Si nous examinions maintenant* comment ont été suivies depuis 1921 les excellentes directives des Eaux et Forêts ?
Communalisation ?
Oui, des efforts ont été tentés, mais d'un commun accord, de
bonne amitié, entre les participants, bien que le délicieux ouvrage de M. J. Collin-Delavaud
soit assez restrictif, lui particulièrement bien placé.
Non destruction de certains gibiers ?
Oui, l'interdiction du tir des chèvres, des biches, etc., a permis de reconstituer ce cheptel en un
laps de temps infiniment court ; il en est de même pour d'autres gibiers dont
la chasse est absolument interdite. Quant à la protection des femelles... Si la
chasse des poules faisanes subit certaines restrictions, si celle des coqs est
retardée chaque saison, hélas ! pour quel motif n'en est-il pas de même
pour les lièvres, dont 75% tués lors de l'ouverture générale sont des hases.
La répression du braconnage s'amplifie, il faut le
reconnaître, grâce aussi aux versements volontaires de propriétaires, mais il
faudrait augmenter les ressources des fédérations dont les dirigeants sont
pleins de bonne volonté, d'un dévouement total, d'un désintéressement absolu.
Destruction des nuisibles ?
Des résultats impressionnants ont été obtenus, et les
fédérations qui sont entrées franchement dans cette voie s'en applaudissent ;
mais la lutte ne doit pas s'arrêter. M. Chaigneau, dans son livre Moins de
Nuisibles, plus de gibier, écrit, ce que nous devons méditer : « Les
nuisibles existent partout. Rambouiltet, chasse présidentielle, parc
clos de 1.100 hectares, piégé sérieusement depuis des années, offrait en 1933
le chiffre impressionnant de 6.000 nuisibles détruits ! Que répondre au
prétendu garde qui présente péniblement une liste de 30 nuisibles aux 100
hectares, et encore faut-il distinguer quels nuisibles il présente !»
C'est qu'en effet, si nous suivons la pensée de M. Chaigneau, il y a des
nuisibles qui ne sont pas absolument des nuisibles ; d'autre part, si l'on
tient à s'éviter certaines surprises aussi désagréables qu'imprévues, il faut
conserver un juste équilibre dans les forces de la Nature ; j'en ai eu la
confirmation récemment à propos d'une destruction intensive de couleuvres qui
avait été faite dans le Midi ; l'on sait. aussi que la disparition recherchée
des freux d'une région a eu, par contre coup, une avalanche de hannetons, puis
épandage de D. D. T. et disparition de tous les petits oiseaux, du gibier, etc.
La Fontaine a écrit : « Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire ...
» Et l'on sait aussi combien ont fait de mal les produits à base de
chloroforme, ou d'arsenic, contre les nuisibles, bien que l'on ait longtemps
allégué leur complète innocuité !
Repeuplement ? Acclimatation de nouvelles espèces de gibier?
Idée, certes, fort séduisante, mais combien difficile à
réaliser en dehors de certaines expériences de ... laboratoire. On avait fondé
de grandes espérances, jadis, sur le tinamou, puis sur les bakivas d'Indochine
; en raison de sa fécondité, de la sportivité de son tir, le colin de
Californie avait séduit ; là où il en fut lâché, le dernier disparut sans
laisser de traces. M. Georges Benoist écrit, dans Lièvres et Levrauts,
que des essais d'acclimatation du mara, ou lièvre de Patagonie, furent faits
dans le magnifique parc de Voisins et qu'il a eu l'occasion d'assister aux
évolutions plutôt comiques d'un genre de quadrupède aux membres démesurés, et
qu'en 1903, lors d'une battue, il; a assisté à la mort de l'un de ces animaux,
pièce plutôt encombrante dans le carnier d'un chasseur ! Bref, peu
d'enthousiasme ! La mode est pour l'instant aux « chukars », qui seraient
dotés, ou dotées, de toutes les qualités. On a prétendu que les 250 couples
importés seraient revenus à trois millions de francs.
Est-il bien nécessaire de rechercher au loin ce que l'on
peut trouver chez soi ? Un correspondant, qui a suivi son fusil dans les
chasses les plus giboyeuses, qui est très sceptique sur les bienfaits du
repeuplement, parce qu'il a été à même de voir ses résultats, m'envoie les
lignes suivantes, dont je me garderai bien de changer une syllabe :
L'élevage, quoi qu'on en dise, offre nombre d'aléas, et l’augmentation
du cheptel gibier peut être obtenu par des moyens simples, mais appropriés.
Outre l'exemple de l'Alsace et de la Lorraine, on cite celui du comte L. K...
qui, en Slovaquie, avant 1914, à 10 fusils, mais avec 400 traqueurs, sans aucun
élevage, avec des chargeurs portant chacun 700 cartouches, réalisait pendant
une semaine des tableaux sensationnels : par exemple, le 1er jour :
1.304 lièvres, 554 faisans, 1.478 perdrix ; le 2e jour : 1.634 lièvres, 6
lapins, 2.245 faisans, 808 perdrix, etc.
Mais voulons-nous bien toujours, « à l'intérieur »,
vraiment sauvegarder notre malheureux gibier ?
Ne dit-on pas de bouche à oreille que certains voudraient
une seule et unique ouverture générale pour tous les gibiers sans exception, et
même chose pour la fermeture !...
Oh ! après celle-là, il n'y aurait plus qu'à tirer
l'échelle ! Ce serait là la fin définitive du peu restant... Quelle
méconnaissance absolue des règles les plus élémentaires de la cynégétique si ce
bruit venait à se confirmer. J'ai sous les yeux le tableau des ouvertures et
des fermetures pour les différentes espèces de gibier dans la
Rhénanie-Palatinat, suivant les décisions du 19 mai 1951 de M. le Commissaire
pour le Land Rhénanie-Palatinat ; or elles varient, suivant les espèces, du 1er
août au 15 avril : et il y a maintes restrictions, par exemple pour le coq de
bruyère, le coq de bouleau, le gibier à sabots à l'exclusivité du sanglier,
etc. Voici au moins une réglementation n'émanant pas d'un chasseur « du coin du
feu »...
On semble aussi pour le moment, en France, s'occuper
beaucoup de la protection du gibier migrateur... pour le plus grand bénéfice
des pays étrangers, si l'on se soucie infiniment moins de notre cheptel
indigène ! Et cependant, premier résultat, les chasseurs de sauvagines, ne
se voyant pas défendus, ont pris la résolution qui s'imposait d'elle-même : se
défendre seuls ! Comme on le sait, une Fédération nationale des chasseurs
de migrateurs de France vient d'être créée ; elle englobera tous les migrateurs
sans exception, même les palombes, tourterelles, cailles, râles, grives, etc. A
côté, nouveau signe des temps, nous voyons se former le Club des bécassiers. Il
ne s'agit donc pas là de membres enrôlés de force, mais de volontaires, ayant
le feu sacré, qui seront donc actifs non passifs, et sauront faire entendre
leur voix.
Ce tableau n'est nullement poussé au noir ; il n'est que
l'expression de la réalité.
D'après le regretté Brulard, il y avait en 1938, comme
nombre de chasseurs : en Italie, 334.000; en Allemagne, 230.000; en Grèce,
92.000 ; en Grande-Bretagne, 56.000; en Pologne, 48.000. Si je ne possède pas
le ou les bénéfices que la chasse rapporte à ces États, on a déjà écrit qu'en
France elle rapportait, rien que comme chiffre d'affaires, quatre milliards
cent cinquante et un millions de francs, plus de la poussière, sans certifier
que l'on n'est pas pour cela en dessous de la réalité, alors que les autres
sports coûtent au même État sensiblement le même prix, comme subventions.
De même que ce sont souvent les cordonniers les plus mal
chaussés, dit la Sagesse des Nations, par analogie sans doute, et bien que cela
soit paradoxal, ce sont ceux qui paient, les chasseurs, qui, sur le montant des
prix des permis, touchent le moins des trois parties prenantes ; on comprend
dès lors qu'un bruit de protestations commence à se faire jour et qu'ils
réclament une plus juste répartition ; peut-on leur donner tort ?
Le gibier diminue d'année en année ; on ne peut mettre
exclusivement cette diminution à la charge des chasseurs, s'ils y contribuent
quelque peu ; il y a des causes multiples. notamment la culture intensive,
l'absence désormais de jachères si aimées des cailles ; c'est aussi la rançon
du machinisme. aussi bien en ce qui concerne les machines agricoles que les
autos, autorisant les longs parcours et déversant des chasseurs étrangers là où,
avant, il n'y avait que les chasseurs locaux.
Mais il ne faut pas croire à la négation de l'effort ; ainsi
que l'a écrit Beaumarchais ; « Les gens qui ne veulent rien faire de rien
n'avancent à rien et ne sont bons à rien. »
Nous sommes pauvres, cynégétiquement parlant, nous devons
donc faire des économies... de gibier.
La solution du grand problème nous a été offerte dans un
papier paru dans le journal Le Monde du 21 juillet 1921 ; « Un plan
cynégétique ; où va la chasse en France ? » sous la signature de M.
François Sommer. Il ne semblait guère partisan d'une modification de la loi du
3 mai 1844 et de son remplacement par une autre, car il dit : « Point
n'est besoin de remplacer l'édifice légal et administratif actuel par une
nouvelle législation et par une nouvelle administration. Cela demanderait des
années ! Le gibier aurait alors complètement disparu ; et qui sait ce que
vaudrait la loi dont on nous gratinerait ? »
Le « plan de chasse » de M. Sommer est fort simple et tombe sous
le sens, mais encore fallait-il y penser ! Il y a eu certain oeuf de
Christophe Colomb… Il précise la règle essentielle, salutaire, de toute
exploitation basée sur le principe de la reproduction. On ne traite pas une
chasse autrement qu'une basse cour ou une ferme d'élevage.
Il faut transformer le service de la chasse du pouvoir
central : il faut que ses membres soient des techniciens, des convaincus. qu'ils
n'exercent que leur fonction, à l'exclusive de toute autre. et qu'ils s'y
consacrent entièrement et avec énergie.
Le chiffre de gibier à tuer, étant déterminé chaque année
par région, correspondant à un prélèvement normal, ne pourra être dépassé sous
aucun prétexte une fois atteint.
Où trouver des « techniciens convaincus » qui, en outre,
devraient s'entourer des renseignements les plus précis ? Actuellement, la
France est divisée en 41 conservations, et à la tête de chacune d'elles est
placé un conservateur chef de tous les services des Eaux et Forêts. Il est
assisté d'un officier dit « des services extérieurs » qui, sous son
autorité, assure, notamment, les services de la chasse.
Un haut fonctionnaire des Eaux et Forêts, trois à la
rigueur, siégeant à Paris pourraient assumer cette charge ; leurs renseignements
leur parviendraient des fédérations, mais supervisés par l'officier des services
extérieurs en complète indépendance. Système de chasses gardées...
Le mécanisme actuel disparaîtrait donc, ce qui serait tout
d'abord une première économie dont profiteraient les chasseurs et les
fédérations ; on ne pourrait plus voir de ces « chasseurs » peu
scrupuleux emportant leur fusil en allant labourer ; tous seraient sur le même
pied.
Ce système est depuis longtemps en vigueur en Suisse, où
l'on s'en trouve bien. mais il ne faut pas croire que, du jour au lendemain, le
territoire de la France deviendra un éden cynégétique. On peut aider à sa
naissance, mais, avant de manger le gâteau, il faut le faire cuire.
Jacques DAMBRUN.
PS : MM. les «occupants. » ayant cru devoir m'expulser
de mon domicile avec tous les miens, de 1940 à 1944, il en est résulté pour moi
certaines pertes de documents. J'ai donc dû me fier uniquement à ma mémoire pour
la reconstitution des lignes précédentes. Si j’ai fait quelques erreurs,
j'espère qu'elles ne sont que de peu d'importance et sans gravité.
Par avance. Je prie le lecteur bienveillant de vouloir bien
m'excuser.
J. D.
* Voir le Chasseur Français de novembre 1951.
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