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La petite histoire

    « La chasse étant à la fois une richesse au point de vue économique et une source de recettes directes pour le Trésor, le Gouvernement a le devoir de chercher à en améliorer l'exploitation, »
    (M. Chéron, ministre de l'Agriculture, à la Chambre, le 17 mai 1923, lors de la présentation du projet de loi modifiant l'article 22 de la loi du 3 mai 1844.)

Beaucoup de personnes s'intéressent à l'organisation de la chasse, à son avenir et aux moyens de remédier aux maux dont elle est accablée, car il est évident que, continuant sur sa lancée actuelle, on est appelé à voir bientôt disparaître la dernière pièce de gibier, du moins en France.

Les « augures », se penchant à son chevet, se déclarent impuissants à conjurer le mal qu'ils rejettent sur le nombre des chasseurs croissant d'année en année. Or ce raisonnement est nettement une erreur, et la preuve en sera administrée au cours des quelques lignes qui vont suivre.

Je ferai donc une rapide présentation des organisations ayant pour objectif la défense des divers animaux-gibier sans, cependant, vouloir remonter jusqu'au déluge. On peut considérer plusieurs périodes ; avant 1914, de 1918 à 1921, de 1921 à 1934, de 1934 à 1939, de 1945 à nos jours.

La chasse soulève tout d'abord un problème d'ordre juridique : qui a le droit de chasser ? En principe, il semble que tout individu doive avoir ce droit, car il n'est que la manifestation des libertés dont la société, l'organisation politique, a la mission d'assurer l'exercice à tous. (C'est là la thèse que M. de Robespierre avait prétendu faire triompher le 20 avril 1790 à une réunion de la Constituante ; ce fut également le leitmotiv d'une proposition de loi assez récente présentée par un parti politique ; le bon sens français les fit échouer toutes deux.) Mais l'exercice de cette liberté de chasser se heurte à l'exercice d'une autre liberté, celle du propriétaire, dont le domaine foncier doit être respecté et qui peut s'opposer à ce qu'on s'y livre à des entreprises qui troublent son droit. En ce qui nous concerne, la Révolution française, pénétrée de la doctrine individualiste, qui fonde l'organisation sociale et économique sur la protection la plus minutieuse des droits de la propriété privée, a sacrifié la liberté du chasseur aux prétentions du propriétaire foncier, tant et si bien que l'on peut dire que, depuis 1789, le droit de chasse est devenu un droit de propriété (H. Delerue, La Réforme du régime de la chasse en France).

C'est également l'opinion de M. G. Gabolde, professeur de droit à la Faculté de Toulouse, qui l'exprime en ces termes dans sa brochure Le Droit privé français au milieu du XXe siècle : « La jurisprudence, toujours classique et conservatrice, n'a cessé de mettre l'accent sur le caractère du droit de chasse, attribut de la propriété. »

La question est donc tranchée, mais reste le fameux res nullius ! ...

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Avant 1914, M. Maurice Raynaud, alors ministre de l’Agriculture (ne pas confondre avec M. Paul Reynaud), avait organisé à son ministère un organisme dit : « Commission permanente de la chasse », que, du reste, il présida jusqu'à la fin ; ses membres, dont les fonctions étaient gratuites, qui ne recevaient aucune indemnité de voyage ni de séjour dans la capitale, des purs convaincus, étaient recrutés parmi les sommités cynégétiques reconnues comme telles. C'est à cette commission que l'on doit le vote de la loi du 1er mai 1924, modifiant, rajeunissant celle du 3 mai 1844.

On allait voir beaucoup mieux.

Effectivement, l'application de l'article 46 de la loi de finances du 31 juillet 1920 permettait qu'après certaines attributions à divers organismes il pouvait être attribué, par l'intermédiaire de l'administration des Eaux et Forêts, des subventions aux communes ou associations qui encourageraient la reproduction ou la conservation du gibier.

Il est possible de pouvoir affirmer, sans crainte de démenti, que là est le départ de toutes les organisations ultérieures, car, se sentant soutenus et encouragés ... pécuniairement, les chasseurs organisèrent partout avec enthousiasme des fédérations de chasse, après toutefois un certain flottement obligatoire, comme il s'en produit inévitablement lors de toute création.

C'est de cette loi également que datent certaines ... irrésistibles vocations plus ou moins tardives, qui, autrement, ne se seraient jamais manifestées.

Mais il ne s'agissait là que de subventions précaires, pouvant être supprimées du jour au lendemain ; devant le succès remporté par ce premier essai, les intéressés voulurent être certains du lendemain. L'un d'eux, dont il convient d'admirer l'énergie, obtint du parlement la loi qui, du reste, porte son nom : la « loi Guérin », en date du 28 février 1934, instituant un « crédit spécial pour l'amélioration de la chasse ». Et il y était précisé : « En addition au droit de timbre frappant les permis de chasse, il sera perçu un droit de 5 francs par permis, dont le produit sera consacré à l'amélioration de la chasse. Ce produit sera réparti par le ministre de l'Agriculture, après avis du Comité national de la chasse, du ministre de l'Intérieur et du ministre des Finances, dans les limites d'un crédit ouvert chaque année par la loi des finances et qui ne pourra dépasser 8 millions de francs. »

Le « Comité National de la Chasse », qui rendit tant de services, qui fut, du reste, puissamment aidé par les quatre grandes associations de chasse, lesquelles mirent leur influence et leur expérience à sa disposition, se composait au maximum d'une quinzaine de personnes, et il s'installa boulevard Saint-Germain, à Paris. Comme pour la « Commission permanente », les fonctions de ses membres furent gratuites, sauf pour les trois dernières années, où il leur fut accordé une minime indemnité de chemin de fer et de séjour ...

Si l'on sait qu'alors il y avait environ 1.500.000 (un million cinq cent mille) chasseurs, le budget du C. N. C. s'élevait à environ 7.500.000 (sept millions cinq cent mille) francs, avec lesquels il pourvoyait à toutes ses dépenses et subventionnait les fédérations. On ne peut dire que de son action il sortait plus de son que de farine ...

Ses buts étaient ceux spécifiés dans la circulaire du 10 décembre 1921 de la direction générale des Eaux et Forêts, et très objectifs comme tous ceux émanant de cette administration et auxquels on peut faire toute confiance dans l'intérêt de la chasse :

    a. Organisation rationnelle de la chasse (communalisation ou syndicalisation de la chasse), constitution de réserves de chasse.

    b. Réglementation restrictive de la chasse, limitation des jours de chasse, non-destruction de certains gibiers, protection absolue des femelles de certaines espèces, etc.

    c. Répression spéciale du braconnage (institution de primes et de récompenses, organisation de brigades mobiles, etc.).

    d. Institution par les associations cynégétiques, ou les communes de primes pour la destruction des animaux nuisibles au gibier.

    e. Repeuplement de chasses, acclimatation de nouvelles espèces de gibier.

Bref, tout un programme frappé au coin du plus pur bon sens. Pour quel motif ignoré ne s'y est-on pas conformé à la lettre ? Encore un de ces mystères, bien qu'il soit prouvé qu'alors le C. N. C. avait fait tous ses efforts en ce sens, mais se trouvait arrêté fréquemment, pour employer une expression à la mode, par le manque de devises ; mais après ?

Il est assez douloureux de rappeler les événements de 1939 ; le C. N. C. en subit le contre-coup, fut mis en sommeil, et nous arrivons à la dernière phase, la loi du 28 juin 1941, encore en vigueur.

Nous allons l'examiner sommairement.

Elle s'inspirait, évidemment, de celle de 1934, à cette différence près que ce n'était plus l'État qui subventionnait les chasseurs, mais eux-mêmes qui devaient verser — au début — une cotisation de 25 francs, dont le cinquième, soit 5 francs pour l'organisme remplaçant le défunt C. N. C., nommé le Conseil Supérieur de la Chasse (art. 4), une somme de 15 francs devant être obligatoirement affectée à l'entretien de une ou plusieurs brigades de gardes chargés de la police de la chasse dans le département.

L'« inventeur » de cette loi, qui, au surplus, avait joué un rôle particulièrement important au C.N.C., avait vu parfaitement juste, mais il fut dépassé par les événements, comme tant d'autres du reste ; le versement initial de 1941 de 25 francs fut porté à 50 francs en 1945, à 100 francs en 1946 et à 300 francs en 1948. Comme la part du C.S.C. restait invariablement fixée au cinquième, elle passa donc à 10, 20, finalement à 60 francs.

Calculées sur la base seulement de 1.750.000 chasseurs — alors que le nombre- est vraisemblablement appelé, pour l'exercice 1951-1952, à dépasser les 1.900.000 au moins ! — les recettes ne s'en élèvent pas moins à 525 millions, ce qui fait qu'avec divers chiffres antérieurs le budget du C. S. C. est prévu pour 147 millions, chiffre, on vient de le lire, inférieur à la réalité.

C'est beaucoup ...

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Le C. S. C., de même que la Commission permanente de la chasse avait fait voter la loi de 1924, a voulu faire sienne celle désignée sous le n° 6656 ; elle reçut, on le sait, tant des chasseurs que des cultivateurs et des propriétaires, un accueil plutôt frisquet, parce que, sans vouloir reprendre toutes les critiques qui ont été faites, M. Gabolde, déjà cité, les résume en un raccourci lapidaire : « Ce serait une atteinte déjà grave au droit de propriété foncière que comporterait le projet de loi du gouvernement ... » Cependant, si, en bonne justice, il faut tenir compte de certaines réalisations, à la vérité assez coûteuses, du C. S. C., si l'on s'était reporté à l'histoire de ces dernières années, on aurait appris que, d'une part, les initiatives de M. Mougeot quand il fut ministre de l'Agriculture vers 1904, s'étaient terminées en queue de poisson, que, de l'autre, une initiative de cette même commission permanente, dans un sens identique ou à peu près, avait subi un échec plus décisif encore. Peu avant le vote de la loi de 1924, un projet avait été soumis pour avis aux conseils généraux, qui n'avaient pas encore été dessaisis des prérogatives que leur conférait la loi du 3 mai 1844, de par celle du 26 juin 1941. Or les conseillers généraux donnèrent un avis défavorable, à la majorité.

Cependant des mesures sont à envisager ; sans vouloir reproduire in extenso, année par année, l'augmentation du nombre des chasseurs, ainsi que nous le montre la statistique dressée par M. P. Mouchon : La Chasse des oiseaux d'eau en France, quelques chiffres pris au hasard seront suggestifs. En 1830, il y avait 44.533 chasseurs, 125.153 en 1844, 360.000 en 1874, 619.000 en 1913, 1.500.000 en 1929 ; on a lu combien actuellement sont prévus ... Il est donc possible de pouvoir dire que, compte tenu de l'étendue de son territoire, 551 milliers de kilomètres carrés, c'est notre pays qui compte le plus de porte-fusils au kilomètre carré ... Il faut une limitation aux massacres effectués par pareille armée ; tous les États du monde l'ont compris : l'Amérique a imposé une limitation de pièces par journée ; passons sur la loi allemande du 18 janvier 1934, du reste abrogée et, au surplus, inapplicable partout ailleurs ; la Belgique est soumise aux dispositions des lois du 28 février 1882 et du 4 avril 1900, et, en dépit de la forte densité de sa population, 268 habitants au kilomètre carré contre 72 pour la France, elle possède des chasses giboyeuses, et l'on estime qu'elle a environ 5.000 cerfs, 12.000 chevreuils, 3.000 sangliers, pour ne tenir compte que du gros gibier. Ne parlons pas de l'Europe centrale, où la chasse est exploitée à l'instar d'une culture. En dépit du rideau de fer, il paraîtrait que des règlements particulièrement sévères existent en U. R. S. S., et, à côté de ce colosse, le petit Luxembourg fait bonne figure comme importance de son cheptel gibier, en dépit de ses 300.000 habitants et de ses 26.000 kilomètres carrés de superficie.

Donc, à peu près tout le monde a compris que la terre, outre les récoltes proprement dites, peut et doit largement rapporter dans une autre branche, au moyen d'une judicieuse exploitation du gibier.

Plus près de nous, on a l'habitude de citer, tel un modèle du genre, nos chères provinces de l'Est, l'Alsace et la Lorraine. « Distinguo ! » Chacun de ces trois départements a sa spécialité comme gibier, chacune de nature à contenter le chasseur le plus difficile, surtout ceux de 1'« intérieur » : de 1844 à 1881, il n'y avait guère plus de gibier que dans le reste de la France ; c'est le Parlement d'Alsace et de Lorraine qui a demandé l'application de cette loi locale toujours en vigueur, à la satisfaction générale. C'est pourquoi les chasseurs alsaciens et lorrains redoutent, comme j'en ai eu des échos directs, que, si une nouvelle loi était votée, elle ne leur soit appliquée, ce qui serait dans l'ordre des choses, puisque 12.000 ou 15.000 chasseurs, ne feraient pas le contrepoids de deux millions d'autres. D'autre part, dans le reste du pays, les habitudes et les besoins diffèrent sensiblement suivant les régions. Une loi rigide aurait pour premier effet de mécontenter tout le monde sans compensation d'autre part : il y a déjà suffisamment de points de friction en France sans en chercher volontairement d'autres ; en attendant, le statu quo est encore ce qu'il y a de mieux, bien que je sois un sincère admirateur des chasses de là-bas ...

Jacques DAMBRUN.

Le Chasseur Français N°657 Novembre 1951 Page 650