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Un charlatan célèbre

Le Docteur Mesmer

Au numéro 16 de la place Vendôme, où habita le financier Hertaut, arriva, dans les derniers mois de l'année 1778, un médecin allemand, Mesmer, auteur de la doctrine du magnétisme animal et inventeur d'un baquet miraculeux. Il se trouvait alors à l'apogée de sa célébrité, et chaque jour voyait augmenter une clientèle que lui avait faite le bruit de prétendues guérisons. Ne pouvant plus magnétiser ses malades individuellement, il eut l'idée de les distribuer en groupes de quinze ou vingt personnes, auxquelles il administrait collectivement des passes salutaires. Dès ce moment, ces séances connurent une énorme affluence, et tout le monde ne pouvait trouver place autour de ce merveilleux baquet, dont voici la description qu'en firent certains chroniqueurs :

Au milieu d'une salle éclairée par un demi-jour se trouvait une cuve en bois de chêne, haute d'environ 50 centimètres et ayant un diamètre de près de 2 mètres. Fermé par un couvercle, l'engin avait l'aspect extérieur d'une table circulaire. Remplie d'eau jusqu'à une certaine hauteur, elle contenait au fond un mélange de limaille de fer et de verre pilé. Sur ces substances étaient couchées des bouteilles pleines d'eau qui, rangées symétriquement autour de la caisse, avaient leurs goulots tournés vers le centre de celle-ci ; d'autres bouteilles, également pleines d'eau, mais disposées en sens inverse, partaient du centre et rayonnaient vers la circonférence. Le couvercle était percé de trous par lesquels sortaient un nombre égal de tiges de fer, dont une extrémité plongeait dans l'eau, tandis que l'autre, terminée en pointe, se recourbait et était destinée à être tenue par les malades. Les patients, assis sans mot dire autour du baquet, tenaient chacun une des tiges dont ils appliquaient la pointe sur la partie malade et attendaient l'agent mystérieux qui devait les guérir. Mesmer prétendait, en effet, que la cuve était le réservoir dans lequel venait s'accumuler le magnétisme animal, la panacée par excellence, qui venait pénétrer ensuite dans le corps des malades pour y apporter la santé ! Afin de faciliter l'action du fluide, les malades communiquaient entre eux au moyen d'une longue corde qui, partant du baquet, leur entourait le corps. De plus, pour qu'ils puissent participer entièrement à la communion magnétique, Mesmer les soumettait à des passes et des attouchements. Il appuyait sur la partie malade une baguette de fer qu'il tenait à la main et qui avait passé pour avoir la propriété de concentrer le fluide dans sa pointe. Pour compléter la mise en scène, un harmonica était placé dans l'un des coins de la salle et jouait des airs variés.

Les effets produits sur les malades rangés autour du baquet étaient des plus variables. Beaucoup n'éprouvaient rien. Chez d'autres, l'action magnétique se manifestait par des éclats de rire, des bâillements, des frissons ou des sueurs ; d'autres, enfin, étaient agités par des convulsions d'une extrême violence qui duraient parfois pendant des heures. Les femmes surtout y étaient sujettes. Quelques-unes poussaient des gémissements douloureux, entrecoupés de pleurs ou de sanglots.

Au milieu de cette foule épileptique, Mesmer se promenait en habit lilas, armé de sa baguette magique, qu'il étendait sur les individus réfractaires ou sur ceux dont les crises étaient trop violentes. Il calmait leurs convulsions en leur prenant les mains, en leur touchant le front, ou opérait sur eux avec les mains ouvertes et les doigts écartés, en croisant et décroisant les bras avec une rapidité extraordinaire. Il prenait les plus furieux à bras-le-corps et les emportait dans une salle voisine, dite : « Antre des Crises ou Enfer des Convulsions », dont les murs et les parquets étaient soigneusement matelassés et permettaient aux malades de se livrer à tous leurs ébats, sans danger de se blesser.

Mesmer avait dû organiser quatre appareils dans son hôtel de la place Vendôme : trois pour les riches, où il opérait lui-même, et un pour les pauvres, où il se faisait remplacer par son valet. L'on n'a jamais su si les pauvres guérissaient aussi vite que les riches.

Bientôt, l'affluence fut telle que le fameux magnétiseur dut transporter son établissement dans le quartier Montmartre. À un moment donné, voulant mettre son remède à la portée de tout le monde, il disposa sur le boulevard, à l'extrémité de la rue de Bondy, un arbre qui devait avoir les mêmes vertus que le baquet. La naïveté populaire fut telle que l'on vit des milliers d'individus venir se serrer contre cet arbre et attendre avec conviction la guérison de leurs maux. Pendant quelque temps, la manie des baquets devint générale en France, et Mesmer, comme on peut le croire, eut de nombreux concurrents. Cependant, dès 1785, les esprits furent quelque peu désabusés ; un revirement se fit dans l'opinion publique, et Mesmer dut quitter la France au milieu de l'indignation générale.

René LASSERRE.

Le Chasseur Français N°657 Novembre 1951 Page 702