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Les muges ou mulets

Le mulet, ou muge, est très commun, dans les eaux marines et saumâtres tempérées chaudes de nos côtes atlantiques et méditerranéennes. Ce sont des migrateurs qui, naissant en mer, passent une bonne partie de leur vie en eau saumâtre et même douce, à tel point que, dans certains étangs côtiers, on en fait l'élevage, tout comme on élève la carpe dans les étangs de Sologne ou des Dombes.

La famille des mugilidés est très homogène et ne comprend, sur nos côtes, qu'un seul genre : le genre mugil. Les différentes espèces de ce genre sont très voisines et très difficiles à distinguer, même pour un spécialiste. Quant au pêcheur, il a bien la notion de l'existence d'au moins deux espèces, mais il base sa différenciation sur les caractères les plus variables. Le pêcheur au filet distingue toujours le muge sauteur de celui qui s'emmaille et il s'agit bien, en effet, le plus souvent, de deux espèces différentes. Le pêcheur à la ligne, lui, différencie le muge qui mord à ses appâts de celui qui n'y mord pas, et, là encore, il est exact que telle espèce mord à tel appât que telle autre dédaigne. Les diverses espèces de muges sont encore assez mal différenciées malgré les travaux de Moreau, Roule et Arné. Six espèces de muges ont été trouvées sur nos côtes françaises, dont quatre fréquentes et deux rares.

Les muges ont un corps oblong à section ronde, à dos très large, à tête courte et aplatie, à museau obtus ; c'est d'ailleurs le caractère qui frappe le plus l'observateur quand il regarde le dos du poisson. Le muge a deux nageoires dorsales très écartées l'une de l'autre; l'antérieure porte quatre rayons épineux tendant une membrane noirâtre, ce qui permet de le distinguer des athérines, genre voisin des muges, qui ont de neuf à dix rayons épineux ; la nageoire dorsale n'a que le premier rayon épineux et les sept ou huit autres sont mous ; les écailles sont assez grandes ; les dents sont très fines et en brosse, et la lèvre inférieure porte, en son milieu, un tubercule qui entre dans un trou correspondant à la lèvre supérieure.

Peu de poissons de nos côtes ont autant de noms locaux : muge, mulet, meuille, sautereau, testut. En outre, chacune des quatre espèces de nos côtes a son surnom particulier. Avant d'étudier les caractères distinctifs de ces espèces, nous allons examiner la biologie générale du muge et sa migration le long de nos côtes. Des quatre espèces les plus fréquentes, deux au moins (Mugil ramada et Mugil cephalus) remontent les estuaires des eaux saumâtres et, à la belle saison, vont très loin dans les eaux douces ; ils y arrivent à la fin du printemps et au début de l'été, quand l'eau douce devient plus chaude que l'eau salée. Après avoir passé l'été soit dans les rivières, soit, s'ils peuvent en trouver, dans des marais et étangs à eau chaude, ils descendent, l'hiver, au moment des froids, et regagnent la mer. Tel est le grand principe de leur migration : remonter en eau douce pour se nourrir, descendre à la mer au moment des froids pour se reproduire. En plus de cette migration d'ordre général, il existe des déplacements en masse erratiques. En mer, le muge aime se rassembler en bancs parfois énormes à la surface de l'eau et même, le plus souvent, la tête hors de l'eau, sous certaines influences encore mal connues et où la température a certainement un grand rôle. En eau douce, lorsque la température des étangs et des fleuves subit un abaissement très brutal accompagné de gelées, ces muges descendent alors en grand nombre, alors que, au contraire, ils peuvent rester une année entière dans les eaux douces si l'hiver est doux. On a même pu constater, dans certains réservoirs du bassin d'Arcachon, que, lorsque la température baisse au point de congeler l'eau, les muges meurent en masse ; il y a donc nécessité, pour eux, de gagner la haute mer dès que le froid abaisse par trop la température des eaux douces.

Rien n'est, à la fois, plus vorace et plus méfiant que le muge ; c'est certainement un des poissons les plus difficiles à capturer et les moins difficiles sur la qualité de la nourriture. Il aime se repaître de mets plus ou moins ragoûtants. Dans les estuaires, près des villes, il adore fouiller la vase des égouts. Dans les eaux douces, il se délecte à chercher dans la vase des détritus végétaux et animaux ; c'est d'ailleurs près des embouchures d'égouts, que ce soit en mer, en eau saumâtre ou en eau douce, qu'il sera le plus facile de le capturer. Il faudra, naturellement, être monté extrêmement fin et faire le moins de mouvements possible. Le pêcheur à la ligne se munira de lignes fines à gardon, avec un scion plus flexible et un moulinet. Comme on peut tomber sur une pièce de un à deux kilogrammes, dont la défense est particulièrement violente, un corps de ligne en nylon 22/100 sur tambour fixe ou mobile sera nécessaire. On utilisera un hameçon très petit, n° 10 environ, qu'on appâtera soit avec du pain, soit avec des déchets de thon, soit avec des débris de sardines. Mais l'appât spécifique du muge restera la néréide, ou mille-pattes, et ceci tant en mer qu'en eau saumâtre ou douce. Rien de plus énervant que les touches de muge ; très méfiant, il suçote longuement l'esche avant de l'avaler, et le pêcheur le voit passer de nombreuses fois devant son appât sans paraître même le voir. Certains jours, il est atteint d'une fringale frénétique et toute la bande se laisse capturer. Dans certains endroits, on peut même l'appâter avec un petit paquet d'algues vertes.

C'est surtout au filet que le muge est péché dans les estuaires ou sur les côtes du Sud-Ouest ; il effectue de longues migrations le long des côtes, par bancs de plusieurs milliers à proximité du rivage et à fleur d'eau ; on voit parfois les flots littéralement noirs de poissons ; ce sont des bancs faciles à repérer, qui permettent des pêches magnifiques d'un seul coup de filet lorsqu'on parvient à les cerner dans une petite baie propice. De l'embouchure de la Gironde à celle de l'Adour, ce sont des pinasses de quatre à six rameurs qui manient le filet et qui arrivent à faire des pêches miraculeuses, surtout par les mers calmes d'automne. On signale ainsi des coups de senne dans la région de Vieux-Boucau et d'Hossegor, qui ont ramené de deux à cinq tonnes de muges. C'est que les pêcheurs sont tombés sur la bonne espèce, celle qui ne saute pas. Il est beaucoup plus fréquent que les bancs cernés soient des bancs de muges sauteurs et qu'alors tous les poissons sans exception passent par-dessus 1e filet. On utilise parfois des sennes d'une soixantaine de mètres pour fermer les petites baies sableuses ; sept ou huit hommes la manoeuvrent et il importe, dès que le coup est fermé, de lever les lièges du filet pour que les muges, qui sautent à cinquante ou soixante centimètres au-dessus de l'eau, se cassent le nez et retombent à l'intérieur.

Enfin, à la pêche à la garole, dont j'ai parlé dans un des mes derniers articles, il est fréquent de capturer quelques muges à chaque coup de filet.

Je reviens sur une pêche à la ligne plus sportive et qui donne parfois, en eau saumâtre, d'excellents résultats ; c'est le lancer léger avec une cuillère spéciale à fine palette portant un hameçon très fin où on enfile une néréide. En certaines circonstances, malheureusement trop rares, c'est le lancer léger qui donne les meilleurs résultats et permet d'intéressantes captures de poissons dont la défense est toujours énergique et difficile à déjouer.

Lartigue.

Le Chasseur Français N°658 Décembre 1951 Page 726