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Le ski et la corde

Avec les premières neiges, les excursions de haute montagne en ski sont redevenues possibles. Et même, en 1951, elles n'ont guère cessé : les Chamoniards ne firent-ils pas courir un slalom, au Brévent, le 14 juillet ! Donc, à nouveau, les skieurs vont courir les glaciers, et comme toujours va se poser le problème de la corde.

Je ne veux pas dire que l'on ne doit se risquer en ski sur le glacier qu'encordé, par crainte des crevasses. J'ai toujours regretté que, avant 1914, je n'aie point eu une caméra telle qu'on les fait aujourd'hui, pour filmer certains magnifiques essais de descente en ski, encordés à dix mètres, sur le glacier du Géant. L'un de nous — 90 kilogrammes et skis norvégiens de Hagen — filait comme une bombe, tirant derrière lui un copain de 60 kilogrammes, sur des Staub à spatules presque verticales, qui tournoyait en glapissant, virevoltant comme une cuiller de lancer léger. Le troisième, chargé d'un sac phénoménal, passait son temps à poser sa tête devant ses skis, à chaque coup de rappel de la corde, et son sac, que ne retenait aucune armature, se rabattait majestueusement sur ses oreilles, lui enfonçant le nez dans la neige.

Du Samivel, revu et corrigé par Dubout.

Mais si, avec le recul du temps, ce spectacle nous paraît incomparablement burlesque, il est quelque chose de bien ridicule également, et que nous faisons tous les hivers : c'est de nous embarquer sans la moindre " ficelle " dans la caravane.

Alors, à deux heures de tout secours, un de nous tombe dans le trou. Il s'arrête à 7 ou 8 mètres, et les autres n'ont que la ressource de l'encourager de leurs bons conseils, tandis que les meilleurs skieurs s'en vont, parfois jusqu'au premier village, à la recherche d'une vague corde. Même si l'accidenté ne succombe pas au froid, il faut bien avouer que, quand on finira par l'extraire de sa cachette, il trouvera l'affaire plutôt saumâtre. Quant à l'excursion, après ce petit incident qui aura duré la matinée entière et qui aurait pu ne prendre que dix minutes, il n'en est naturellement plus question.

Remarquons ici que la corde de ski, corde de repêchage, qui n'est pas destinée à supporter le poids d'une chute, peut facilement être bien plus légère que la corde de rocher. Point n'est besoin d'une 12 millimètres, arrêtant une tonne en chute libre, Là corde de 8 millimètres suffit largement. Plus mince, elle serait diflicile à haler et couperait les doigts. On peut en emporter deux morceaux de 10 mètres, confiés à deux skieurs différents, pour ne pas mettre tous les œufs dans le même panier. Il est .facile de les ajuster bout à bout par deux boucles prêtes à l'avance et, avec 20 mètres, on peut déjà tirer de la crevasse la grande majorité de ceux qui risqueraient d'y tomber.

A l'époque préhistorique, j'emportais en montagne, sur le glacier, un piolet de 1m,20, muni d'un disque comme les bâtons de skis. Comment je ne me suis jamais estropié et n'ai jamais tué quelqu'un, je me le demande encore. Mais, aujourd'hui que nous en savons plus long, il est bon qu'un de la troupe prenne au fond de son Sac, protégé par une gaine de cuir, un de ces petits marteaux-piolets de grimpeurs à poser les pitons..

Ces marteaux ont généralement une dragonne, et il est enfantin de les descendre à bout de cordé à celui qui trouve le temps long dans son trou et qui n'a même pas la ressource de battre la semelle. Avec ça, il aura Vite fait de se creuser des prises, pour se maintenir ou pour remonter, et l'extraire de sa crevasse ne sera. plus qu'un jeu.

Trop d'entre nous finissent par s'endormir dans une fausse sécurité. Les meilleurs nageurs n'ont aucune fausse honte, pour sauter des rapides en canoë, à emporter une chambre à air gonflée. Il m'est même arrivé de surnager, seul de toute une flottille, avec un canadien plein d'eau où j'avais arrimé un bidon d'essence vide de cinquante litres, à la place du passager. Aussi, sans souci de cette très modeste surcharge, emportons un bout de corde quand nous allons en ski sur le glacier. Cela nous évitera de faire sotte figure au bord de la crevasse et l'autre, celui qui sera dans le trou, ne nous fera certainement pas de reproches.

Robert Laravire.

Le Chasseur Français N°658 Décembre 1951 Page 731