Accueil  > Années 1951  > N°657 Novembre 1951  > Page 698 Tous droits réservés

La génération spontanée est-elle possible ?

Les enseignements des sciences expérimentales ne peuvent jamais avoir un caractère absolument définitif ; on remet ainsi souvent en question des théories que l'on croyait complètement abandonnées !

Voici maintenant que l'on nous signale, à nouveau, les soi-disant possibilités de la génération spontanée, que l'on croyait définitivement condamnée à la suite des travaux de notre grand Pasteur.

Dans l'antiquité, les naturalistes admettaient fort bien la naissance spontanée des souris dans les meules de blé et même la formation des grenouilles par les boues des marais ! Il est vrai, sans doute, qu'ils ne connaissaient pas encore les phases des métamorphoses des têtards.

Au XVIIe siècle, même, on n'avait pas encore discerné les transformations des vers de viande, et l'on s'imaginait que les mouches naissaient spontanément sur la viande putréfiée. Les fameuses expériences de Pasteur, qui devaient démontrer l'impossibilité de ces phénomènes, même pour les infusions et les microbes, ne datent que de 1860. Elles ont donné naissance aux notions d'asepsie et d'antisepsie, bases, jusqu'à présent, de la médecine et de la chirurgie modernes.

Les adversaires de Pasteur soutenaient, à ce moment, que des germes microbiens pouvaient prendre naissance dans un liquide, par exemple dans un bouillon, absolument stérile, et uniquement par génération spontanée.

Pour démontrer le contraire, le savant prit un ballon de verre, dont le bouchon était fermé par une tubulure très fine et recourbée, l'extrémité étant en contact avec l'air atmosphérique. Mais, en raison de la courbure accentuée de cette tubulure, les poussières s'amassaient dans le coude ; elles y étaient retenues et ne pouvaient pénétrer dans le ballon.

Pasteur remplit le ballon d'un bouillon et fit bouillir le liquide, de façon à détruire tous les germes ; puis, ayant placé la tubulure sur le bouchon, il abandonna le système pendant plusieurs mois.

Après ce laps de temps, le savant reprit son dispositif et examina le liquide ; aucune altération ne put être constatée, et l'analyse microscopique confirma qu'aucun germe n'avait pris naissance. Depuis cette date, c'est-à-dire depuis près de cent ans, le ballon de Pasteur est, d'ailleurs, resté dans cet état primitif et permet à chacun de se rendre compte de la véracité des affirmations pasteuriennes.

Les théories de Pasteur n'ont pas seulement amené une transformation de la médecine et de la chirurgie ; elles sont largement appliquées à l'hygiène préventive, et même à l'industrie, et, jusqu'à présent, personne ne songeait à les discuter.

Récemment, pourtant, les journaux de la presse quotidienne nous ont fait part d'une surprenante découverte de savants russes, et, en particulier, des travaux du Dr Bochian. Ces chercheurs auraient montré la possibilité d'une génération spontanée de germes vivants, ou, tout au moins, la transformation, dans certaines conditions, d'éléments minéraux en éléments vivants.

Les biologistes et les médecins ont reconnu aujourd'hui la présence comme agents actifs de certaines maladies d'éléments vivants visibles avec des microscopes ordinaires, de formes et de dimensions différentes, auxquels ils ont donné le nom de microbes ; mais, plus récemment, les ultra-microscopes optiques, et, surtout, les microscopes électroniques, à très grande puissance, ont permis de déceler également l'existence de virus, c'est-à-dire d'éléments tellement minuscules qu'on ne pouvait les percevoir avec un microscope ordinaire. Les virus seraient pourtant responsables d'un grand nombre de maladies et, en particulier, de la grippe.

D'après les premières indications obtenues, les savants russes auraient pu obtenir, dans certaines conditions, la transformation des virus en microbes. Pourquoi parlerait-on alors de génération spontanée ? C'est parce que les virus sont quelquefois à l'état cristallin, et plus ou moins inerte, en particulier lorsqu'il s'agit d'éléments concernant les maladies des plantes.

Il s'agit donc là, surtout, de corps de constitution chimique rudimentaire, dont l'état n'est pas bien défini et qui sont à la limite entre le règne minéral et vivant. Pourtant, les savants russes sembleraient assigner également à ces virus un caractère vivant ; ainsi, la transformation des virus en microbes ne pourrait-elle être considérée comme une génération spontanée et la transformation d'éléments minéraux en éléments animaux.

Par ailleurs, les journaux russes soutiennent que le Dr Bochian aurait obtenu des microbes vivants en utilisant certaines préparations stériles, telles que la pénicilline ou la streptomycine ; il aurait même cultivé des virus comme des microbes en employant des bouillons artificiels convenables.

Sans doute tout cela n'est-il pas très, très précis, et d'autres chercheurs russes ont soutenu la possibilité de formation de virus simplement à partir de l'albumine d'un œuf de poule. C'est là une affirmation d'une portée beaucoup plus grande, mais qui ne semble pas, jusqu'à présent, pouvoir être démontrée par des preuves absolument convaincantes.

Que devons-nous en conclure ? Les méthodes d'investigation moderne et, en particulier, l'emploi des microscopes électroniques, qui permettent d'obtenir des grossissements de plus de 100.000, autrefois inconnus, nous permettent de mieux étudier des corps autrefois invisibles, tels que les virus, et qui semblent ainsi constituer une sorte de transition entre les végétaux et les animaux. Mais cette transformation des virus en microbes a déjà été étudiée, et, en particulier, par des savants français, et l'on ne saurait affirmer qu'il s'agît là, pour le moment, d'une génération spontanée.

La science moderne reste toujours basée sur les théories de Pasteur, et nous ne pouvons les abandonner sans avoir des preuves plus convaincantes qui manquent encore. Attendons des faits et des précisions, en nous en tenant aux méthodes de raisonnement scientifiques, sans introduire aucune passion dans nos recherches !

P. HÉMARDINQUER.

Le Chasseur Français N°657 Novembre 1951 Page 698