Par un certain après-midi de juillet, je rentrais en toute
hâte d'une promenade dans la campagne, car l'orage qui menaçait depuis un
certain temps commençait à se déchaîner. Un vent violent courbait les arbres et
soulevait des tourbillons de poussière ; les éclairs zébraient le ciel
obscurci, suivis à bref délai par le fracas du tonnerre ; de larges
gouttes se mettaient à tomber avec une fréquence croissante, si bien que ce fut
avec un soupir de soulagement que j'atteignis le seuil de ma maison.
Mais, à ma grande surprise, je trouvai, debout dans l'antichambre,
mon mari qui semblait m'attendre avec impatience. Il s'avança rapidement vers
moi, me saisit par la main en me disant :
« Viens vite ! Il y a un oiseau extraordinaire qui
est accroché depuis deux heures à la grille du poulailler ! »
Un oiseau extraordinaire ! Vous pensez si mon sang ne
fit qu'un tour, mais ... Mais ... l'orage aussi devenait
extraordinaire, et il m'en coûtait d'échanger contre sa terrifiante violence la
sécurité de ma demeure, tout juste retrouvée. Quoi qu'il en fût, il me fallut
obéir. En courant, nous gagnâmes l'abri précaire du petit toit du poulailler ;
je ne pris que le temps de reconnaître, dans l'oiseau agrippé au grillage qui
en ferme l'entrée, un martinet aux longues ailes et au beau plumage sombre et
lustré. L'identification précipitamment achevée, nous nous enfuîmes de nouveau
sous les torrents d'eau et les craquements de la foudre.
Une heure plus tard, l'orage terminé, je retournai voir mon
oiseau. Il était tombé à terre, lassé sans doute de cette station prolongée, si
étrangère à sa nature. Je le pris dans mes mains, essuyai ses plumes mouillées
et recherchai avec soin si quelque blessure n'avait pas motivé cette longue
immobilité, peu ordinaire chez un être dont toute la vie se passe à sillonner
les hautes régions de l'atmosphère. Mais je ne trouvai rien ; il
paraissait sain et sauf, et je ne me suis jamais expliqué comment et pourquoi
il avait choisi ce singulier refuge. Détachant doucement les petites griffes
noires et crochues qui, durant cet examen, s'étaient enfoncées dans ma chair
comme les serres d'un vrai petit rapace, je le posai à plat sur la paume de ma
main et je le lançai dans l'air, lui fournissant ainsi l'élan qu'il ne pouvait
prendre de son grillage trop près du sol. Il ouvrit ses ailes et s'envola,
délivré et heureux.
Un oiseau extraordinaire ! Mon mari ne pensait pas si
bien dire. Le martinet est un de nos amis ailés qui a le plus attiré
l'attention des ornithologues. Bien que très voisin des hirondelles dans la
classification des oiseaux, il en diffère sur bien des points. Par son plumage
beaucoup plus uniformément foncé, presque noir, à reflets verdâtres — sa gorge
seule est blanche ; par ses ailes très longues et sa queue plus fourchue ;
par son arrivée tardive en nos climats — les derniers jours d'avril — et son
départ précoce — avant le premier août ; par l'extrême rapidité de son vol
et par bien d'autres particularités encore.
Mais ce qui a, de tout temps, intrigué au suprême degré ceux
qui se sont attachés à observer ces oiseaux, c'est la façon dont ils passent la
nuit. Chacun a remarqué, par les longues soirées d'été, les bandes de martinets
qui se poursuivent à toute allure, dans le ciel, avec des cris aigus — joie ou
colère, on ne sait trop. Autour du clocher des églises, des hautes cheminées
d'usines, des toits des maisons les plus élevées, ils passent et repassent
comme des flèches sombres. Le commun des mortels n'en cherche pas davantage,
mais des esprits curieux ont voulu en savoir plus long et ils ont remarqué de
bien étranges choses.
Ces bandes de quinze ou vingt oiseaux, aux cris stridents,
remontent peu à peu dans le ciel, à mesure que le jour décline, en continuant
leurs évolutions aériennes. À un moment donné, ils disparaissent complètement à
nos yeux, et ceux qui ont attendu leur retour jusqu'à la tombée de la nuit ne
les ont jamais vus redescendre.
Que sont-ils donc devenus ? Les avis sont partagés
là-dessus.
Au matin, quand le soleil levant dore de ses premiers rayons
le toit des édifices élevés, les martinets se livrent de nouveau, avec le même
entrain que la veille au soir, à leurs courses endiablées, ponctuées des mêmes
cris perçants. Certains assurent qu'ils célèbrent ainsi leur retour dans notre
atmosphère, qui est aussi celle de leurs amours et de leurs nichées. Ils
auraient passé la nuit tout entière dans les hautes altitudes, endormis et
immobiles, des heures durant. Des aviateurs les auraient découverts ainsi
suspendus entre des bancs de nuages.
D'autres observateurs ont tiré une conclusion différente de
la disparition vespérale des martinets. D'après ceux-ci, ils redescendent en
trombe, la nuit complètement tombée. Ils n'étaient montés si haut que pour
chasser dans les hauteurs du ciel que le soleil n'a pas quittées encore. Ils
passeraient tout bonnement la nuit, une fois redescendus, près de leurs nids et
ne recommenceraient qu'au matin leurs folles randonnées aériennes. Je suis très
fort de l'avis de ces observateurs-là.
Le nid du martinet, si l'on en faisait le schéma,
ressemblerait beaucoup à celui du martin-pêcheur : même couloir d'entrée
assez long, aboutissant à une chambre arrondie où reposent les œufs. Mais là
s'arrête l'analogie. Ce n'est pas dans le sable friable ou l'argile durcie des
berges, comme sa proche parente, l'hirondelle de rivage, qu'il abrite les deux
œufs blancs allongés et un peu luisants de son unique couvée, mais dans un trou
de muraille ou sous les tuiles d'un toit, dans les clochers de préférence.
C'est le plus citadin de tous nos oiseaux, puisque sa nourriture se compose
uniquement d'insectes vivant dans les hautes altitudes, il les trouve aussi
bien au-dessus des fumées des grandes villes que dans le souffle parfumé des
plaines fleuries et des bois frais.
Je me souviens des longs soirs de mai où, restée seule en
ville, à cause de mes études, d'une famille qui, dès avril, s'envolait vers la
campagne, j'écoutais, auprès d'une grand-mère âgée, un peu somnolente et
quelquefois grondeuse, les cris stridents des martinets lancés dans l'azur
au-dessus des toits sombres et des laides cheminées noircies. Comme j'enviais
la liberté sans limites de leurs folles poursuites et l'allégresse de leurs
vertigineux battements d'ailes ! Un élan de gratitude me montait du cœur
vers ces messagers intrépides qui venaient peut-être de survoler quelques
minutes plus tôt les douces campagnes où les miens jouissaient sans moi de
l'enchantement du printemps.
Si le martinet nous quitte vers la fin de juillet, alors que
ses parentes, les hirondelles, ne songent guère au départ que six semaines plus
tard, c'est que, bien que purement insectivores comme elles, les insectes
qu'ils recherchent ne sont cependant pas les mêmes. À mesure que l'été
s'avance, on les voit de plus en plus fréquemment s'élever et disparaître dans
les profondeurs du ciel où deviennent de plus en plus rares les proies qui leur
sont nécessaires. Quand elles ont définitivement disparu, ils nous quittent,
les premiers de tous les migrateurs. C'est que, malgré la pleine chaleur de la
canicule, le soleil commence à baisser dans le ciel, et déjà, magnifique,
étincelle dans la nuit la grande planète des mois d'automne, Jupiter.
Pierrette MAGNE.
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