Accueil  > Années 1951  > N°658 Décembre 1951  > Page 730 Tous droits réservés

Une année décevante

Sur le plan international, l'année 1951 se soldera, dans le domaine du sport, par un bilan négatif. Sauf d'heureuses exceptions, la France n'a guère connu que des défaites, parfois lourdes et inattendues. Les succès de quelques champions exceptionnels ne suffisent pas à masquer la réalité. La décadence est à peu près générale, qu'il s'agisse des compétitions de la route, de la piste, des courts, de la cendrée, de sports individuels ou de sports d'équipe. Pour prendre deux « disciplines » aussi différentes que le tennis et le cyclisme, nous n'avons cessé de collectionner les échecs alors que nos représentants dominaient naguère leurs rivaux des deux mondes.<>/p

Certains objecteront que la déconfiture de coureurs, de sauteurs, de pédaleurs, de manieurs de balles n'a qu'une importance relative et qu'il serait ridicule de la prendre au tragique, alors que l'actualité nous offre, en abondance, d'autres soucis. En toutes choses, il faut conserver une juste mesure. Que des gens en maillot soient battus, cela ne constitue pas une catastrophe, même si les couleurs qu'ils défendent sont celles de la France.

Cette mise au point serait parfaitement raisonnable si, à l'étranger, le sport était considéré comme une activité secondaire, comme un simple divertissement, comme un spectacle populaire de qualité indiscutable. Or il n'en est rien. Quand il se produit hors de nos frontières, un athlète fait, que nous le voulions ou non, figure d'ambassadeur. Il incarne, de façon sommaire, nous l'admettons, notre pays.

A ce propos, nous fournirons un exemple significatif. Une équipe de joueurs de rugby à treize s'en est allée, l'été dernier, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Basques, Catalans, Languedociens ont fait triompher, au cours d'une longue tournée, la puissance, la vélocité, la souplesse et, aussi, la subtilité d'esprit de nos gars d'entre Garonne et Pyrénées. Pour les habitants des antipodes, leur valeur a été une révélation. Interrogée, une autorité politique australienne des plus éminentes a déclaré : « Du point de vue de la propagande française, vos rugbymen ont obtenu, en quelques semaines, des résultats supérieurs à ceux que pourraient obtenir vos meilleurs conférenciers, discourant pendant un demi-siècle. Chez nous, l'homme de la rue connaît et respecte maintenant la France. »

Les considérations de prestige ne sauraient donc être négligées. Nous en déduirons qu'une politique extérieure du sport s'impose. Ses principes sont simples : aider au maximum l'exportation — si l'on peut dire — de nos rares vedettes de classe mondiale ou européenne. Interdire les déplacements lointains des médiocres, promis à des défaites déshonorantes. N'oublier jamais que, pour les masses aux réactions élémentaires, c'est- la France qui est victorieuse ou battue. Certes, il est impossible de gagner toujours. Mais la résistance doit, au moins, être sérieuse, la lutte à peu près égale. En se classant deuxième au tournoi international d'Istambul, notre équipe de basket-ball a bien servi notre pays. Écrasée ça et là, notre équipe de water-polo n'a inspiré que des commentaires ironiques. Elle aurait mieux fait de rester chez elle.

Si nous examinons une autre donnée du problème, nous nous convaincrons que, malgré certaines apparences, le sport n'a pas encore conquis, en France, la place qu'il mérite. Un adage antique recommande un harmonieux équilibré du corps et de l'esprit, des puissances physiques et intellectuelles. Il exprime une vérité aussi évidente aujourd'hui qu'aux époques où florissaient les civilisations d'Athènes ou de Rome. Le personnage du fort en thème .au visage boutonneux, aux épaules étroites, aux chairs molles et mal lavées est périmé et ne doit pas être regretté. Sans nous plier à une imitation servile des mœurs étrangères, en condamnant même certains excès, nous devons reconnaître que les résultats obtenus en Grande-Bretagne et aux États-Unis sont excellents. Les élèves des universités d'Oxford, de Cambridge ou d'Harvard poursuivent de sévères études, tout en consacrant plusieurs heures chaque jour aux jeux du stade, de la piscine, du gymnase, de la rivière. Les meilleurs d'entre eux sont des hommes complets. Nous pourrions citer plusieurs facultés françaises qui ne possèdent même pas un terrain où les étudiants auraient le loisir de s'ébattre sainement, d'emplir leurs poumons d'un air pur et vivifiant. Les Américains exagèrent sans doute dans leur recherche de champions et de phénomènes. Nous péchons par un excès contraire en ne fournissant pas à nos jeunes hommes les moyens de s'épanouir, en ne mettant pas à leur disposition des moniteurs capables de diriger un entraînement rationnel et modéré.

On objectera encore que les conditions sociales ne sont pas identiques en France et dans les pays saxons. Outre-Manche et outre-Atlantique, les athlètes se recrutent, en majorité, parmi les étudiants, alors que, chez nous, les sportifs sont puisés surtout dans les milieux populaires. « Après une journée de travail manuel, est-il raisonnable, dira-t-on, d'astreindre des ouvriers, des paysans à des efforts physiques ? Par force majeure, nos compatriotes sont voués au rôle de spectateurs. »

La remarque paraît judicieuse. Elle est cependant démentie par des faits indiscutables. Ce sont les mineurs du Nord, astreints à la plus lourde des tâches, qui forment l'armature des équipes de football au «pays noir »; ce sont les mineurs de Carmaux, les forgerons du Boucau qui composent de vigoureuses formations de rugby. Si paradoxal que cela semble, un effort repose de l'autre, des groupes différents de muscles sont sollicités, les poumons se désintoxiquent, le corps se libère des gestes sans cesse répétés, l'esprit s'exalte dans des luttes viriles et désintéressées. Le sport fournit cette activité « de luxe » dont aucun homme ne se passe.

Nous n'ignorons pas que des activités professionnelles trop absorbantes et trop pénibles interdisent à un homme de valeur exceptionnelle le plein épanouissement de ses qualités. Le champion digne de ce nom est comparable à un pur sang dont l'organisme nerveux et fragile est affecté par le moindre surmenage et par les écarts de régime. En outre, les longs déplacements sont interdits à ceux qui, cinq ou six jours chaque semaine, sont retenus à l'usine ou au bureau. L'authentique champion — rarissime, précisons-le — mérite donc un statut particulier. Plus ou moins ouvertement, dans tous les pays du monde, des faveurs spéciales lui sont accordées. S'il occupe un emploi public ou privé, il est soumis à un horaire personnel et ses congés sont élastiques ; si son nom figure sur l'enseigne d'un magasin, un autre gère le commerce ; un poste de moniteur, voire de démonstrateur, lui est réservé dans les services d'éducation physique, l'armée l'exempte de marches et de corvées. Ne crions pas à l'injustice. Les servitudes de l'entraînement sont strictes et contrebalancent les avantages. Et puis, une fois admis que, dans la société contemporaine, le champion fait figure d'ambassadeur populaire ou, si l'on préfère, de porte-drapeau, il serait maladroit, par vain scrupule, de se priver de ses services.

Une image nous aidera à représenter la situation. Dessinons une pyramide. Sa base est occupée par la masse des pratiquants, en activité ou virtuels : ceux qui marchent, courent, nagent, pédalent sans méthode. A mesure que le tronc du solide s'élève et se rétrécit, une sélection s'opère. A des étages successifs, nous avons les adeptes de la culture physique, les membres, encore confondus, des sociétés sportives, les garçons mieux doués qui se distinguent dans des épreuves régionales, les spécialistes dont la notoriété s'étend plus loin que les limites de leur province, les sélectionnés pour les championnats de France. Enfin, tout en haut, là où l'arête se fait aiguë : les as.

Deux objectifs sont visés. Le premier, qui, pour être atteint, demande un travail de longue baleine, consiste à élargir la base de la pyramide en menant une action à l'école, à l'université, dans l'armée, à l'usine, et à former patiemment des apprentis, puis des compagnons de l'oeuvre sportive ; le deuxième, quand la. sélection est opérée, se propose de faire rendre le maximum aux sujets d'élite. C'est cet objectif que s'assignent pour les prochains mois ceux qui assument la lourde responsabilité de la représentation française aux Jeux olympiques d'Helsinki. Notre vœu est qu'ils se montrent excessivement difficiles. Mieux vaut envoyer en Finlande quelques athlètes qui, même battus, feront bonne figure que des dizaines de braves garçons voués, pour la plupart, au rôle de figurants ou de ramasseurs de casquettes. Des déconfitures récentes doivent servir de leçons.

Quant au travail de base, il donnera ses fruits à la veille des Jeux de 1956, dont l'Australie sera l'organisatrice. Nous avons donc le temps d'en reparler, quoique, quand il s'agit d'accomplir une œuvre considérable, quatre ans passent vite.

Jean Buzançais.

Le Chasseur Français N°658 Décembre 1951 Page 730