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Chasseur de cailles

La caille intéresse surtout les chasseurs du Sud-Ouest. C'est que, plus que tout autre gibier, elle s'accorde mieux à la chasse banale. Ailleurs, il y a des cailles aussi : dans le Nord et le Centre ; mais, d'une part, leur besoin d'émigrer vers le Sud se manifeste plus tôt, en raison du climat et du genre de cultures ; d'autre part, les chasseurs ne s'y intéressent pas ou guère. Vidant normalement les lieux plus tôt, dans des régions où l'ouverture de la chasse a lieu plus tard que dans les zones méridionales, la caille n'y est pas considérée comme gibier que l'on recherche, mais comme gibier de rencontre. On ne compte pas sur elle pour grossir le tableau, on ne va pas spécialement chasser la caille ; à plus forte raison peu ou pas de chasseurs entretiennent un chien spécialisé sur ce gibier. En serait-il qu'à de bien rares exceptions ces chasseurs ne pourraient se livrer à ce genre de sport, incompatible avec le mode de chasse à peu près exclusivement pratiqué et connu dans la moitié nord de la France : la chasse par actions. Sport collectif et dirigé, il exige une discipline : chasse à jours et heures fixes, dans secteur imposé dans les frontières du terrain loué. Point nécessaire de dépeindre la technique et le processus de la chasse à la caille avec un chien d'arrêt, même avec un spaniel, un basset ou un corniaud (il en est qui y excellent), pour comprendre qu'ils sont incompatibles avec la battue marchante à une ou deux douzaines de chasseurs (nécessité de maintenir la ligne), à plus forte raison avec la battue statique devant des rabatteurs. D'ailleurs, chasser la caille autrement qu'avec un bon et patient chien d'arrêt ne peut offrir aucun attrait.

Dans le Sud-Ouest, au contraire, la caille niche plus volontiers, elle y attend donc que les cailleteaux soient assez forts pour quitter le pays ; elle s'y attarde, en outre, plus ou moins selon les années, trouvant dans les cultures plus herbues, dans les maïs et les millets, nourriture abondante et séjour de prédilection. Tout chasseur au chien d'arrêt a pour objectif d'ouverture la caille ; sans doute le perdreau aussi, mais avec moins d'empressement, car ce dernier, sédentaire, lui reste. En général, il chasse le perdreau deux heures durant les journées chaudes de fin août et de début septembre, la caille ensuite en guise de repos, et il fait de ce petit, mais délicieux gibier, l'objet de ses sorties en fin d'après-midi quand le soleil décline. Bien des chasseurs ne chassent que la caille jusqu'au 10 ou 15 septembre ; ils ont un chien bien adapté à ce gibier, parfois ne connaissent que lui. La caille affectionne en principe la plaine ; le chasseur habitant le coteau y descend. Certains endroits sont bien plus favorables que d'autres, il s'y dirige et les prospecte en toute liberté. Outre les cailles ayant niché dans le pays, il y en a des passages, parfois jusqu'au début d'octobre, amenant des boutées d'oiseaux pour un séjour souvent très bref, parfois d'un jour et d'une nuit. Comme tous ceux des migrateurs, ces passages ne peuvent être prévus, même par les plus vieux chasseurs, malgré quelques observations qui se révèlent incertaines. Comme tous les gibiers de passage, la caille, pour être chassée, suppose la plus large liberté dans l'espace et le temps. En dépit de toute autre conception ou définition de la chasse, ce gibier ne peut être chassé qu'individuellement, où il se trouve, quand on suppose qu'il s'y trouve. Ce sport est donc incompatible avec la chasse caporalisée, à jours, lieux et heures imposés. Si cette conception est aujourd'hui incompatible avec les notions modernes du sport et de la liberté, ne parlons plus de la chasse à la caille et supprimons nos chiens d'arrêt ; car, désormais, hélas ! leur rôle est compromis par les mœurs des derniers perdreaux rouges, et les bécassiers savent bien que la question du scolopax appelle les mêmes conclusions que la question des cailles ; ils sont, par conséquent, directement intéressés, dans son principe, au problème posé.

Oh ! non, ne criez pas encore à l'anarchiste, à l'empêcheur de chasser sagement en rond ! Il est bien entendu qu'il faut supporter des contraintes pour éviter l'extermination du gibier. Le moyen radical serait de supprimer la chasse ; mais, entre la licence et cette solution, la logique a son mot à dire.

Au temps où la chasse ouvrait le 15 août, les chasseurs se plaignaient déjà de cette ouverture tardive venant après le premier grand départ des cailles. Je me souviens des récriminations de mes aînés en ce temps-là ; ils en tuaient pourtant plusieurs centaines avant le 1er septembre ! Depuis, la raréfaction de ce gibier a été imputée à diverses raisons, et notamment à leur capture en masse en certains pays étrangers. Ces procédés existaient de tous temps et, s'ils sont regrettables, d'ailleurs freinés par quelques restrictions aujourd'hui, ils ne font pas obstacle au fait que les cailles partent toujours dans la première moitié d'août. Toutefois, l'ouverture au 15 août satisferait tous les chasseurs de cailles.

On ne saurait l'envisager, dit-on ; les perdreaux sont à peine volants et les pouillards seraient massacrés sans merci.

Étaient-il plus précoces il y a vingt-cinq ans ? C'est possible, après tout, on peut en voir plusieurs raisons hypothétiques ; mais on ne peut l'affirmer chaque année. Un motif plus valable, justifiant une ouverture retardée aux perdreaux, est le nombre croissant de ceux qui les chassent et la nécessité de limiter la destruction de ce gibier. Acceptons-la ; mais est-ce une raison pour brimer les chasseurs de cailles ? Celles-ci, épargnées chez nous, vont remplir les carniers des chasseurs étrangers sans aucun profit pour les nôtres.

Et voici le problème posé : celui de l'ouverture échelonnée pour les divers gibiers.

Sur avis des Fédérations départementales des chasseurs, les préfets peuvent modifier les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse fixées par le ministre ; ils peuvent avancer ou retarder celles de certains gibiers. En outre, les sociétés communales peuvent prendre des décisions semblables sur leur territoire. Chaque année, des fédérations ou des sociétés communales du Sud-Ouest et du Sud usent de cette faculté à l'égard de la caille. Ce procédé provoque des critiques passionnées, surtout lorsque la décision intéresse toute une région ou un département aux terroirs fort variés. Les représentants des chasseurs de la plaine, dont la caille est le principal gibier, se heurtent à ceux des coteaux, où le perdreau rouge établit ses derniers remparts. Ouvrir la chasse de la caille en plaine avant d'ouvrir la chasse à tous gibiers dans les coteaux ne contente souvent personne. Exemple, cette année : l'humidité provoquée par des pluies abondantes a contraint les cailles, dans beaucoup de régions, à nicher sur certains plateaux. En outre, le procédé consistant, dans un même département, à ouvrir la chasse dans quelques communes alors qu'elle est fermée dans d'autres amène sur les premières une densité de fusils jugée à juste titre intolérable. Réserver la primeur d'une telle ouverture aux seuls ressortissants de la commune, d'ailleurs peut-être non intéressés, est incompatible avec la solidarité qui anime les chasseurs, l'esprit de tolérance et de réciprocité en vigueur dans les régions de chasse banale.

Les ouvertures différées se heurtent à un autre argument : l'indiscipline des chasseurs, dont la plupart ne sauraient résister à la tentation de tirer les perdreaux.

Cet argument est grave par ce qu'il suppose et par ce qu'il avoue. Il suppose, en effet, que, dans le cœur de tout chasseur français, un braconnier sommeille. Hélas ! sans généraliser, il est bien vrai que les chasseurs disciplinés sont rares et que l'argument est de poids. Il y a quelques années, chassant la caille, dont l'ouverture était anticipée, tout autre gibier interdit, un beau lièvre sur pieds vint s'asseoir dans un rang de vigne à 20 mètres de moi. Je n'eusse certainement commis nul crime en le tirant ; respectueux de cette discipline (« qui fait la force principale des armées, etc. »), je le laissai filer. Deux cents mètres plus loin, il fut tiré par un chasseur, qui ne tirait jamais les cailles, les estimant bien trop petit gibier. Toutefois, il est réconfortant de constater une certaine évolution dans la mentalité de beaucoup de chasseurs citadins ou ruraux ; ces derniers, notamment, peu enclins à chasser hors de leurs horizons familiers, commencent à se rendre compte de la nécessité d'épargner le gibier ; les braconniers, dans les campagnes, s'aliènent maintenant l'estime et l'amitié des vrais chasseurs. À l'occasion d'une ouverture échelonnée en 1950, on peut, en de nombreux endroits, affirmer que pas un perdreau ne fut baptisé caille, bien qu'il y eût de nombreux pouillards. Le fait vaut d'être enregistré, car il permet certains espoirs.

Plus grave est l'aveu dudit argument impliquant l'impuissance des gardes à faire respecter l'arrêté. Sans doute, les ressources limitées des sociétés et des fédérations restreignent le nombre des gardes ; mais, en trente ans, je n'en ai jamais rencontré ... Quant aux gendarmes, surtout depuis qu'ils sont motorisés, ils ne rencontrent des chasseurs que sur les routes nationales et ne peuvent, d'ailleurs, visiter les carniers, ni les coffres des automobiles. La gravité de cet aveu est qu'une autorité reconnaît sa propre carence. À quoi bon édicter des lois, faire des règlements, si l'on déclare par avance que l'on ne peut les faire respecter ? Arguer de ce motif pour éluder un règlement reconnu bon dans son principe serait, pour une autorité, abdiquer sa raison d'exister.

Or l'ouverture anticipée en faveur des chasseurs de cailles est un principe bon du point de vue cynégétique ; il est un droit pour les intéressés, qui ne peuvent sans lui exercer la chasse qu'ils aiment et qu'ils ont bien le droit d'aimer, attendu notamment qu'ils ne demandent rien au budget du repeuplement ! Ils ne sauraient être brimés par la mentalité des uns et par la carence des autres. Mais il y a plus, ils sont brimés, quand le principe en est admis, dans son application.

Plusieurs fédérations ouvrent, en effet, la chasse à la caille le dernier dimanche d'août, reportant l'ouverture générale au premier ou deuxième dimanche de septembre. Ce compromis est entaché du double inconvénient de ne donner aucun avantage pratique aux chasseurs de cailles et de laisser à ceux qui y sont opposés leurs arguments intacts. Si le principe en est admis, c'est le 15 août qu'il faut ouvrir la chasse aux cailles ; ainsi cette ouverture anticipée aura un sens réel sans aggraver un seul des arguments contraires. Pour réduire ceux-ci, il suffirait d'en vouloir les moyens ; dans la limite actuelle des possibilités, sans dépenses accrues, ils seraient très satisfaisants :

    — choisir ou rendre les gardes indépendants ;

    — concentrer leur activité et l'accroître sur l'application de l'arrêté ; demander aux préfets d'agir de même sur les gendarmes ;

    — accorder le droit de fouille aux gardes et gendarmes ; seuls les délinquants en puissance peuvent s'en offusquer ;

    — leur donner des primes intéressantes sur les procès-verbaux dressés.

S'agissant de la chasse à la caille, on pourrait, en outre, proscrire l'usage des chiens courants. Les gardes et gendarmes doivent savoir les distinguer ; cela fait partie du métier. À moins, bien sûr, qu'on autorise aussi la chasse du lapin par mesure démagogique (il ne saurait y en avoir d'autres, s'agissant d'un gibier qu'on peut chasser quand levrauts et pouillards n'ont plus à craindre le pillage de chiens qui, par nature, échappent au contrôle du chasseur), afin de « contenter tout le monde ».

Enfin, si les arguments « contre » gardent encore une valeur, on peut en limiter les effets dans le temps en n'ouvrant la chasse à la caille qu'une semaine à partir du 15 août, si l'ouverture générale est reportée au début de septembre.

Il est d'ailleurs curieux que les fermetures échelonnées de certains gibiers, pratiquées en toutes régions, ne provoquent pas les mêmes réactions que les ouvertures. Par quelle métamorphose le ... fusil chaud, soupçonné de prendre pouillard pour caille, dédaigne-t-il les perdreaux et faisans (sans parler des gibiers spéciaux à certaines régions et interdits dès la fin de septembre) en chassant le lapin, le lièvre, la bécasse, la grive et les colombidés ? Les gardes sont-ils plus actifs en automne qu'en août ? En maints départements, la chasse à la bécasse est permise sous bois jusqu'au 31 mars avec un chien d'arrêt. Est-il plus difficile de distinguer un chien d'arrêt d'un chien courant dans les chaumes que dans les bois !

La protection légitime du gibier sédentaire ne doit pas contrarier la chasse au gibier migrateur. Sachons, au contraire, trouver en ce dernier l'appoint gratuit qui vient du ciel compenser l'insuffisance du gibier autochtone. Les chasseurs étant plus nombreux, il faudrait leur offrir des possibilités nouvelles au lieu de leur en enlever.

GARRIGOU.

Le Chasseur Français N°659 Janvier 1952 Page 3