Quatre espèces fréquentent nos régions : les tourterelles y
séjournent en été, les ramiers, les bisets et les colombins y demeurent généralement
de l'automne au printemps.
Les pigeons occupent parmi le gibier une place honorable,
mais non de premier plan. Les oiseaux de terre qui sont en tête de la hiérarchie
cynégétique sont ceux dont la chasse nécessite l'emploi du chien et qui vivent
au sol et ne se perchent, pas. Ainsi en est-il des perdrix, des bécasses, des
cailles, dont la valeur croît avec les difficultés de leur recherche. Les
faisans, qui se perchent, font exception. Les autres se chassent à l'approche
ou à l'affût ; s'ils procurent un agréable divertissement et d'heureux coups, ils
ne sauraient occuper toute une saison de chasse.
Quelques régions sont particulièrement favorisées pour le
passage des pigeons. Je citerai simplement, car je ne les connais pas, le pays
basque et ses palombières, la pointe de Grave où les tourterelles sont tirées
du haut d'affûts élevés. Ailleurs on chasse les pigeons de façon moins
spectaculaire, mais tout chasseur est heureux d'en mettre quelques-uns au carnier.
A l'ouverture, on trouve les tourterelles en plaine et au bois.
C'est un oiseau très gracieux, au vol vif et rapide. Lorsqu'il se pose ou s'enlève,
il déploie le bel éventail de sa queue qui lui permet d'atterrir sans heurt et
de prendre l'air avec aisance. Les ailes produisent quelques battements à l'essor.
Les tourterelles vont manger dans les chaumes et les vignes.
Dès le printemps, on les entend roucouler. Elles fréquentent les bois de chênes
verts, les rivières. Mon premier doublé, alors que je débutais dans la carrière
de la chasse, je le fis sur un perdreau et une tourterelle. C'était dans un
petit carré de vignes au coin duquel il y avait un puits. Je m'y dirigeai pour
boire avec mon chien qui, en ce jour d'août, tirait une langue assoiffée, il ne
fut pour rien. dans l'affaire. Le perdreau partit le premier, la tourterelle
fusa et tangua sur ses ailes en tombant. L'eau fraîche du puits fut bonne ce
jour-la.
Les tourterelles vont boire aux quelques points d'eau que l'été
n'a pu tarir. Lorsqu'on s'en approche, on les voit voleter et fuir. Hélas !
beaucoup seront rôties avant l'ouverture. Peu emplumées et tirées de près, une
cartouche à faible charge, une carabine de petit calibre suffisent pour les immobiliser.
Elles restent peu de temps après l'ouverture. Après le 15septembre,
il n'y en a presque plus. C'est, de tous les pigeons, le seul qu'on peut
parfois tirer au cul levé. Quand on chasse la caille ou le perdreau, il met une
note agréable dans le tableau de la journée.
On chasse aussi les tourterelles à l'affût aux arbres où elles
viennent se percher. Mais la façon la plus sportive consiste à les tirer au
passage au vol lorsqu'elles volent d'un champ à un autre ou qu'elles vont se
poser dans un chaume.
Les passages des autres pigeons atteignent leur maximum
d'intensité en octobre et mars. Ils fréquentent les grands arbres, les pins de
préférence. Ils se groupent dans les plus grandes terres, où leur couleur bleu lavande
couvre un grand carré. Très méfiants, on ne peut les approcher. On les chasse
au passage ou à l'affût près dès arbres qu'ils fréquentent. L'affût au
brancher, le soir, donne les meilleurs résultats.
Il m'est arrivé d'observer d'une lisière de grands vols de
pigeons. Je leur envoyais une charge de chevrotines, et presque chaque fois les
pigeons venaient dans la direction du coup, me permettant ainsi de tirer de près.
Les oiseaux quittent les terres de bonne heure. Mais ils
volent longtemps avant de se poser, surtout lorsqu'ils ont été effrayés. Certains
alors se posent quand le crépuscule entre dans la nuit. Il est difficile à ce
moment de distinguer les colombins parmi les pommes sèches des pins.
Les bisets ont une préférence marquée pour les rochers. Ils
vont passer la nuit dans des combes éloignées où le roc surplombe le ravin et
forme par ses creux et ses saillies un pigeonnier naturel. Par les grands
froids, ils s'y abritent le jour.
L'approche d'un vol, lorsque les accidents du terrain la
facilitent, est assez amusante. Un jour de novembre je chassais le lapin dans
des garrigues. J'avais pour auxiliaire un petit griffon vendéen doué d'autant
d'ardeur que d'indiscipline et propriétaire d'une voix retentissante. Je
remarquai, dans une terre entourée d'un mur en pierres sèches, une centaine de
ramiers. L’approche était facile : descendre un petit ravin, remonter le flanc
d'en face et à l'abri du mur arriver à bonne portée. Mais le vendéen ? Le faire
suivre derrière et le tenir en laisse, impossible ! Je le pris sous mon
bras gauche et, avec l'allure du Sioux sur le sentier de la guerre, tête baissée,
dos courbé, jambes fléchies, j'arrivai à peu près sans encombre jusqu'au mur.
Un coup par terre sur le groupe le plus dégagé — je laisse
choir le chien, — un coup au vol : il restera bien trois, quatre, peut-être six
pigeons.
Je risque un regard au-dessus du mur. Le chien, sous mon
bras, ne remue pas trop, et les ramiers n'ont rien éventé.
Je lève lentement mon fusil, je le glisse entre deux pierres.
Hélas ! le griffon,* qui, dans le geste, devine la présence du gibier, fait une
brusque mouvement pour se dégager et, de sa voix magnifique, pousse un cri
formidable qui alerte tout un kilomètre à la ronde.
Adieu salmis ! les beaux oiseaux s'envolent en faisant
claquer leurs ailes.
Saint Hubert, compatissant, me permit quand même d'en tuer
un, le nigaud de la bande sans doute, qui s'envola le dernier.
Jean GUIRAUD.
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