Un des points sur lesquels porte le plus souvent la
discussion dans les litiges en matière de délits de chasse concerne la
confiance qu'on doit accorder aux « procès-verbaux » des gardes et l'étendue à lui
attribuer.
Le principe est bien connu et ne soulève pas de difficulté : le procès-verbal fait foi, à moins que la preuve contraire
ne soit apportée, sur tout ce que le garde affirme avoir constaté personnellement
; en dehors de cela, le procès-verbal ne présente aucune valeur.
Il en est ainsi, spécialement, pour les opinions émises par
le garde au sujet des faits matériellement constatés par lui. C'est souvent
l'application pratique de cette dernière règle qui fait naître des difficultés.
Dans la pratique, pour illustrer la distinction que nous
venons de faire, on cite communément un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 7
mai 1925, rapporté à la Gazette du Palais de 1926, deuxième partie, page 420,
rendu dans les circonstances suivantes : au cours d'une chasse à courre la
meute étant passée sur une propriété voisine, le procès-verbal constatait que
le piqueur sonnait du cor et appuyait les chiens. Il était bien reconnu que le
piqueur sonnait du cor, mais on soutenait que sa sonnerie était, au contraire,
destinée à rompre les chiens. Il fut admis que l'opinion émise au procès-verbal
relativement à la nature de la sonnerie n'avait pas force probante, d'autant
plus que le rédacteur du procès verbal avait reconnu ne rien connaître aux cris
et sonneries en usage dans la chasse à courre.
Il nous paraît intéressant de rappeler ici une question sur
laquelle nous avons été appelé l'année dernière à exprimer notre avis et dont
la solution reposait sur les mêmes principes que dans l'affaire dont nous
venons de parler.
Un chasseur avait tiré un lapin presque à la limite de sa
chasse, laquelle limite était la crête d'un petit talus dominant un chemin
faisant partie de la chasse voisine. Sous le coup de feu, le lapin roula en
boule au bas du talus où il fut immédiatement saisi par le chien qui
accompagnait le chasseur et qui le rapporta à son maître. Le garde-chasse du
voisin, qui avait assisté à la scène, dressa procès-verbal pour chasse sur le
terrain d'autrui, le chien ayant appréhendé le gibier sur un terrain où son maître
n'avait pas le droit de chasse. Ce dernier objectait que la capture d'un gibier
tué n'était pas un fait de chasse sur terrain d'autrui alors que l'animal avait
été tiré sur la chasse du prévenu, ce qui était reconnu par le garde. Mais le
garde soutenait que le lapin n'était pas mort et aurait pu échapper si le chien
ne s'en était pas saisi. Invité à préciser sur quoi il se fondait pour affirmer
que le lapin aurait pu échapper, le garde ne put donner aucune précision et le
prévenu fut acquitté.
Notre avis nous ayant été demandé au sujet de cette décision,
nous avons répondu que, s'il était vraisemblable qu'en fait le prévenu eût mérité
d'être acquitté, cet acquittement n'était pas justifié en droit ; qu'en effet
ce n'était pas au plaignant qu'il incombait de prouver que le lapin était
encore en état de s'échapper, mais que c'était au prévenu de prouver qu'au
moment où l’animal avait été saisi par le chien il était déjà mort ou hors d'état
de fuir ; que s'il y avait doute et si, en règle générale, le doute doit profiter
à l'accusé, cette règle ne pouvait recevoir application en l'espèce, parce
qu'il y avait une déclaration précise au procès-verbal et qu'elle ne pouvait être
combattue que par une preuve contraire, que le prévenu n'apportait pas ; que la
Cour de cassation s'était prononcée en ce sens par deux arrêts formels rendus
le 15 juin 1895 et le 23 mai 1901.
L'affaire n'eut d'ailleurs pas de suite, le prévenu ayant
offert une indemnité raisonnable qui fut acceptée. Le plaignant ne fit pas
appel, et le prévenu conserva le bénéfice de son acquittement.
Dans la circonstance, le chasseur aurait dû présenter le
lapin au garde et l'inviter à constater son état et à le mentionner au procès-verbal,
au besoin chercher un témoin qui l'eût constaté. Il eût ainsi été en mesure de
fournir la preuve qui lui incombait.
Paul Colin, Docteur en droit, Avocat honoraire à la cour d’appel
de Paris.
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