Le saturnisme, cette intoxication par les sels de plomb,
assez fréquente jadis, est aujourd'hui — depuis qu'elle a été mieux connue — devenue
plus rare, et si je choisis ce sujet, j'y suis incité comme bien souvent par la
demande d'un lecteur, qui m'écrit :
« Je consomme une grande partie du gibier que je tue. Or il
est très rare que je rencontre en mangeant quelques-uns des plombs qui ont
blessé les pièces abattues. Il faut donc admettre que, lorsqu'on consomme du
gibier, on absorbe sans même s'en douter de nombreux plombs de chasse.
Que deviennent ces plombs dans l'organisme ? Ne risquent-ils
pas de provoquer des troubles : intoxications par le plomb, péritonite,
appendicite, etc. ? »
je crois pouvoir immédiatement rassurer mon aimable
correspondant sur les conséquences fâcheuses, évidemment plausibles, mais plus
théoriques que certaines.
On a supposé que l'ingestion massive de plombs de chasse
pourrait être une cause d'intoxication saturnine, mais je ne crois pas qu'on
ait jamais pu déterminer cette origine. Pour qu'ils puissent déterminer une péritonite,
il faudrait qu'il existât une ulcération de l'estomac ou de l'intestin ; enfin,
il n'est pas non plus impossible — théoriquement — qu'un ou plusieurs grains de
plomb aillent malencontreusement s'engager dans l'appendice, mais je n'en ai
jamais vu signaler parmi les corps étrangers trouvés en cas d'appendicite aiguë.
En réalité, le dépeçage et les préparations culinaires préalables
débarrassent les pièces de gibier d'une grande partie des plombs de chasse qui
les ont tuées. Quelques-uns seront éliminés lors de la mastication s'ils se
trouvent sous une dent. Quant à ceux qui auront échappé, ils suivront les bouchées
alimentaires, traverseront l'estomac et l'intestin, vraisemblablement sans y
subir de modifications au cours de ce bref trajet, et seront finalement expulsés
avec les déchets.
Je ne sais trop pourquoi cela me fait penser aux « pilules
perpétuelles » des temps d'autrefois ! Il s'agissait de pilules
de régule d'antimoine, affublées de vertus thérapeutiques, qui traversaient le
tube digestif sans altération et qui étaient récupérées à la sortie, pour
resservir éternellement — après lavage, je pense !
Sans vouloir faire une monographie du saturnisme,
intoxication devenue plus rare avec l'observation des principes d'hygiène les
plus élémentaires, il n'est peut-être pas inutile d'en parler.
Les auteurs anciens ont plusieurs fois signalé des coliques épidémiques,
avec ou sans signes paralytiques, certainement dues à une intoxication par le
plomb, comme on s'en rend compte aujourd'hui.
Cette intoxication peut être d'origine professionnelle ou
alimentaire. Au point de vue professionnel, y étaient surtout exposés ceux qui
travaillaient le plomb, ses oxydes ou ses sels, en première ligne ceux qui
trituraient ou se servaient des peintures à base de plomb, particulièrement la
céruse ; l'accident le plus aigu, la colique de plomb, était même connue sous
le nom de « colique des peintres ».
Au point de vue alimentaire, l'intoxication peut être due
principalement à l'eau, provenant de conduites en plomb, généralement abandonnées
maintenant, ou ayant séjourné dans des récipients en plomb ou mal étamés. Le
vin et l'eau-de-vie ont été parfois frauduleusement adoucis avec de la
litharge, fraude certainement très rare aujourd'hui.
Pour les aliments, on peut incriminer l'emploi d'ustensiles
culinaires dont l'étamage serait trop plombifère ou en mauvais état. On a aussi
incriminé certaines conserves, à cause de l'étamage des boîtes et de leurs
soudures. Cet accident est peu à redouter avec les conserves de bonne marque ;
toujours est-il qu'il est prudent de ne jamais conserver un aliment quelconque
dans une boîte en vidange, de le verser immédiatement dans un plat (parfois après
légère ébullition pour les légumes devant subir encore une cuisson).
L'intoxication saturnique chronique, du fait de l'absorption
longtemps prolongée de petites doses de poison, peut causer une anémie
particulière avec un teint grisâtre ou jaunâtre, de la lassitude générale et
quelques troubles digestifs, parfois du tremblement, des paralysies.
Parmi les accidents aigus, ceux qu'on observait le plus
souvent étaient la colique de plomb et la goutte saturnine.
La colique de plomb est caractérisée par une douleur très
vive avec une constipation opiniâtre, accidents dus à la contraction des fibres
musculaires lisses de l'intestin. Le ventre est dur, contracté, « rétracté
en bateau ».
Le traitement de cette affection était jadis spécialisé à l'hôpital
de la Charité, à Paris, traitement aujourd'hui simplifié ; il consiste tout
d'abord à calmer la douleur, au moyen d'opium, morphine ou quelque autre dérivé
de l'opium, ou d'un anti-spasmodique de synthèse. La belladone agit comme
calmant de la douleur et facilite encore l'exonération de l'intestin, qui
d'ailleurs, à elle seule, apporte déjà un soulagement. Les purgatifs drastiques
sont généralement bien tolérés, et l'emploi de la fameuse eau-de-vie allemande
et du lavement purgatif du Codex était usuel. On se trouve également bien,
lorsqu'elle est facilement acceptée, de l'huile de ricin et même, à doses plus
fortes, de la simple huile d'olive.
Quant à la goutte saturnine, elle présente les mêmes caractères
que la goutte classique et est justiciable du même traitement.
Si j'ai cru qu'il n'était pas tout à fait inutile de citer,
très succinctement, ces accidents, je les crois aujourd'hui assez rares pour
que j'aie l'air d'écrire un chapitre presque anachronique.
Dr A. GOTTSCHALK.
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