Nous allons essayer, par le truchement de la vandoise, de
comprendre le comportement du poisson vis-à-vis de la mouche. La mouche étant
considérée comme un excitant plutôt que comme appât artificiel. N'oublions pas
cependant que les poissons, selon les espèces, ont une sensibilité différente.
Voyons, par une vue d'ensemble sur nos résultats personnels,
ce que nous pouvons dire.
Ayant constaté qu'il existe dans ce comportement des
analogies frappantes avec le comportement des insectes, nous rappellerons
d'abord l'expérience classique du diapason sur l'araignée. Cette expérience se
termine par cette conclusion : « Après un certain nombre d'excitations
par le diapason, l'araignée refuse de venir à son appel; puis, si on insiste,
s'éloigne dans une direction opposée. L'araignée a-t-elle reconnu une proie ?
Certainement non, puisque, après un certain temps de repos, l'araignée revient
au diapason. »
Ce processus type est le même quand il s'agit des poissons
de surface, excités par la mouche ; telle est du moins l'interprétation de
mes observations.
Cette expérience de l'araignée n'est faite que sur un même
individu, alors que la mouche peut s'adresser à plusieurs poissons à la fois. Malgré
cette différence pourrons-nous conclure que le poisson ne reconnaît pas, lui
aussi, une proie dans la mouche ? Certes il s'en empare comme d'un insecte. Le
pêcheur ne voit que ce fait. Je dirai tout de suite que, à mon sentiment, je
suis convaincu qu'il faut voir, dans ce comportement, deux phases successives
n'ayant aucun lien déterminé à l'avance. Autrement dit, en montant à la mouche,
le poisson obéit non pas à un instinct qui le pousse à se nourrir, mais à une
excitation irrésistible sans aucun but utile, comme le papillon est attiré par
la lumière, comme dans tous les cas de tropismes. La preuve en est dans cette
observation du « monter court ». Après un certain nombre de lancers suivis de
prise ou non, le poisson monte encore à la mouche, mais la refuse. On constate
la montée, le rond, ce bouillonnement caractéristique de l'eau produit par
cette montée du poisson, que l'on voit parfois, et le refus. Ace moment, seule
a eu lieu la phase de l'excitation. C'est cette phase que l'on interprète
faussement, à mon avis, en parlant de surprise. La mouche a produit son premier
effet ; prise ou pas prise, le poisson a été excité irrésistiblement. La deuxième
phase, c'est la prise de la mouche parce qu'il la prend pour une proie. Différence
avec l'expérience de l'araignée. Mais il se lasse, lui aussi, de monter à la
mouche et même s'enfuit si on insiste. Or, après un repos plus ou moins long,
il recommence à monter. Il est de nouveau sensible à la mouche. Il est attiré de
nouveau irrésistiblement et, si la mouche le trompe, si, en ce deuxième temps,
il croit voir une proie, il s'en empare encore. Sans doute, le poisson prend
bien d'autres objets qui passent au fil de l'eau et qui ne sont pas des proies
; mais il y a une grande différence entre ce gobage, toujours fait posément, et
celui précipité, irrésistible, faisant monter de loin et du fond le poisson. Il
arrive même que le poisson (truite, chevesne) prenne la mouche, hors de l'eau,
rien qu'à la vue avant qu'elle touche l'eau. L'insecte qui tombe à l'eau
produit la même excitation ; celui qui dérive sans effort, sans mouvement, dans
une eau lisse, ne le produit pas. Dans ce cas, le poisson l'attend au passage
et ne fait qu'ouvrir sa gueule pour l'engloutir. Entre ces deux cas extrêmes,
nombreuses sont les nuances de la sensibilité du poisson. La pêche en tient
compte.
Je sais bien aussi que l'on parle de plus en plus de
poissons « éduqués», ce qui laisse entendre que la faible intelligence du
poisson, si intelligence il y avait, serait, tout de même, assez grande pour le
faire raisonner et reconnaître que la même cause engendre le même effet. Principe
que les hommes eux-mêmes oublient ou ne savent pas reconnaître trop souvent !
Quoi qu'il en soit de ce point crucial, je me rabats sur mes expériences, mes
poissons étant aussi éduqués que les autres. Il y aurait, certes, des réticences,
des « si », des «pourtant », des « à moins que » dans mon discours si je voulais
ou pouvais être irréprochable. En effet, il faut mentionner l'époque de l'année
où l'on opère. Le comportement dépend des saisons, de l'état biologique du
poisson, des insectes aquatiques, soumis eux-mêmes à l'état de l'air, de
l'atmosphère : soleil, vent, humidité, chaleur, froid, et de combien d'autres
choses :
tension électrique, pression atmosphérique, etc., etc... En
fait de réticences et d'interférences, nous serions bien servis !
Essayons tout de même, en simplifiant, et sans prétendre, il
s'en faut, faire œuvre exhaustive.
Au printemps, nous avons dans la vandoise un poisson qui
vient de frayer — le frai commence en février et va jusqu'à l'ouverture, — c'est-à-dire
déficient et affamé. En même temps, les insectes aquatiques éclosent en grandes
masses quotidiennes ; si toutes autres conditions extérieures favorables se réalisent,
le pêcheur assiste à des gobages serrés comme grêle, partout où il y a de la
vandoise. C'est l'époque rêvée pour connaître la richesse de la rivière et pour
présenter notre diapason : la mouche.
Nous ne parlerons que de la pêche faite sur le même coup
sans changer de place, sans voir le poisson. C'est au printemps que j'ai réalisé,
dans ces conditions, les plus beaux paniers. Je crois, qu'en cette saison la
vandoise ne se lasse pas de monter à la mouche. Je dis : je croîs, parce
que, à l'époque où j'ai réalisé le plein de mon panier sans changer de place,
je n'avais pas le but d'étudier le comportement de la vandoise — je serais, en
ce cas, resté plus longtemps, — mais simplement, comme toujours, de passer une,
deux, trois heures au maximum à la pêche. En outre, je me lasse vite quand le
poisson mord facilement et beaucoup. Enfin, cette fois, mon panier plein (7
kilos pour fixer les idées), je suis parti alors que les vandoises montaient
toujours presque à chaque lancer à mes mouches. J'avais péché environ trois
heures sur le même coup sans lasser la vandoise.
Donc, première constatation : au printemps, par temps
favorable et éclosion continue, la vandoise ne se lasse pas de monter à la
mouche. En bien des cas, la mouche est bien prise pour un insecte, surtout si
on présente une mouche exacte. Comme l'insecte, la mouche est alors simplement
gobée au passage.
Du printemps sautons à l'automne. Époque semblable quant aux
éclosions. De fin octobre à fin novembre, surtout commencement novembre, on
assiste à de belles éclosions de petits éphémères par plein soleil, temps clair
et sec, hautes pressions. La pêche est alors un régal.
La vandoise monte à la mouche un certain temps, variable en
durée. Cette durée dépend surtout de l'habileté, du savoir-faire du pêcheur,
car, contrairement au printemps, la vandoise refuse progressivement la mouche. Mais,
après un repos complet, c'est-à-dire interruption de la pêche, si l'éclosion
continue la vandoise monte de nouveau à la mouche, mais pour une durée plus
courte que la première fois ; le refus arrive plus vite et on peut constater de
visu le déplacement de la vandoise. Enfin il n'y a plus de monters.
Quelquefois, après l'interruption, vous remarquez, à la
taille des poissons pris, que vous prenez des poissons nouveaux, nouveaux venus
excités pour la première fois : le processus précédent se répète.
Si nous comparons ce qui se passe au printemps et à l'automne,
nous constatons une grande différence dans le temps nécessaire à provoquer le
refus. Pourquoi ? A mon avis, intuitivement seulement et malgré le canon
scientifique que le tropisme est indépendant de l'état biologique de l'animal
excité, je pense que c'est parce que cet état biologique de la Vandoise est
différent dans les deux saisons. Au printemps, la vandoise doit se nourrir
copieusement pour se refaire ; en automne, au contraire, elle est en pleine
forme.
Pendant les autres saisons, nous observons toujours le même
processus se terminant toujours par le refus à plus ou moins longue échéance. Cela
dépend des excitations plus ou moins irrésistibles que la mouche provoque selon
le temps, l'heure et toutes conditions déjà signalées, et aussi peut-être de la
qualité de la mouche et de sa présentation. Conditions modifiant la sensibilité
de la vandoise au tropisme. Tropisme de la faim, tropisme des objets en
mouvement ou mécano tropisme et autres plus ou moins bien connus encore.
La conclusion pratique de tout ceci, bien ou mal observé,
pour le pêcheur qui désire remplir le panier, c'est de ne pas insister sur une
place où le refus, surtout s'il n'est pas dû à sa faute, est visible et d'en
chercher une nouvelle. Je conseillerai, même, si on pêche tous les jours dans
un même parcours, de ne pas revenir sur les coups où l'on a péché la veille. En
général, il suffit, dans les rivières poissonneuses, de faire quelques pas en
amont pour retrouver des poissons reposés, mais souvent aussi, maintenant que
les rivières sont pauvres, il faut marcher beaucoup : on peut ne pas voir de monters
faute de poissons...
Paul Carrère.
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