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La chasse au coq dans l'Isère

La chasse au coq fait énormément d'envieux, mais reste l'apanage du petit nombre. Elle exige des tireurs d'élite et des hommes vigoureux, habitués aux terrains les plus scabreux, sans qu'il soit question d'escalade. Il est indiscutable que, depuis une vingtaine d'années, les Dauphinois, et en particulier les Grenoblois, lassés à juste titre d'arpenter des plaines généralement vides de gibier dès la première semaine d'ouverture, se ruent sur la montagne. Ils ont raison. Devant les espaces immenses qu'il peut parcourir dans une seule journée, avec la certitude que tous les recoins n'ont pas été battus avant lui, l'ardent chasseur conserve au moins l'espoir, du premier matin à la chute du jour. Cependant cet enthousiasme est le plus souvent déçu. Pourquoi ? C'est ce que nous allons essayer de résumer pour avoir longtemps pratiqué nous-même cette chasse incomparable.

Tout d'abord, par « coq », nous entendrons le petit tétras, ou tétras-lyre, improprement appelé coq de bruyère, ou même faisan par les montagnards. Je signale toutefois, à titre documentaire, qu'un jeune chasseur de mes amis, dont la bonne foi et la science cynégétique, ne peuvent être mises en doute, a pu observer de près, l'année dernière, alors qu'il repérait les chamois en vue de l'ouverture, un spécimen sans doute unique de grand coq (mâle.) Il y avait du brouillard léger et il prit tout d'abord l'énorme oiseau pour un aigle royal. Il put s'approcher et le doute cessa lorsque, à la lorgnette, puis à l'œil nu, il put, profitant d'une éclaircie, examiner dans tous ses détails la tête de l'imposant volatile.

Volontairement je tais le nom du sommet recelant cette rarissime merveille. Je crois savoir, en effet, qu'il y a une douzaine d'années, en secret, un couple de grands tétras a été lâché dans les parages et jamais revu. Nous en reparlerons peut-être.

Autour de Grenoble, j'ai rencontré le petit tétras en abondance relative jusqu'en 1928 ou 1930. J'avais de bonnes jambes et, par abondance, j'entends la levée de quinze à vingt sujets au cours d'une journée de chasse. Bien entendu, sur ce nombre je n'en pouvais généralement tirer que cinq ou six dans des conditions acceptables, et j'étais très heureux quand je rapportais quatre, trois ou même deux tétras. Je l'ai chassé en Chartreuse, sur l'Alpette et le mont Granier, dans les terrains pleins de traîtrises, et vraiment dangereux pour les chiens, du Haut du Seuil, des Flèches de Malissard, etc. ... C'était mon coin préféré. En 1920, j'ai pu y camper huit jours et l'étudier à fond. Je l'ai chassé au Vercors d'un bout à l'autre de la chaîne allant du Moucherotte à la Moucherolle, évidemment dans ses cantonnements préférés que je connais également très bien, car l'espace est considérable ; je l'ai chassé enfin dans les innombrables bouquets de vernes entourant la base du Ferouillet, entre Laval et le Rivier-d'Allemont (Oisans), etc. ; je ne préciserai pas davantage, par ordre impératif d'amis plus jeunes, craignant que je ne sois trop bavard pour la sauvegarde de leurs intérêts particuliers. Passons ! Pour chasser le coq, rien ne remplace un bon chien d'arrêt ; j'entends un chien non seulement au nez sûr, mais docile et très entraîné. Il le faut prudent, ne serait-ce que pour sa propre sécurité. J'ai vu un chien de ce genre et je l'ai vu me rapporter un coq tombé à quelques centimètres d'un à-pic effroyable. Que le coq soit désailé ou palpite seulement sur un bord pareil devant un chien trop vif, et c'est le saut dans le vide. Cette cruelle mésaventure est arrivée à plus d'un chasseur. Le chien rêvé sera un pointer rassis, entre cinq et huit ans. Nous en connaissons d'impeccables. J'ai cependant chassé le coq avec un grand griffon courant que, sans trop de peine, j'avais dressé à ce sport. Il éventait de loin, quêtait doucement comme tous les courants sur la plume et donnait au départ un véritable hurlement. Il ne rapportait pas, mais trouvait le gibier et ne l'abîmait pas. Il en était arrivé à dédaigner le poil. C'est avec lui que j'ai tué le plus de coqs. La chose est paradoxale. Par contre, j'ai manié un setter de bonne origine qui ... mangeait le gibier, en particulier les coqs ... et lançait le chamois avec un plaisir évident. Le chamois était le premier gibier qu'il avait vu avec moi en montagne, malheureusement, et j'avais eu la sottise de le tirer. Tout comme un père de famille, j'étais le seul responsable de ce manque d'éducation.

J'ai pu faire une ultime chasse au coq, il y a deux ans, dans un secteur réputé du Villard-de-Lans, mais par un brouillard épais et froid aussi agréable que le « crachin » du Havre.

Les chiens, courageux, battirent consciencieusement airelles, framboises, genévriers rampants saturés, d'eau, touffes de fayards, etc., et visitèrent en connaisseurs tous les pieds des « rabougris » (1) si chers à nos gros oiseaux par temps humide. Nous ne vîmes pas un coq. Le lendemain, à la même place, mais par beau temps, un forestier en tournée contempla très près de lui deux magnifiques chamois, mais ne trouva toujours pas trace de coq.

L'explication, la voici : Dans notre longue randonnée, j'avais remarqué absolument partout des traces de moutons, et ceci m'autorise à faire cette première réflexion : « Ne cherchez jamais les coqs aux abords immédiats des troupeaux de moutons, quelle que soit la renommée des lieux. » Cette expérience, je l'ai faite souvent, et chaque fois elle a été confirmée. Le coq n'y sera exceptionnellement qu'à la remise. Bien plus que le chamois ou le lièvre, le coq a horreur du mouton. Il craint le troupeau en marche. Il craint le chien de berger. Il craint le berger lui-même. Il craint, je crois, jusqu'à l'odeur forte, envahissante et persistante de la crotte de mouton. Mais parlons un peu du berger.

Le berger, homme généralement sympathique, quatre-vingt-quinze fois sur cent est un destructeur. Maître absolu de la montagne dès le printemps, il détruit pour sa table, sans aucune vergogne, les nichées de jeunes coqs, aidé en cela par ses chiens. Il est friand des oeufs et ne se gêne pas pour tuer la mère sur le nid. Je ne parle pas du reste. Il faut avoir vu les peaux de lièvre accrochées dans les baraques comme des peaux de lapin au mois de juillet. Il faut avoir refusé le lièvre fraîchement tué et offert à un prix moyennement avantageux, ou rencontré le berger le fusil à la bretelle à la suite de quelque doublé énergique, pour être convaincu. Convaincu je le suis, et plus que doublement, par amoncellement des preuves. Or nul n'ignore que tous les pâturages accessibles sont livrés au berger. Par contre, on peut être assuré que, moins que le chasseur encore, le berger n'use ses munitions chères et rares contre la vermine, qui n'est pas ... rentable.

Autre réflexion. Il y a deux ou trois ans, si j'ai bonne mémoire, sous le fallacieux prétexte de « protéger les nichées », des autorités dites « compétentes » (?) avaient donné l'autorisation de chasser les coqs (mâles) au printemps, comme si la chasse clandestine aux « batteries » n'était pas suffisamment destructrice. Peut-on être plus innocent ? Je le dis, les coupables ne sont pas les chasseurs, quels qu'ils soient, mais ces autorités compétentes. Ce sont elles qu'il faudrait de temps en temps verbaliser. Mettez donc des enfants en liberté devant des pots de confitures diverses et recommandez-leur de ne pas tremper les doigts dans « la groseille ».

Enfin, troisième réflexion. Dominant encore le mouton, le chasseur et tous les nuisibles, restent les terribles intempéries au moment des nids.

Mauvais printemps, pas de première nichée. Mauvais mois de juillet, pas de deuxième nichée, autrement dit pas d'apport nouveau. C'est ce qui s'est produit l'année dernière.

Cette année, le temps a été propice. Les chasseurs de coq, dont je ne suis plus, pourront, ou auront pu, avoir quelque satisfaction, je le souhaite de tout cœur.

Malgré tout, autant que tout autre gibier, le petit tétras a diminué dans des proportions catastrophiques. Sa chasse, je l'ai dit, est l'apanage du petit nombre par sa difficulté, mais n'oublions pas qu'avec l'automobile ce petit nombre a grandi démesurément.

En montagne, l'axiome est certain : « Route nouvelle, facilité de plus, gibier en moins. »

Quand l'hélicoptère se mettra de la partie, tout sera fini.

J. LEFRANCOIS.

(1) Résineux mal venus dans la pierraille et branchus jusqu’au sol.

Le Chasseur Français N°657 Novembre 1951 Page 653