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Curieux hallali

Il y a bien vingt ans, j'écrivais, dans ces mêmes colonnes du Chasseur Français, une causerie sur la mise à mort des grands animaux et, me basant sur nos expériences personnelles et sur celles plus complètes de veneurs qui nous avaient précédé et dont nous étions l'élève, nous concluions en disant que le plus souvent la dague valait mieux que l'arme à feu. Ce que j'ai vu depuis n'a pas modifié mon opinion, bien au contraire. Pour finir un animal forcé devant un équipage, rien ne vaut le coup de couteau libérateur ; c'est le moyen le plus sûr, le plus rapide et si, depuis des siècles, les veneurs l'emploient de préférence, c'est qu'ils y ont trouvé avantage.

Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas des cas où le fusil s'impose ; le souvenir de certains hallalis mouvementés, d'animaux dangereux et méchants, font que les chasseurs prévoyants gardent à leur disposition l'arme susceptible de les tirer d'embarras dans les moments difficiles. Mais cela doit rester l'exception et en dehors des usages de la vénerie française.

Nous nous en aperçûmes un jour et, pour avoir oublié ces sages principes du prévoyant chasseur, nous avons bien failli en garder un cuisant souvenir ; c'est une vraie chance si nous n’avons pas eu ce jour-là une de ces boucheries de chiens qui font époque dans la vie du maître d'un vautrait.

C’est donc vous dire que cette histoire remonte au moment où nous chassions le sanglier, bien modestement, avec l'aide seulement de quinze chiens, petit effectif comme on le voit, mais composé de sujets très sélectionnés dont l'amour de la chasse, le nez et la vitesse compensaient l'infériorité numérique. Comme nous chassions beaucoup alors, ils étaient aussi très entraînés, tout à fait dans la voie, et aussi pouvons-nous sans mélancolie, mais non sans regret, songer à toutes les jolies chasses qu'ils ont faites et à tous les plaisirs qu'ils nous ont procurés.

Mais les meilleurs chiens du monde (ce n'étaient pas les nôtres !) ne peuvent éviter les buissons creux lorsque les animaux manquent ou deviennent rares. Or noms venions de faire quatre sorties sans attaquer. Il n'y rien de tel pour éclaircir l'assistance.

Ce fut donc une surprise désagréable qui m'attendait lorsque j'arrivai au rendez-vous, car j'y arrivai seul, mon frère ayant dû s'absenter pour affaire et notre homme étant malade. Je m'étais mis en route, comptant bien sur nos amis, fidèles suivants : je ne trouvai que trois personnes dans la même voiture. C'était peu, surtout que, par malchance, j'étais fort handicapé, à demi infirme, ayant le poignet droit foulé à la suite d'un intempestif retour de manivelle, mesquine revanche de notre quinze-chevaux-vapeur envers son propriétaire, plus cavalier qu'automobiliste, tout le monde savait cela. Mais, à cause de ma patte folle, je n'avais pris ni fusil, ni couteau, sachant bien que j'étais incapable de m'en servir. J'avais juste ma trompe, car un veneur sans sa trompe aurait l'impression de se promener en tenue ultra légère ...

Nous avions au rapport une petite compagnie de sangliers, rembuché à proximité du rendez-vous. Aussi, après avoir attendu le maximum que l'on pouvait attendre en espérant quelque bienheureux retardataire, nous allions frapper à la brisée, et bientôt les chiens mettaient les animaux debout.

Faisant mon petit Napoléon, je galopais la main passée dans ma tunique, attitude fort décorative sans doute et dont mon vaillant et intelligent Éclair me permettait la fantaisie. Je crois que, si j'avais été aveugle et sourd, il m'aurait permis de suivre une chasse, tellement il aimait cela. Quel parfait cheval c'était, une perle pour un maître d'équipage !

Que dire de ce laisser-courre ? Je ne m'en souviens guère, je n'y relève rien de bien marquant, si ce n'est que, pendant la poursuite, je ne voyais personne, sauf, de temps a autre, la voiture fantôme et ses trois occupants qui essayaient de suivre et ne s'en tiraient pas trop mal, car ces vieux chasseurs de forêt connaissaient aussi bien leur terrain que les refuites des animaux. Mais il est des circonstances où la qualité ne remplace pas le nombre. Dans ces 6.000 hectares, mes pauvres amis avaient beau se démener, ils ne pouvaient être partout.

Notre animal, sur ses fins, choisit, pour se faire battre dans ses ultimes défenses, des grands bois de particuliers touchant la forêt, bois très fourrés et pas percés de près de 500 hectares. Sans routes pour suivre, mes amis perdirent la chasse, et je me trouvai encore plus seul, s'il est possible, dans ce massif hostile et combien silencieux, troublé seulement pour l'heure par la voix des grands chiens blancs, claironnant leurs abois en indiquant le ferme.

Perçant au fourré, je me dirigeai comme je pouvais vers le lieu où la bête noire tenait aux chiens, laissant faire mon cheval qui connaissait son métier et se coulait parmi les branches avec la souplesse d'une couleuvre. Bientôt Je débouchai dans une clairière au sol recouvert de bruyères et vis le sanglier arrêté, faisant tête. Heureusement, c'était une laie ragote. Combien je bénis saint Hubert d'avoir ainsi permis que nos chiens adoptent au lancer cet animal inoffensif plutôt que quelque sanglier bien armé dont les défenses eussent causé des vides parmi nos toutous !

Sans arme, manchot par surcroît, j'avais « bonne mine » comme on dirait aujourd'hui. Je pris donc ma trompe pour sonner l'hallali courant, répétant bruyamment la fanfare et ne m'arrêtant que pour reprendre haleine de temps en temps.

Pendant ces pauses, je pouvais contempler le spectacle peu banal de la laie et des chiens l'entourant, mais ne l'aboyant que si elle faisait mine de bouger. Aucun n'essayait d'attaquer et je ne les encourageais pas, car je songeais à l'avenir ; les chiens trop téméraires meurent jeunes en chassant la bête noire.

Mais, pour si intéressant que fût ce ferme, il ne pouvait s'éterniser. Mes fanfares restaient sans écho, quand soudain apparut mon sauveur sous la forme d'un garde d'une propriété voisine ; sur le moment, il me sembla charmant, malgré sa trogne un tantinet enluminée et ses moustaches à l'impressionnante longueur. Portant le nom d'une ville qu'arrose la Garonne, il avait d'habitude une certaine faconde. J'allais lui expliquer mon embarras, quand je m'aperçus avec regret que lui aussi n'avait pas de fusil. « Mais cela ne fait rien, m'expliqua-t-il en clignant de l'œil avec suffisance, j'ai ce qu'il faut ... » et il sortit de sa poche de veste un magnifique pistolet automatique du calibre 7,65. Il s'approcha donc de la laie, l'abordant par derrière. Prudemment, de mon côté, j'avais fait accomplir une conversion à mon cheval qui nous amenait derrière le garde, car je n'ai jamais aimé voir des pistolets dans la main de gens qui ne s'en servent pas souvent et s'en servent mal obligatoirement.

Un premier coup claqua sans résultat. Visant plus soigneusement encore, le garde tirait de nouveau. La laie n'avait même pas bougé, mais mes chiens, qui, comme le patron, n'aimaient pas les coups de pétard, gagnaient le large d'un air profondément dégoûté.

Approchant toujours, le garde vidait son chargeur, tandis que maintenant la laie secouait la tête à chaque coup en ayant l'air de dire non ! C'était d'un comique irrésistible, et je ne pouvais m'empêcher de rire en voyant la mine du tireur.

Heureusement, cette pétarade et mes fanfares avaient permis à mes amis de rejoindre, et la pauvre laie fut enfin proprement servie.

Ce fait n'augmenta pas, on le comprend, mon amour du pétard, surtout celui dont les munitions, un peu vieilles sans doute, ne donnent qu'une pénétration illusoire et sont juste bonnes à percer quelques bidons hors d'usage ou autre arrosoir de réforme ; mais, pour finir un sanglier devant des chiens, rien ne vaut le couteau, croyez-moi.

Guy HUBLOT.

Le Chasseur Français N°657 Novembre 1951 Page 646