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La pêche en mouche sèche

Quand il entend parler de « mouche sèche », le profane sent — ou plutôt croit — qu'il entre dans un domaine si complexe qu'il lui paraît inutile de s'engager dans cette voie.

Cette appellation fait apparaître à ses yeux la fine canne en bambou refendu, le « split » anglais, la soie en fuseau, les bas de ligne impondérables et surtout les innombrables modèles de mouches, aux noms plus compliqués les uns que les autres et qu'il ne devra utiliser qu'à bon escient, suivant la saison, le jour, l'heure, etc.

Et toutes ces mouches, il faudra savoir les faire parvenir au bon endroit et les faire flotter.

— Non, décidément, c'est trop compliqué pour moi, dira-t-il.

Et, d'ailleurs, chez lui, il n'y a pas de saumons, ni d'ombres, ni de truites. Il est donc inutile d'essayer une méthode difficile sans espoir de succès.

J'écris tout cela pour concrétiser les doléances d'un de mes correspondants, fortement atteint par ces complexes d'infériorité et de résignation ; je voudrais lui communiquer l'énergie nécessaire et lui donner les moyens de réagir.

Tout d'abord, qu'il soit bien entendu qu'il y a peu de rivières en France qui ne soient susceptibles d'être prospectées à la mouche sèche.

S'il n'y a pas de poissons nobles — dits poissons de sport, — il y en a d'autres, les « blancs » : chevesnes, vandoises, ablettes, rotengles, entomophages eux aussi ; ils peuvent nous procurer du beau sport, les premiers cités surtout, et une bagarre avec un chevesne de 3 ou 4 livres, même moins, doit contenter un sportif qui sait limiter ses désirs et ses ambitions.

Question de gastronomie mise à part, une partie de pêche aux blancs en vaut une autre — ou presque. Vous en serez quitte pour faire cadeau du paquet d'arêtes au confrère malchanceux que vous rencontrerez et vous partirez couvert de ses bénédictions bien sincères, croyez-moi.

Nous allons donc pêcher en mouche flottante avec un matériel tout à fait rudimentaire et nous en servir le mieux possible.

Un conseil : si, un jour, vous rencontrez au bord de l'eau un romanichel, un de ces vanniers ambulants qui campent toujours près d'une rivière, suivez-le et, au besoin, offrez-lui une cigarette ; sans en avoir l'air, regardez son matériel, observez ses faits et gestes, vous aurez là un professeur hors pair pour cette pêche primitive.

Il utilise un long roseau, ou une fine tige de bambou, sur lequel il aura fixé en croix deux petits bouts de bois à 20 centimètres l'un de l'autre. Ils lui serviront à enrouler et à maintenir la réserve de cordonnet dont il peut avoir besoin. Parfois même il n'y a rien de tout cela, et il attache son fil au bout du scion, après l'avoir préalablement enroulé un peu plus bas.

Un morceau de nylon de 15 à 18/100 forme le bas de ligne et une grosse mouche noire, grise ou rousse, suivant le coq qui lui est tombé sous la main quand il l'a faite, et c'est tout. Mais quelle adresse ! quelle élégance ! quelle précision dans le lancer !

Chaussé d'espadrilles, il avance à contre-courant, sans faire aucun bruit, sans projeter sur l'eau aucune ombre. Et il lance devant lui, par côté, en insistant dans les coins qui lui paraissent bons. Son roseau fouette l'air, ne touche jamais l'eau et dirige la mouche à distance. Le long fil, plus long que la canne très souvent, s'étend bien rectiligne, dans un jet impeccable ; la mouche se pose sur l'eau et descend aussitôt, portée par le courant, revenant vers le lanceur.

Pour garder le contact, il relève lentement sa canne jusqu'à ce que la mouche arrive à sa hauteur. D'un coup sec, il l'arrache de l'eau et la relance en avant, faisant lui-même quelques pas. Toute une soirée, il opérera ainsi.

Les captures sont nombreuses et les belles pièces figurent en bonne place. A-t-il accroché un gros chevesne ? Immédiatement, il dresse sa canne à la verticale et le poisson s'épuise sur le long ressort formé par le roseau.

Le voilà près d'un banc d'ablettes : la grosse mouche serait peut-être trop volumineuse pour ces petites bouches. Il la change rapidement pour une plus petite, très fournie en plumes, elle aussi. Sa flottaison sera plus malaisée ; alors il tire de son sac un carré de feutre gras (vaseliné ou huilé) et y pince sa mouche : il est certain qu'elle va flotter admirablement, maintenant.

Quelques faux lancers en l'air, sans toucher l'eau, activeront la dessiccation.

La seule difficulté de cette pêche est le lancer ; mais quelques séances vous auront vite permis de trouver les gestes précis et efficaces.

Rappelez-vous que jamais la canne ne doit descendre plus bas que l'horizontale dans le lancer en avant et qu'elle ne doit guère dépasser la verticale dans le lancer arrière.

En un mot, les deux mouvements doivent s'accomplir, autant que possible, dans un plan d'un quart de cercle.

Vous allez donc essayer la pêche à la mouche sèche avec ce matériel rudimentaire, et, comme vous aurez du succès, je prévois ce qui va se produire : vous allez devenir un « mordu » de ce beau sport.

Et, alors, vous voudrez étendre vos connaissances et égaler ces grands sportifs qui capturent saumons, truites et ombres.

Comme eux, vous acquerrez le bel équipement permettant ces prouesses.

Comme eux, vous voudrez cueillir une grosse truite, dans une éclaircie comme une assiette, sur la rive opposée, parmi les buissons et les branches ; comme eux. vous explorerez les « pools » où s'ébroue le grand et puissant migrateur et, à leur exemple, vous ferez flotter une mouche microscopique sur un radier rapide, lisse comme un flot d'huile, et tout cela avec une canne fine comme une aiguille à tricoter.

Nul besoin de faire appel aux constructeurs étrangers pour acquérir un matériel parfait : vous trouverez en France tout aussi bien, sans faire à votre portefeuille une saignée trop importante.

Marcel LAPOURRÉ,

Délégué du Fishing-Club de France.

Le Chasseur Français N°659 Janvier 1952 Page 21