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Les poissons marins venimeux

Les poissons venimeux sont surtout abondants dans les eaux équatoriales. Nous en avons toutefois sur nos côtes françaises quelques-uns dont il faut connaître les caractéristiques pour en éviter les désagréments.

D'une façon générale, ils portent des épines aux opercules ou à la queue, et certaines nageoires, le plus souvent les dorsales, comportent des glandes venimeuses ou simplement un mucus organique susceptible d'envenimer les plaies. Le plus souvent, d'ailleurs, la manipulation de ces poissons peut entraîner l’endolorissement de plaies déjà existantes sur les mains simplement par l'action d'un mucus ; mais, dans certains cas particuliers, il y a véritablement glande à venin placée à la base d'un dard.

Sur nos côtes, ce sont surtout les vives et les raies du genre pastenague qui peuvent être dangereuses. Parlons d'abord des vives, dont nous avons en France deux espèces : la petite vive, ou vive-vipère, qui dépasse rarement une douzaine de centimètres, et la vive ordinaire, qui atteint souvent 30 à 35 centimètres. La grande vive est d'une couleur jaunâtre foncée sur le dos, blanchâtre sur le ventre, avec des stries jaunes ou brunes. Elle porte aux opercules deux dards et, sur le dos, deux dorsales dont la première a des rayons en forme d'épine tendant une membrane fixe et noire. Les épines de la dorsale, comme l'épine operculaire, contiennent deux gouttières profondes aboutissant à deux glandes qui sécrètent un venin. Le venin de la grande vive est un peu moins douloureux que celui de la vive-vipère. Cette dernière est un petit poisson de 10 à 12 centimètres qui vit le plus souvent dans le sable, sa tête en émergeant à peine, et particulièrement dangereux tant pour ceux qui se promènent sur la plage que pour les pêcheurs qui veulent le décrocher de leur hameçon. La vive mord très facilement à l'hameçon et, dès qu'elle est capturée, elle hérisse ses opercules et sa dorsale ; la décrocher ne sera pas chose facile. Il faudra prendre un linge épais, de la toile de sac par exemple, la saisir par les flancs et couper immédiatement dorsale et opercules ; si on n'a pas de ciseaux, on coupera rapidement la tête de l'animal avec un couteau.

Le venin des vives est particulièrement violent et douloureux. La piqûre donne tout de suite une sensation de brûlure qui dure plusieurs heures et parfois une journée. La douleur est très forte et très localisée ; chez les personnes fragiles, il peut y avoir fièvre, délire, vomissement biliaire ; chez les cardiaques, les pulsations du cœur s'accélèrent. Ce poison est très violent et il suffit d'en injecter quelques gouttes à un cobaye pour qu'il meure en une minute.

Le traitement est assez simple. Il suffit d'une petite injection d'une solution de permanganate ou de formol à 5 p. 100. De toute façon, si l'on n'a rien sous la main, il faut toujours laver la plaie, désinfecter, faire saigner, appliquer une lotion rafraîchissante sur la piqûre.

L'autre poisson venimeux de nos côtes est la raie, dite pastenague, ou terre, ou bastampe. Cette raie comporte contre sa queue un aiguillon dur, long d'une dizaine de centimètres, particulièrement redoutable. Une aiguille de pastenague plantée dans les racines d'un arbre fait mourir cet arbre, disait Pline. Cette observation n'est pas fondée, mais montre toutefois la crainte que doit inspirer ce poisson.

Or la pastenague mord très facilement à la ligne et, certaines années où elle abonde, les pêcheurs de surf-casting en tirent souvent de l'eau qui peuvent peser de 5 à 15 kilogrammes. Il ne faudra évidemment pas essayer de la décrocher tout de suite. Il faudra d'abord essayer de tuer l'animal au couteau ou couper l'aiguillon à sa base. La piqûre est très douloureuse et, dans certains cas (personnes délicates ou enfants), peut être mortelle. Ici encore, une petite injection de permanganate ou de formol entraînera une rapide guérison. Dans tous les cas, il sera bon de rentrer chez soi et de se coucher une bonne journée.

Il y a lieu de se méfier aussi des morsures de certains petits requins comme le chien de mer, dont la morsure provoque souvent des plaies guérissant mal.

Et voici pour nos eaux métropolitaines. Dans les eaux chaudes, les poissons à venin sont beaucoup plus abondants. Certains poissons ont la chair imprégnée de venin, tel le tétrodon. Le poisson des îles Hawaï dit « muki-muki » a une chair chargée de poison dont l'ingestion entraîne une crise de paralysie et, assez souvent, la mort ; ce venin semble surtout agir sur les nerfs de l'estomac, et parfois la mort survient à la suite d'une paralysie du cœur. Le seul traitement à l'ingestion de ce venin que craignent particulièrement les indigènes consiste en l'ingestion d'émétique pour provoquer le vomissement le plus rapidement possible.

Dans certains cas, certains poissons de mer ont des rogues, c'est-à-dire des ovaires toxiques ; c'est le cas des vieilles ou ladres, poissons de rochers.

Surtout dans les régions tropicales, la chair d'un poisson peut devenir nocive par suite d'une putréfaction très rapide entraînée par les ptomaïnes, mais qui sont détruites, heureusement, par la cuisson. Aussi est-il prudent de faire toujours bien cuire la chair d'un poisson dont la fraîcheur est douteuse.

Il convient toutefois de ne pas exagérer le danger des poissons venimeux sur nos côtes. Le plus souvent, il n'en résultera qu'une piqûre qui restera douloureuse pendant une ou deux heures ; ceci arrive d'ailleurs assez rarement, mais il vaut mieux que le pêcheur soit prévenu.

J'oubliais de dire que, chez la pastenague, il n'y a pas à proprement parler de glandes venimeuses à la base de l'aiguillon ; c'est au contraire à l'extrémité de l'aiguillon que se trouve une ligne de tissus de couleur blanche que l'on ne voit guère qu'au microscope ; ce sont les cellules de ces tissus qui peuvent sécréter le venin. Il est donc inutile d'aller chercher à la base l'aiguillon, chez la raie venimeuse, pour l'en amputer ; il suffit de couper cet aiguillon vers sa moitié.

LARTIGUE.

Le Chasseur Français N°657 Novembre 1951 Page 665