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La plus belle réussite de la vénerie

Sans mériter d'être taxés de vantardise, il nous est permis de dire de la vénerie française qu'elle est au premier rang, tant par la perfection de ses méthodes que par la valeur et la diversité des races de chiens qu'elle a su produire. Parmi ces races, les unes sont réputées pour la qualité de leur nez et de leur gorge plus que par leurs allures, d'autres pour leur perçant, leurs initiatives plus que par le classicisme dans la suite, d'autres pour leur courage devant les animaux sujets à réaction, d'autres enfin .pour leurs allures vives et leur fond.

J'ose dire qu'une seule présente à peu près toutes ces qualités réunies : c'est la race Poitevine. Le chien du Haut-Poitou en un mot, avec l'une ou l'autre variété gravitant autour de ce prototype.

Bien qu'il soit en général connu, il n'est pas inutile d'en donner une description sommaire. Souvent tricolore à manteau, et à manteau cuivré pour être tout à fait dans la tradition, le descendant de l'ancien chien de Larye, dont il a pris taille et gabarit, taille moyenne de 0m,61 à 0m,63, est établi dans la formule « Greyhound like » comme l'ancêtre. Ceci ne veut pas dire qu'il est longiligne au vrai sens du mot, tel qu'était, par exemple, feu le Saintongeois. Mais il a le rein harpé, la forte arrière-main des chiens de grand train, leur poitrine profonde avec la côte longue et peu arquée. La tête aussi présente des caractères graïoïdes. Elle est longue, fine et sèche, le chanfrein long, légèrement busqué, la lèvre sèche, terminée par la truffe épaisse, large et noire des chiens doués olfactivement. L'oreille courte, mince, souple et légèrement tournée caractérise le chien perçant, comme la structure générale ses aptitudes aux allures vives. Ses membres, particulièrement larges, semblent forts pour la masse du corps élégant qu'ils supportent. Contrairement à nombre de chiens de grande vitesse, le Poitevin à une gorge claire, longue et hautaine, complétant le total de ses nombreuses vertus.

A vrai dire, on peut chercher celles qui lui font défaut, sans espoir d'en découvrir. Sa structure ne lui permet pas de produire un basset, par mutation ou autrement, mais ceci n'est pas un reproche. Simple constatation.

Bien entendu, on a voulu le faire descendre d'un quelconque lévrier, et l'erreur a été consommée de tentatives de croisements avec ledit personnage. Un illustre maître d'équipage poitevin a possédé ainsi une certaine « Fille de l'air », produit de telle alliance, dont les vertus ne se manifestaient que dans l’à-vue, ainsi qu'il fallait s'y attendre. J'ai moi-même vu une lice au fouet crocheté, sortie de pareille union, à peu près muette et que l'à-vue intéressait seul. Non, le Poitevin, tel que nous le connaissons, fortement impressionné par le sang Larye, issu lui-même pour large part du « Northern Hound », de même silhouette, est le représentant encore vivant d'une forme naturelle d'aspect vaguement graïoïde que nul ne peut se vanter d'avoir créée. Mettons que ce soit une forme de transition, ainsi qu’il en est dans toute la nature, entre graïoïde et braccoïde. En tous les cas, une forme stable ayant singulièrement tracé dans les croisements qu'on en a requis et ayant elle-même résisté victorieusement à ceux qui lui ont été .imposés, avec le Foxhound notamment, pour produire un Anglo-Français hautement apprécié, comme chien à sanglier en particulier. Or on peut constater comme en ce croisement le retour au type poitevin tend à se manifester. Si donc il était de race manufacturée, la fixité de type et de psychologie n'en serait pas ce qu'elle se révèle, à l'épreuve des croisements.

Du point de vue qualités, c'est un chien complet. C'est un des rares courants très vites qui aient en même temps très bon nez de rapprocheur rapide, qui en faisait un chien à loups incomparable grâce au nez et à l'allant, qualités pas toujours associées, beaucoup de rapprocheurs de grand nez ne brillant pas par les allures, ni en rapproché, ni en menée. Très chasseur, très ardent même, il a produit des chiens de change « convaincus », autrement efficaces que ceux réalisés au prix d'alliances calmantes, souvent simplement « vaincus », mettant bas dans un accompagné. C'est un tour de force ; car on sait assez la peine qu'on éprouve à discipliner certains représentants de races ardentes, dont la sagesse relative les fait plutôt auxiliaires du chasseur au fusil. Équilibrer un chien courant entre la froideur et l'ardeur désordonnée n'a pas été mince réussite. Si l'on osait, on dirait que nos amis poitevins ont obtenu un chien de vénerie avec toutes les vertus du chien d'ordre associées aux capacités de cet être si doué pour la chasse solitaire qu'est parfois le Briquet.

Les chasseurs au fusil qui liront ceci songeront peut-être que le chien de vénerie ici étudié est pour eux sans intérêt. En quoi ils auront bien tort. En prenant quelque peine, on trouverait parmi les Poitevins des sujets d'une taille inférieure à 0m,60 qui font des Chiens à lièvre incomparables : rapprocheurs, lanceurs et meneurs expéditifs tels qu'on s'est efforcé d'en produire en croisant .avec le Harrier diverses de nos races de petite vénerie. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de juger quelques-uns de ces petits Poitevins, obtenus par sélection, et m'étonne qu'on n'ait pas réalisé en plus grand la production d'un chien qui certes n'a rien à envier aux personnages panachés qu'on vient de dire. Parmi ceux-ci d'excellents compagnons dont on ne saurait médire, mais d'un type quelque, peu variable, on en conviendra. Mieux vaut travailler sur les races fixées.

Le peu de zèle mis à produire un Poitevin de taille réduite pour la chasse au lièvre, soit à courre, soit à tir, vient peut-être du fait que le Poitevin, tel qu'il est, est un excellent chien à lièvre. Or il n'est guère d'autre chien de grande vénerie à briller d'un éclat particulier pour le courre du lièvre. Certains très fins de nez et autrement bien doués sont maladroits dans les embarras, au point qu'il a fallu, par des croisements avec les Briquets de leurs provinces, réaliser des demi-sang aux initiatives plus hardies.

Ceci dit, je conviens que la chasse à tir du lièvre comporte en principe chiens de taille et de train un peu réduits. Cette réflexion me rappelle ceux que je voyais à la maison au temps de ma lointaine enfance, soit six grands chiens de même portée, fils d'un Anglo-Poitevin rapprocheur de loups. J'assistai avec eux au premier courre de lièvre de mon existence. Dans la matinée, deux lièvres furent expédiés lestement et, je dois le dire, gobés et mis en pièces avant toute intervention. Eux-mêmes chassaient le loup, et c'est assez dire qu'ils n'étaient point chiens de demoiselle. Plus petits ne pouvaient être meilleurs. Plus tard, j'ai acheté en Poitou chez un maître d'équipage possédant une sélection de taille réduite, un couple dont seul le mâle produisit avec des lices Anglo-Françaises, à doses diverses, d'excellents chiens à lièvre et pour la chasse à tir en général, comprise celle du sanglier. C'est à dater de ce temps que j'ai rêvé de la sélection que donnerait un Poitevin de petite vénerie, qui, par l'exemple de ses vertus et sans doute par l'apport de son sang, eût pu contribuer à l'amélioration et au sauvetage de l'Artésien-Normand, comme fut réalisé en grande vénerie, trop tard, le Normand-Poitevin

Le passé, hélas ! est ce qu'il est et point ne se répare. Il nous reste cependant le spectacle consolant de tel et tel équipage composé d'Anglo-Poitevins parmi lesquels on voit émerger des figures et des structures nettement françaises, preuve que l'illustre race tient toujours et qu'elle se maintiendra tant que les futaies de nos belles forêts retentiront du son du cor ; plaise à saint Hubert, jusqu'à la consommation des siècles.

R. De Kermadec.

Le Chasseur Français N°658 Décembre 1951 Page 719