le
point moyen de groupement varie et les résultats pratiques sont équivalents ;
le cas ne serait pas le même pour le tir à balles dans une arme à double canon
rayé, et c'est pourquoi ce genre de fusil est particulièrement délicat à
établir et à bien régler.
Nous retiendrons donc que la fermeture des fusils destinés
au tir de la grenaille, solidement et judicieusement établie, ne se dérègle qu'après
un long service, et qu'il est toujours facile d'y remédier sans grands frais.
Ces considérations rassurantes laisseront, croyons-nous,
quelques loisirs aux chasseurs, loisirs qu'ils pourront utilement consacrer à
d'autres préoccupations.
M. MARCHAND,
ingénieur E. C. P.
(1) On reconnaît un jeu notable entre canon et bascule en
secouant l’arme, non munie du devant, par la poignée et en la tenant
verticalement.
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