Si l'on admet que la principale caractéristique des
griffons, qu'ils soient de chasse, d'agrément ou de garde, est de porter barbe
et moustache, il faut bien convenir du fait que le drahthaar est un griffon.
Aussi discrets que soient ces attributs chez certains sujets, leur standard les
exige. Si, par leur origine artificielle et leur conformation, en outre par
leur caractère, les drahthaars sont plutôt des braques à poil dur, ils se
présentent néanmoins sous un aspect griffon, à la limite c'est certain, mais
griffon tout de même.
Cette considération n'a pas été étrangère à la récente
décision du Club français du griffon à poil dur d'adjoindre à sa désignation « griffon
Korthals » (1). L'équivoque est ainsi dissipée qui tendait à laisser
supposer qu'il n'existait qu'un griffon à poil dur et que drahthaars, stichelhaars
et Korthals n'étaient que des désignations de variétés plus ou moins nationales
d'une même race de chiens. Vraie tant que le griffon d'arrêt fut une race
européenne naturelle aux origines fort anciennes, cette unité s'est trouvée
rompue, malgré les efforts de Korthals et des continuateurs de son œuvre, dès
que les Allemands, vers la fin du siècle dernier, créèrent leurs griffons de
culture. L'essor pris aujourd'hui par ces derniers imposait cette distinction,
et l'on doit désormais admettre que les griffons d'arrêt comprennent, d'une
part, les descendants des griffons naturels ou Korthals, d'autre part, les
griffons de culture allemands, drahthaars et stichelhaars. À ces derniers, on
pourra ajouter le pudel-pointer à l'extrême limite de l'aspect extérieur
griffon. Tous ces chiens étant à poil dur, la distinction devenait d'autant
plus nécessaire.
Il importe peu, en l'espèce, que les nouveaux griffons allemands
soient des races artificielles, dès l'instant que leur fixité, encore relative
se précise et que surtout leur standard décrit sans équivoque un type de
griffon certain.
Du stichelhaar, nous dirons seulement que, greffé sur
griffon naturel par une pointe de poil court (braque allemand), après avoir été
d'abord un griffon cent pour cent sélectionné sur le caractère exclusif d'une
toison extra-dure, plus courte et bien collée au corps, il conservait sinon le
caractère, du moins le squelette griffon. Ce n'est que peu à peu, à mesure que
l'apport de sang braque fut intensifié, qu'il perdit sa conformation griffonne
pour devenir plus enlevé, plus court et plus long colleté, mais il paraît de
plus en plus s'effacer devant le drahthaar.
Officiellement ce dernier ne revendique aucune fraternité
griffonne naturelle. On ne peut cependant concevoir qu'il n'ait été greffé
aussi sur la souche griffonne orthodoxe ; certains sujets le prouvent
bien. Mais l'apport de sang étranger fut moins timide que chez le stichelhaar ;
le braque allemand a pour sûr donné son appoint pour la teinte marron,
notamment, qui longtemps caractérisa la nouvelle race ; le pointer dut
venir après, achevant de modifier le squelette ; d'autres apports ont dû
contribuer à obtenir son poil particulier. Entre les mains d'éleveurs
connaissant bien ses origines vraies, capables de sélectionner et de doser les
alliances comme le sont beaucoup d'allemands, cette race doit affermir sa
fixité, surtout si ses supporters savent bien définir le type qu'ils désirent.
Mais il est peu probable que les amateurs français séduits par les qualités de
certains sujets obtiennent autrement que par hasard et maintiennent surtout cet
équilibre difficile, propre des races artificielles. Il eût fallu longtemps
pour fixer le pointer si, au départ, la destinée de ce dernier s'était trouvée
entre les mains de la foule ignorante des bricoleurs de notre temps.
Or on observe un flottement dans le type idéal recherché.
Certains drahthaars, que nous considérons, peut-être à tort aux yeux de ses
protagonistes, comme typiques, se présentent sous poil particulier, rêche, bien
dur, rude pour mieux nous exprimer, rappelant la toison de certains chiens de
berger communs ou du griffon courant nivernais. Ce poil est tout à fait
différent de celui du griffon à poil dur orthodoxe ; il est plus plat,
bien plus serré et plus court, ne présente jamais de parties ébouriffées, pas
de frisures ni de ces boucles qui, chez les meilleurs griffons, apparaissent
souvent, surtout à certaines époques, autour des membres et quelquefois en
tête. Les sujets ainsi vêtus ont peu ou n'ont pas de sous-poil, ils sont marron
unicolores avec parfois un peu de blanc sous le poitrail. Outre les autres
particularités squelettiques, ces chiens ne peuvent aucunement être confondus
avec le griffon korthalsien ; c'est pourquoi, répondant par ailleurs au
type primitif drahthaar, de tels sujets nous apparaissent comme devant répondre
au type idéal.
Pourtant, tel ne paraît pas être le point de vue des orientateurs
de la race. En effet, d'autres sujets se présentent sous robe et sous poil de
griffon orthodoxe, gris-acier avec ou sans taches marron ; leur poil n'est
pas, comme celui des précédents, absolument particulier ; il est moins
plat, moins rêche, peut-être aussi moins serré ; il ressemble étrangement
à celui du griffon Korthals, à la bourre près, qui n'existe pas toujours. Ces
chiens, plus grands, plus enlevés, ont la tête plus sèche, l'œil souvent jaune
clair d'oiseau de proie, pourtant proscrit par leur standard. Bref, ils se
présentent comme de mauvais griffons korthalsiens, à tel point que, présentés
avec ces derniers, bien peu de juges les rejetteraient de la classe, et la
plupart leur octroieraient une mention. Cela s'est vu souventes fois.
Or ce sont justement les sujets de ce type qui semblent
recueillir les faveurs en enlevant les prix. À la dernière exposition de Paris,
une dizaine de drahthaars étaient présentés, presque tous dans cette formule.
C'est à l'un d'eux que le juge attribua le C. A. C., et c'est un juge qui
connaît particulièrement cette race. Il est exact que le standard décrit un
chien se rapprochant très près du griffon korthalsien. Un peintre animalier qui
voudrait reproduire un spécimen des deux races au vu de leur standard respectif
serait bien embarrassé pour dessiner deux chiens nettement différents. Tout se
passe comme si l'orientation du drahthaar était dirigée vers la reconstitution
artificielle du griffon à poil dur naturel. On, se demande alors pourquoi.
Quelles que soient les qualités pratiques du drahthaar, elles ne sont ni supérieures,
ni inférieures à celles du korthals ; c'est toujours là affaire de famille
ou de sujet, surtout d'entraînement, et ce n'est pas parce qu'un griffon
d'arrêt orthodoxe a remporté la palme cette année aux field-trials d'Alsace,
devant les chiens allemands — alors que dans un autre concours la chance
tournera au profit de ceux-ci, — que l'on peut en conclure une supériorité
définitive d'une race sur l'autre.
Dans quel but les éleveurs de drahthaars cherchent-ils donc
un type de nature à créer une confusion, alors qu'ils ont des chiens vraiment
particuliers dans la formule feuille-morte unicolore à la singulière toison ?
La confusion, elle résulte du standard, de cette robe gris-acier
qui n'était pas la robe primitive, de ces sujets côtoyant le cercle extrême
enfermant les tolérances du Korthals et hautement primés. Pour le moment, elle
ne saurait troubler que le profane où l'amateur insuffisamment averti ;
ceux-ci voient dans les boxes d'exposition un griffon à la tête bien ciselée,
au corps typiquement korthals, étiqueté d'un premier prix, mais souvent aussi
d'une récompense bien plus modeste en raison de la concurrence ; un peu
plus loin, il en voit un autre ressemblant étrangement à celui qui, dans
l'autre travée, n'a même pas reçu une mention ; il est marqué d'un premier
prix. L'amateur consulte le catalogue : ce dernier chien est un drahthaar.
Il renonce à comprendre.
Pour comprendre, il faudrait qu'il puisse comparer les deux
sujets côte à côte ; il pourrait voir alors ce que peu de curieux ont
observé à l'exposition de Paris.
Griffons Korthals et drahthaars étaient jugés au même
instant dans deux rings contigus. Ces chiens qui, assis dans leurs boxes,
pouvaient prétendre, à l'oeil non averti être de même race, debout et dans
l'action ne pouvaient être confondus. Les griffons korthalsiens, félins, marchaient
comme les fauves ; ils étaient presque tous près de terre, presque settériformes.
Les drahthaars, tête hautement emmanchée, le ventre haut, sur longues pattes,
présentaient un contraste frappant. Les supporters de ces deux races ont perdu
une belle occasion d'offrir aux juges, et aux amateurs une utile leçon de
choses, et, soit dit en passant, ils seraient fort bien inspirés en instaurant
de temps en temps des présentations comparatives de ce genre. Elles feraient
bien plus que commentaires, polémiques et discussions sur le papier. Or les
griffons korthalsiens en question étaient justement ceux qui avaient été
conviés à ce concours spécial des titulaires de C. A. C. dont nous avons parlé
dans un article précédent (1) ; c'est dire qu'ils étaient typiques.
Départagés par un jury composé de trois grands connaisseurs, ce sont, en mâles
et femelles, les sujets les plus près de terre, les plus félins, qui ont été
classés les premiers. Le drahthaar qui sortit du ring nanti du C. A. C. était,
comme ses concurrents, un grand chien haut sur pattes.
Il eût été curieux de mesurer les longueurs relatives des
lauréats des deux concours. Le standard du griffon Korthals veut un chien
plutôt long, près de terre, mais ne donne pas de précisions chiffrées. On s'est
toutefois accordé dans le temps pour admettre que le corps du griffon à poil
dur, de la pointe de l'épaule à celle de la fesse, devait accuser un dixième de
plus que la hauteur au garrot. Nous pensons que cette proportion est une limite
inférieure ; les photographies des meilleurs sujets de l'époque korthalsienne
(groupe de quatre étalons de Korthals, capitaine Fracasse, Yvan de Moulignon,
pour ne citer que des mâles, pourtant très nettement moins longs que les
femelles) semblent bien accuser davantage. Or le standard du drahthaar, lui,
précise : longueur du corps supérieure à la hauteur de 1/10.
Si les drahthaars de l'exposition de Paris étaient dans ce
standard, point ne serait besoin de mesurer les korthalsiens pour établir que
l'idéal est pour eux une proportion supérieure. Mais, si les korthalsiens
classés premiers étaient dans cette proportion, les drahthaars n'étaient pas
conformes au standard. Or, si ces proportions doivent être les mêmes le jour où
le drahthaar s'enfermera dans le gabarit korthalsien, vêtu tout comme lui, la
confusion sera complète. Est-ce le but poursuivi par ses supporters ?
Si nous insistons sur ces proportions qui, à l'heure
actuelle, en dépit du standard du drahthaar, font la plus grande différence
entre un griffon korthals et un drahthaar à manteau korthalsien, c'est en
raison de leur très grande conséquence. Beaucoup de griffons Korthals tendent à
un allongement des pattes sans que le corps suive le même sens. Que nous
importe, disent certains, nous voulons, des chiens qui galopent ! Bien
mauvaise raison qui, la plupart du temps, excuse une infusion occulte de poil
court galopeur. Mais le setter ne galope-t-il pas ? Le cob est fait pour
la vitesse courte, pour les déboulés foudroyants ; mais le coffre profond,
le rein plus long, l'arrière-main harpée, l'angle du jarret prononcé, qui font
l'animal près de terre, assurent la vitesse longue, un galop soutenu pour
grandes randonnées. Tel était conçu le Korthals et tel il doit rester pour
conserver ses qualités morales, étroitement liées à son physique. En désignant
comme meilleurs sujets, parmi tous les teneurs de C. A. C., les corps longs,
les sujets près de terre à l'allure féline, le jury du concours spécial a
réhabilité le vrai griffon, celui qu'on appelait jadis « chat de Korthals ».
En oubliant cette particularité, on renie le standard et les leçons de son
auteur, on démolit la nature griffonne (est-il dans quelque race que ce soit un
griffon naturel qui soit cob ?) et le drahthaar est là pour nous montrer
qu'il est plus difficile de construire.
Mieux est, alors, de conserver.
Jean CASTAING.
(1) Voir Le Chasseur français, n° 656, octobre 1951.
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