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Discordances et réalités

Quelques-uns de nos correspondants nous témoignent parfois leur étonnement de voir publier de divers côtés des résultats quelque peu différents concernant les essais balistiques et nous demandent quels sont ceux auxquels on peut ajouter foi, ainsi que les raisons de ces discordances. Nous pensons donc que quelques explications ne seront pas inutiles à ce sujet.

Au cours de ces causeries, nous avons eu plusieurs fois l'occasion de faire remarquer à nos lecteurs que, parmi les éléments utilisés dans l'étude des armes et des munitions et dont les principaux sont la vitesse initiale des projectiles, la pression maxima développée par l'explosif et la dispersion aux différentes distances, seule cette dernière, variable d'un coup à l'autre entre certaines limites, pouvait être chiffrée d'une manière indiscutable.

La vitesse, au contraire, mesurée au chronographe, comporte toujours certains éléments d'incertitude, et sa mesure, qui ne se fait d'ailleurs que sur une fraction de la charge, est donc moins certaine en valeur absolue. Quant à la pression, son estimation par la déformation d'un métal assimile un effet statique et un effet dynamique avec plus ou moins de rigueur.

En réalité, il nous faut bien comprendre que ces expériences sont principalement destinées à fournir des jugements comparatifs et non des valeurs absolues. Nous pourrons déterminer avec certitude la supériorité d'un explosif, d'un mode de chargement ou d'un forage par rapport à d'autres explosifs ou d'autres forages, mais les quantités numériques relevées au cours de nos essais n'ont, il faut le dire, qu'un intérêt relatif en valeur absolue.

En outre, un très grand nombre de causes secondaires interviennent dans la valeur des résultats ; la plupart du temps, les expérimentateurs omettent de préciser toutes les caractéristiques de l'essai et publient ainsi des résultats pouvant parfois différer assez sensiblement avec ceux provenant d'autres sources. Bien entendu, dans tous les cas, les chiffres sont aussi exacts qu'il est possible, mais il y a des éléments de variation non signalés, ayant été jugés peu importants. En réalité, ils sont, par leur nombre même, la cause de différences assez sérieuses, et il faut nous souvenir que, lorsqu'une mesure comporte des éléments susceptibles d'erreurs, l'erreur finale s'exprime par la racine carrée du carré des erreurs individuelles.

Un exemple fera mieux comprendre à nos lecteurs ce qui peut se passer dans ce genre d'essais comparatifs. Si nous disons, par exemple, qu'une charge de 2gr,20 de poudre T donne à 32 grammes de plombs une vitesse initiale de 375 mètres en développant une pression de 400 kilos, il demeure entendu que les chiffres précités sont aussi précis que nos mesures le permettent, mais qu'ils sont loin de comporter individuellement le même ordre de précision. La balance nous donne des masses une mesure très exacte, mesure dans laquelle les moyennes sont inutiles, alors que vitesses et pressions résultent d'éléments mesurés individuellement avec beaucoup moins d'exactitude ; mais ce n'est pas tout.

Nous savons qu'en ce qui concerne les variations de la vitesse initiale et des pressions les causes ci-après ont encore une certaine influence :

Longueur du canon, forme du choke, chambrage et raccordement, diamètre exact de l'arme, puissance de la percussion, type et âge de l'amorçage, forme du fond de la douille, genre du sertissage, caractéristiques du lot de poudre, compression éventuelle de celle-ci, degré d'humidité, nature du bourrage, conditions atmosphériques, grosseur et dureté du plomb, etc.

Et, en ce qui concerne la dispersion, nous pourrons ajouter aux causes précédentes l'épaisseur du canon et son dressage.

On conçoit donc que, lorsque des opérateurs différents ne font pas connaître avec minutie toutes les conditions dans lesquelles ils ont procédé à leurs essais, ils peuvent indiquer des résultats exacts, mais parfois en discordance avec d'autres, également exacts. Le tout est de s'entendre.

Devons-nous, au point de vue pratique, attacher beaucoup d'importance à cet état de chose ? Personnellement, nous ne le croyons pas et voici pourquoi.

En principe, les lots de poudre, qui ne sont pas toujours absolument réguliers, sont étudiés dès leur livraison par tous les fabricants de munitions sérieux, et les cartouches sont conditionnées d'après les résultats obtenus de manière à obtenir une vitesse et une pression convenables ; tout acheteur de munitions contrôlées a donc l'assurance que l'on a fait pour le mieux avec les éléments disponibles.

Il reste évidemment la catégorie de ceux qui, à l'exemple des Anglo-Saxons, se complaisent dans de nombreuses variétés de chargement pour un même calibre. Sans méconnaître la valeur théorique de ces idées, nous sommes persuadés que, dans la pratique de nos chasses ordinaires, elles n'ont que fort peu d'influence sur le rendement des armes, et ceci en raison de la diversité même qui se présente dans l'emploi des munitions. Un type particulier de chargement n'offre d'intérêt que dans des conditions d'emploi très limitées au point de vue de la nature du gibier et de sa distance moyenne de tir; il demande, en outre, un écart très réduit pour donner son plein effet. Toutes ces conditions se trouvent rarement réunies dans les chasses, où l'on peut avoir à tirer inopinément perdrix, lapin, lièvre, faisan ou chevreuil ; il est donc peu raisonnable d'attacher de l'importance à l'emploi de munitions trop spécialisées s'écartant d'un type normal, lequel, bien confectionné, conviendra à la moyenne des armes et des divers gibiers, compte tenu de la grosseur du plomb à employer.

Nous ne ferons, bien entendu, de réserves qu'en ce qui concerne la dispersion, dont la valeur dépend à la fois du forage de l'arme et d'un certain chargement. À chacun de nous d'adopter ce qui convient le mieux à son adresse et à la nature du gibier.

Il convient enfin d'être bien persuadé qu'avec une bonne pénétration et une dispersion raisonnable le succès du tir est assuré beaucoup plus par un faible écart personnel que par des variations de charge ou de calibre. Il est malheureusement impossible de donner quelque merveilleuse recette concernant la réduction de l'écart personnel des tireurs ; on sait que l'erreur moyenne de 1 degré est souvent dépassée lorsque le gibier est difficile à juger au point de vue de la vitesse et de la direction. Seule la pratique du tir améliore le rendement, mais encore convient-il de posséder un minimum de dispositions naturelles pour réussir.

Nous les souhaitons bien cordialement à nos lecteurs, en leur conseillant d'attacher plus d'importance à l'entraînement qu'à des considérations un peu trop théoriques.

M. MARCHAND,

Ingénieur E. C. P.

Le Chasseur Français N°659 Janvier 1952 Page 1