Nous n'avons encore parlé, en ce qui concerne les migrateurs
qui visitent annuellement les marais de chez nous, que de leurs habitués
réguliers.
Qu'ils soient nombreux ou clairsemés, on est toujours à peu
près certain d'en rencontrer quelques échantillons. Ils sont un peu, si l'on
ose dire, des migrateurs sédentaires et comptent parmi les espèces des hivers
moyens ou des hivers qui n'en sont pas.
Mais qu'il survienne un froid durable, sévère, cruel dans
les régions de l'Est et du Nord, et c'est une descente générale dont font
partie les oiseaux qu'on ne voit guère qu'en ces cas-là : tels les cygnes
vraiment sauvages et les oies en quantités inaccoutumées.
Au point de vue du pointage, tous ces oiseaux se rangent
dans la catégorie des longs cous et se classent, la plupart du temps, dans la
section du tir de battue. Comme nous l'avons dit précédemment, les longs cous
appellent une charge de petits plombs dans cette partie de leur individu. Il
est utile, pour cela, qu'ils vous approchent quand on est bien dissimulé ;
autrement, lorsqu'on s'efforce de les approcher, ils partent presque toujours
de trop loin pour qu'on puisse employer d'autres plombs que ceux des plus gros
numéros pratiquement utilisables, dont la gerbe est relativement maigre.
Le tir des très gros oiseaux n'est pas difficile par
lui-même, étant donnée la surface qu'ils offrent. Il ne le devient que par les
circonstances qui obligent à surmonter bon nombre de complications dont nous
n'avons pas fait état en exposant les difficultés du marais.
Ces complications sont en quelque sorte migratrices et
suivent les variations de la température. Elles proviennent du froid qui vous
glace les mains dès qu'on cesse de se donner du mouvement.
Quelles directives de tir se trouve-t-on en état de suivre
lorsque les doigts sont perclus et les poignets gourds au point de refuser tout
service ?
Les mieux partagés, demeurant exceptionnellement en état
d'agir, ne sont cependant pas quittes des obligations que leur impose le gel.
La première consiste à s'habiller le plus chaudement possible. Rien n'est plus
naturel ni plus aisé pour se promener les mains dans les poches. La thèse
change dès qu'un fusil est admis à la promenade ; les conséquences aussi.
Celles-ci proviennent directement de la superposition des vêtements et se
manifestent par l'épaisseur qu'ils atteignent.
Gêné, serré, quelque peu engoncé, les bras insuffisamment
libres et tout le buste épaissi, la crosse frotte contre la poitrine et monte à
l'épaule au ralenti, quand elle ne s'arrête pas en route. Sa longueur prend,
par cela même, un allongement inhabituel, et les détentes deviennent trop
éloignées. Bref, le fusil n'est plus le même, et le tir a tous les risques
contre lui.
Les autres conséquences sont celles inhérentes à la glace
qui vous supporte, et qui retiennent l'attention au moment inopportun.
Ce ne sont là que vieilles vérités familières à n'importe
qui. Il est bon de les rappeler à ceux qui les supposent exagérées.
Les êtres vivants n'ont pas l'exclusivité de se différencier
les uns des autres. Il y a marais et marais, et nous voici forcé de le répéter,
pour voir quels peuvent être les effets de leurs oppositions sur les goûts, les
prédilections et le comportement du gibier.
Nous avons indiqué l'essentiel pour la généralité des marais
et pour les espèces de gibier qui les hantent. Il nous reste à tenir compte de
leurs particularités.
Sans vouloir les décrire région par région pour marquer leur
similitude ou leur dissemblance, nous nous contenterons de faire connaître à
ceux qui, par hasard, l'ignorent qu'il existe des différences fondamentales
entre les marais de Normandie, de Picardie, de Vendée, des Charentes et du Midi
de la France ; entre les marais de l'intérieur, les marais côtiers et les
marais salants, plus ou moins désaffectés.
Il apparaît donc au moins imaginatif que leurs diverses
situations, leurs conformations retiennent chez les uns des variétés d'oiseaux
qui ne seront jamais attirées par les autres. Il en résulte que certains
chasseurs auront l'occasion de tirer divers oiseaux que la chance la plus
éhontée ne mettra jamais sous les yeux de leurs confrères d'un autre lieu.
Ces oiseaux ne sont pas de véritables habitants des marais,
et leur chasse n'est peut-être pas d'une orthodoxie fleurant bon l'eau
stagnante ; mais leur tir est amusant et bien rarement facile. Nous avons
nommé les oiseaux de grèves en rupture de sable, de roches et de vasières,
accueillis par les marais côtiers.
Ce n'est plus de la chasse au marais, dira-t-on, ni de la
chasse avec un chien. D'un chien automatique facile à dérégler, certes non,
mais d'un chien intelligent, trois fois oui. Cela est d'autant plus vrai qu'un
bon chien de marais, auquel deux ou trois ans de pratique ont appris son
métier, ne se doit étonner de rien et sait se plier à tout. Il comprend qu'il
faut cesser tout travail et ne point quitter les talons de son maître dès que
celui-ci se met à la poursuite des oiseaux de rivage.
Dans certains marais, les chevaliers et les pluviers ne sont
pas rares et se montrent parfois très nombreux. D'autres espèces aussi les
imitent.
Comme le savent bien les fervents de la chasse au bord de la
mer, ces oiseaux sont farouches et avantagés d'un coup d'aile rapide. Leur tir
est un excellent entraînement, d'autant plus qu'il se pratique, les trois
quarts du temps, dans des situations difficiles : le plus souvent après
une approche en position courbée, quand elle n'est pas rampante. Il n'est pas
de meilleur moniteur de chasse classique pour vous enjoindre aussi bien de
diriger les plombs haut et devant que ces oiseaux variés au vol vif et léger.
Il y a d'ailleurs du tir pour tous les goûts, dont le
surplombant est le plus délicat.
Les grands marais pas très éloignés de la mer, traversés par
une rivière importante, donnent, mieux que tous les autres, l'occasion de s'y
exercer. L'influence du flux et du reflux se fait sentir très nettement, et le
niveau, à mer descendante, baisse facilement de plusieurs mètres, de sorte que
les berges s'approfondissent, et qu'au-dessous d'elles se dégagent de petites
plages où les oiseaux trouvent une nourriture qui leur convient.
Il n'est pas de plus zélées pourvoyeuses de tir surplombant
adressé à du gibier, qu'il est facile de surprendre grâce à la disposition du
terrain, et qui s'enfuit généralement au ras de l'eau.
Il est indispensable de le couvrir généreusement, en
proportion de la différence de hauteur entre le fusil et son but. Et c'est un
exercice, selon ceux qui l'ont beaucoup pratiqué, dont l'aisance reste à
démontrer.
Il y a cependant mieux encore.
Parmi les oiseaux qu'on peut considérer au marais comme du
gibier de contrebande, encore qu'il y soit mieux à sa place que les oiseaux de
grèves, puisqu'il est un familier des prairies, le vanneau sait vous placer
devant le tir le plus embarrassant de tous.
Il n'est naturellement pas question du vanneau qui passe à
bonne portée, et dont le pointage n'exige pas de génie. Nous faisons allusion à
celui des vanneaux en bande, lorsqu'ils sont posés, et qu'on arrive à les
surprendre à courte portée. À leur envol, on se croirait subitement transporté
dans l'ahurissant royaume des crochets. Ils s'éparpillent, montent, descendent,
se rapprochent, s'éloignent les uns des autres et cabriolent à l'envi avec une
rapidité déconcertante, dans un désordre suprême où ne s'intègre pas la moindre
bousculade.
Ils jettent à la décision le plus narquois défi ! Non
sans raison d'ailleurs, puisque c'est elle qui dirige le tir.
Cueillir proprement, et l'un après l'autre, deux vanneaux
dans un tourbillon semblable n'arrive pas tous les jours. Il ne faut donc
jamais en laisser passer l'occasion.
Raymond DUEZ.
|