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Retour aux ancêtres

Nos pères — ou plutôt nos grands-pères — utilisaient des fusils sans cartouches, dits fusils à piston. Et nous sommes parfois quelque peu ahuris de constater que ces armes étaient de petit calibre. Le calibre 20 était d'usage général, mais le 24 et le 28 ne manquaient pas de partisans. D'où l'on conclut que nos anciens étaient adroits comme Guillaume Tell, ou encore que le gibier mettait, à se laisser abattre, une bonne volonté dont il ne fait plus preuve de nos jours.

Le 16 leur paraissait un maximum, le 12 un canardier. Seulement... il y a à cela une petite remarque à faire. Si nous examinons les chargettes graduées ou les becs verseurs à poussoir ou à pédale des sacs à plombs d'autrefois, nous nous apercevons que les charges dépassaient très nettement celles que nous employons. Le 12 envoyait couramment 45 grammes de plomb, le 16 de 30 à 35 grammes, et ainsi de suite.

Autrement dit, un cylindre de plombs de 35 grammes avait, dans les vieux fusils, une forme plus allongée et un diamètre moindre. Ce qui équivaut presque à dire que les anciens chasseurs, avec leurs canons lisses, envoyaient la masse des plombs sous la forme que nous tendons à lui .donner, en l'allongeant par l'artifice du choke. Et c'est là une partie du secret de la belle portée et du groupement satisfaisant de pas mal de fusils à piston.

Ajoutons que la grande longueur des canons permettait à la poudre de brûler entièrement, avant la sortie des plombs, et de produire tout son effet utile.

En armurerie, comme dans tous les autres arts, il y a des marées, des flux et des reflux. Le progrès ne suit pas une ligne rigoureusement droite, mais une suite de « dents de scie », vers le haut et vers le bas, dont la moyenne donne une direction générale. C'est ainsi qu'après les fusils ultra-lourds de l'époque, où l'on se méfiait des canons d'acier, nous avons connu les fusils plumes, pour revenir à la raison et à une juste mesure. De même, après les canons de 80 centimètres et plus, nous avons eu ceux de 65, et parfois moins, pour nous en tenir maintenant à des longueurs d'environ 0m70.

Pour la charge, il en est de même. La charge de plombs longue et étroite des fusils à piston s'est vue transformée, dans les fusils légers qui furent à la mode avant 1914, en une charge courte et plus large. C'était l'époque où tout chasseur digne de ce nom se croyait obligé de tirer un 12 de 2kg800, à faible charge, avec le même poids de plomb qu'un 16 de charge et de poids normaux.

Actuellement, aux États-Unis et au Canada, nous voyons poindre une nouvelle école. Laissons de côté les 10 et les 12 canardiers à cinq coups, véritables seringues bonnes pour une chasse spécialisée, en d'heureux pays où les oies et les canards s'abattent à portée par vols de 4.000 à 5.000 têtes. Mais dans la chasse courante comme nous l'entendons, qui est d'ailleurs peu pratiquée sur d'immenses territoires où règne la carabine, nous voyons ressortir des armes qui semblent — toutes proportions gardées — nous ramener aux techniques des fusils à piston de nos grands-pères.

Deux points communs entre le fusil de 1850 et celui d'outre-Atlantique, comparés à nos armes aujourd'hui classiques :

à charge égale, diminution du calibre et augmentation de la longueur du canon.

Pour cela, il a fallu réaliser des poudres pyroxylées relativement lentes, comparables en progressivité de combustion aux anciennes poudres noires, pour « démarrer » la masse des plombs à une vitesse assez faible et ne lui donner toute son accélération que près de la bouche du canon.

D'où quantité d'armes, pour la plaine et le bois, des calibres 16, 20 et 410, ce dernier calibre équivalant environ au 12 millimètres français. Mais alors que notre 12 millimètres est considéré comme une cartouche de jardin, un fusil pour tirer les grives au poste ou les lapins dans les garennes, le 410 américain, chambré à 75 millimètres, tire de 22 à 24 grammes de plomb, ce qui en fait une arme sérieuse. Son poids d'ailleurs, dû à ses canons longs et étoffés, est d'environ 2kg300 malgré son petit calibre.

Il y a là une nouvelle école, totalement différente de notre pratique européenne.

II semble bien que, là encore comme dans tous les progrès mécaniques, on a procédé moins par voie de théorie pure que par tâtonnements. Les conditions de la chasse ont également joué, un tireur partant en expédition dans l'Ouest, où les villes sont largement espacées, pouvant emporter, à poids égal, beaucoup plus de cartouches 410, même longues, que de calibre 12. N'oublions pas que Steward E. Withe, Watkins et autres nous ont appris que, pour ravitailler la marmite, le mieux est d'avoir une carabine ou un pistolet 22 long rifle, largement suffisants pour descendre les perdrix blanches, coqs, gelinottes, grouses et autres oiseaux perchés sur les arbres et ne s'envolant qu'à la dernière extrémité. On conçoit alors l'utilisation d'une arme de calibre moindre que les nôtres, même à plomb.

L'armurerie française, qui produit actuellement, outre le fusil spécial de tir aux pigeons, chambré à 75 millimètres, avec canons calibre 12 plein choke de 0m80, deux 12 de chasse, le normal — chambres de 65 millimètres, canons choke et demi choke de 0m70 — et le renforcé — chambres de 70 millimètres, canons de 0m76 choke et demi choke, — semble avoir trouvé une solution plus rationnelle que celle, hardie mais contestable, des fabricants américains.

Bien qu'ayant eu de jolis résultats de tir avec un 410, qui est une arme agréable — « infiniment spirituelle », comme disait un de mes vieux amis, — je soutiens que, chez nous comme à l'étranger, la gamme complète de nos trois calibres 12, par exemple, donne au tireur pour le bois, la plaine. le marais ou le bord de mer les modèles qui conviennent au goût ou aux spécialités de l'habitat de chacun. Pour le moment, nous ne sommes nullement en retard, loin de là. Et peut-être, si cette échelle judicieuse de fusils d'un même calibre, à cartouches plus ou moins chargées en poudre et en plombs, et à canons appropriés par leur longueur à chaque genre de munitions, était liée à l'étranger, peut-être... que dis-je : sûrement, les tenants actuels des petits calibres surchargés nous auraient dit :

« Voyez donc ce que l'on fait de l'autre côté de l'eau : un seul forage, trois cartouches, trois longueurs. Voilà le vrai ! »

Mais ce n'est point d'aujourd'hui que nous savons que nul n'est prophète en son pays. C'est pour cela que, lorsqu'il m'arrive d'écrire des romans policiers — c'est un vice assez répandu, —Je les signe d'un nom furieusement anglo-saxon, que je ne vous dirai pas, sans quoi aucun de mes éditeurs ne les accepterait. Et je ne suis pas le seul !

Pierre MELON.

Le Chasseur Français N°658 Décembre 1951 Page 707