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Automobile

Pour "gonfler" son moteur

Certains automobilistes, possesseurs de voiture de série, cherchent à accroître la vitesse de pointe et, partant, la puissance de leur moteur. Ils sont poussés soit par le désir de se distinguer parmi les autres utilisateurs de véhicules de même marque et type, soit par la nécessité de réaliser des performances remarquables au cours de courses, rallies et autres compétitions si courantes aujourd'hui.

Nous avons souvent dit ce que nous pensions des dangers qu'entraîne une telle pratique. On peut gagner des chevaux, mais c'est toujours sur la marge de sécurité laissée par le constructeur. C'est surtout sur les voitures de grandes séries que l'ingéniosité des chercheurs se donne libre cours. Nous avons pu remarquer telle quatre-chevaux, dont la vitesse normale en palier est de l'ordre de 95, atteindre et même dépasser, dans certaines compétitions, 120 kilomètres à l'heure. Les comptes rendus de presse nous parlaient, sans rire, de voitures strictement de série. Or, en regardant d'un peu près, on doit bien convenir que la plupart des organes du moteur ont été modifiés ou transformés sérieusement.

Tel accessoiriste met sur le marché, adaptable au type du moteur en question, une tubulure spéciale d'admission assurant une alimentation directe sans freinage et une évacuation rapide des gaz brûlés et des calories. Il prétend faire passer la puissance d'origine de 18 à 25 CV. Un autre, allant plus loin, a étudié spécialement une culasse, un arbre à came, un carburateur, un carter adaptables. Un troisième propose une boîte à 4 vitesses accroissant les performances et les reprises en palier et en côte. D'autres, enfin, préconisent le remplacement de vos bielles par des bielles en duralumin forgé et traité, avec montage de coussinets minces, donnant un allégement sensible de l'attelage mobile, d'où un plus grand nombre de tours-minute.

Qui dit vitesse dit tenue de route ; aussi la question suspension générale, triangulation et stabilisation du train avant, fait l'objet de recherches sérieuses. Chaque marque a trouvé ses spécialistes, dont les traitements fortifiants sont aptes à rendre la voiture dopée plus agressive. Quatre-chevaux Renault, 203, traction avant, Simca-8 sont particulièrement visées. Que penser de telles transformations ?

Pour le conducteur calme et pondéré qui ne veut demander à son véhicule qu'un long usage avec le minimum d'ennui — c'est-à-dire l'immense majorité,—nous ne saurions guère recommander de récupérer quelques chevaux sur une voie aussi onéreuse que dangereuse. Quant au sportif, c'est tout différent. Remarquez que les constructeurs eux-mêmes n'engagent guère leurs clients à se livrer à de telles fantaisies. En effet, chacune de nos grandes marques possède des laboratoires particulièrement bien outillés en appareils de mesure et de contrôle ; elle s'est livrée à de longs essais sur route et sur piste et bénéficie de l'expérience de ses agents et surtout du grand public. Elle connaît les points faibles de ses véhicules et sait parfaitement que, si on y remédie, d'autres défauts beaucoup plus graves vont prendre naissance. La mécanique est un peu comme la diplomatie, elle n'est faite que de compromis. Ce qu'on gagne d'un côté, on le perd le plus souvent d'un autre. Il importe donc d'être très circonspect.

Tel chercheur a d'excellentes, idées, mais possède-t-il les moyens suffisamment puissants pour mesurer, calculer ou prévoir toutes les incidences immédiates ou futures que ces « améliorations » pourront avoir sur la vie ou le comportement de la voiture traitée ? N'oublions pas que l'automobile moderne est mise entre toutes les mains et que les mains les plus inexpertes doivent pouvoir tirer le maximum de satisfaction avec le minimum d'ennuis. Le conducteur expérimenté, fortuné, sportif, bricoleur et que les questions mécaniques passionnent, pourra, par contre, se pencher avec plus d'intérêt sur toutes les transformations que le marché lui présente. Certaines seront entreprises par lui-même.

Il faut bien dire aussi que le prix de revient est la grande hantise des bureaux d'études. Une solution peut être jugée très avantageuse aux essais sur prototype, mais être rejetée pour cause de difficultés d'usinage ou de complications mécaniques incompatibles avec le prix de réalisation. Le fini a son mot à dire également, ainsi que nous le verrons plus loin. On gagne de la puissance en polissant, équilibrant ou encore en usinant avec précision des surfaces souvent laissées brutes dans la série. Une construction ne peut s'engager sur cette voie que pour des modèles de grand luxe. L'artisan ou l'usager amateur habile pourront se livrer à un tel passe-temps. Mais, attention, une modification donnée, passée au banc d'essai, se traduira par un grand bravo, alors que la consécration de la route, la seule qui compte, lui sera toujours refusée. Certains moteurs construits avec une marge de sécurité plus grande supporteront mieux que d'autres et seront plus sensibles au « gonflage ». Le processus reste le même.

Le premier point à considérer est la culasse. C'est par elle qu'on accroîtra le taux de compression et améliorera le brassage des gaz. On procédera à un ébarbage et polissage aussi parfait que possible, au grattoir et à la toile émeri, des chambres d'explosions et collecteur d'admission et d'échappement. On agrandira dans la mesure des possibilités les entrées de ces collecteurs. On peut pousser la question plus avant encore en complétant ce polissage par un revêtement externe électrolytique dans le but de supprimer les points chauds éventuels, cause d'auto-allumage. Enfin, opération délicate, on procédera au rabotage de la culasse, dont le résultat, en diminuant le volume de la chambre d'explosions, est d'accroître le taux de compression. Il est dangereux de dépasser le chiffre de 7,5, à moins d'utiliser des carburants spéciaux antidétonants. L'épaisseur à enlever sur la culasse peut varier de 1 à 2 mm. Connaissant l'alésage et la course du moteur, ainsi que le volume de la chambre d'explosions mesuré à l'aide d'un liquide quelconque — huile par exemple, — il sera facile de déterminer l'épaisseur à raboter afin d'obtenir le rapport volumétrique désiré.

Nous savons que des spécialistes présentent des montages particuliers évitant d'exécuter, ou de faire exécuter, les travaux ci-dessus, tels que culasse spéciale avec passages de gaz agrandis et soupapes d'un diamètre plus important. Le tout complété par des tubulures d'admission de sections plus grandes avec parfois double carburateur. Mais il n'y a pas de limite sur la voie de la recherche des hauts rendements.

Si l'on veut pousser plus loin, on assurera une plus haute levée des soupapes tout en modifiant les durées d'ouverture par un échange d'arbre à cames. Mais c'est là une question qui sort du cadre des transformations primaires. On se borne le plus souvent à monter des pistons spéciaux plus légers. Quelquefois on étend l'échange aux bielles, qui sont choisies en alliage léger, voire entièrement usinées. Mais, avec l'accroissement du régime du moteur, le problème de l'équilibrage se pose. On équilibrera donc parfaitement le vilebrequin, le volant d'embrayage et les bielles si celles-ci sont restées d'origine. On touchera assez peu à l'allumage, sauf pour prévoir une avance à main, si celle-ci fait défaut. Enfin, une fois tout en place, on s'apercevra souvent que la température de fonctionnement a considérablement monté et que le graissage risque d'être insuffisant. Il sera sage de prévoir un carter d'huile d'un volume plus grand ou plus refroidi et d'augmenter la hauteur du pignon de la pompe à huile afin d'obtenir un débit supérieur.

Le choix du meilleur couple conique du pont arrière, assurant un rapport de démultiplication acceptable en palier comme en côte, va ensuite se poser. Les constructeurs ont souvent plusieurs couples prévus pour un même type. On n'adoptera le plus grand rapport que dans le cas de résultats brillants et si l’on possède une boîte à 4 vitesses, sinon on risque d'être sérieusement handicapé dans les reprises et en côte. La boîte à 4 vitesses diminuera la consommation ou améliorera les performances. On trouve dans le commerce des boîtes 4 vitesses adaptables sur la plupart des marques qui en sont dépourvues, avec ou sans surmultipliées, électromagnétiques ou non. La suspension générale demandera un examen attentif. On veillera particulièrement sur les amortisseurs, qui donneront une suspension sinon dure, tout au moins assez ferme. Les suspensions avant indépendantes ont souvent donné naissance à un manque de rigidité des trains avant ou arrière, très désagréable dans les hautes vitesses. On y a remédié avec des systèmes de triangulation ou de stabilisation plus ou moins heureux. Les roues elles-mêmes ne seront pas oubliées sous le rapport équilibrage et allégement.

Tout ceci bien au point, les factures réglées — une culasse spéciale y figurant pour 30.000 francs, les tubulures 3.000, un jeu de roues légères 30.000, une boîte 4 vitesses 50.000, etc., — au premier galop d'essai, avec votre 2 litres de tout le monde, vous trouverez sous votre capot 10 CV de plus et, tout se passant bien, vous arriverez à dépasser le 125 en palier. C'est toute la chance que nous vous souhaitons.

G. AVANDO,

Ingénieur E. T. P.

Le Chasseur Français N°657 Novembre 1951 Page 685