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L'explosif agricole

Les explosifs sont susceptibles de rendre des services en de nombreux cas non seulement dans les pays d'outre-mer, comme on le croit souvent, mais même dans la métropole. Ils ne sauraient constituer par eux-mêmes un système de culture, mais ils peuvent frayer le passage aux instruments aratoires et détruire les obstacles qui empêchent la mise en culture des terres. Parmi leurs principaux emplois, on peut citer le dérochement, le dessouchage, la préparation des plantations d'arbres, certains travaux de drainage ou de nivellement, etc.

Pour être commodément utilisé en agriculture, un explosif doit répondre à un certain nombre de qualités. Destiné à être manipulé par des non-spécialistes, il doit être pratiquement sans danger et, par conséquent, n'exploser ni au choc, ni à la chaleur. Il ne doit pas non plus laisser dans le sol de résidus nocifs à la végétation, ce qui fait éliminer les explosifs à base de chlorates. Il doit être suffisamment puissant pour provoquer l'effet cherché et, enfin, il doit être peu coûteux.

L'explosif agricole se présente en cartouches de 30 millimètres de diamètre, d'un poids de 100 grammes environ. Pour faire exploser les cartouches, on utilise un détonateur au fulminate de mercure, qui a l'aspect d'un petit tube métallique. On fait exploser le détonateur au moyen d'une mèche ou cordon Bickford, qui brûle à la vitesse de 1 mètre en 90 secondes ; on règle la longueur de la mèche de façon à laisser à l'opérateur le temps de se mettre à l'abri de l'explosion de la charge, composée d'une ou de plusieurs cartouches. Il est à remarquer, d'ailleurs, qu'il suffit d'un détonateur pour faire partir plusieurs cartouches. En quatre-vingt-dix secondes, un homme marchant à 6 kilomètres à l'heure parcourt 150 mètres. Explosant facilement, les détonateurs doivent être manipulés avec précaution et rangés soigneusement, hors de portée des imprudents et des enfants.

Dans certains cas, notamment quand on a un grand nombre de cartouches à faire partir, on peut utiliser le courant électrique pour remplacer la mèche. Cela présente, entre autres avantages, celui d'assurer la simultanéité des explosions, ce qui a pour effet, quand elles s'appliquent à un même objet, d'en renforcer l'effet.

Le dérochement.

— On trouve parfois dans les champs des quartiers de roche en surface ou à faible profondeur. Très gênants pour les travaux, ils peuvent briser les machines ; mais leur enlèvement est difficile en raison de leur masse. Suivant la nature de la roche, ils pèsent de 2.500 à 3.500 kilos au mètre cube. Quelques cartouches, deux ou trois par mètre cube, permettent de détruire ces roches et d'en débarrasser le champ.

Suivant la position de la roche, la charge sera placée au-dessus, bien recouverte d'un mortier de terre, ou dessous, ou même en chapelet l'entourant. Dans la mesure du possible, on s'efforcera de faire exploser les cartouches en même temps.

Au lieu d'une simple roche, on a parfois affaire à un banc rocheux qu'on ne saurait détruire entièrement, mais qu'on peut disloquer suffisamment pour pouvoir faire des plantations d'arbres. Suivant les circonstances, le but à atteindre et la nature de la roche, on dispose les cartouches à intervalles plus ou moins éloignés, ou même on place deux ou trois cartouches ensemble. On fait dans la roche un forage de 0m,80 à 1 mètre avec la barre à mine, on y introduit les cartouches, on bourre soigneusement, on recouvre même l'orifice par une grosse pierre et on allume.

Le dessouchage.

— L'enlèvement des souches par les procédés habituels est une opération longue, coûteuse et pénible. L'explosif facilite considérablement l'opération. Pour des souches moyennes, on met deux charges de deux ou parfois trois cartouches, qu'on dispose diamétralement. Pour de plus grosses souches, il faut multiplier les charges et parfois faire des trous dans la souche. D'une façon générale, on utilise quatre charges de 300 grammes chacune pour disloquer une souche de 0m,80 de diamètre. Somme toute, le bois résiste mieux que la pierre à l'explosif ; celui-ci en vient cependant à bout.

La plantation des arbres.

— En dehors même du cas où la roche s'oppose à la plantation des arbres, il peut être utile de recourir à l'explosif pour faire les trous de plantation, et cela chaque fois que la terre est dure et compacte. Le nombre de cartouches à utiliser dépend de la nature du sol et de la profondeur du trou. Plus il est profond, plus il faut forcer la dose, mais plus le travail est complet. À une profondeur de 0m,80, il faut mettre deux cartouches de 100 grammes, ce qui pulvérise près de 2 mètres cubes de terre et, ce qui n'est pas moins intéressant, on en ébranle plus ou moins une quinzaine d'autres.

Drainage.

— Il ne saurait être question de remplacer systématiquement les travaux de drainage par des explosions de mines. Il peut arriver cependant que l'humidité du terrain soit due à une couche argileuse imperméable peu épaisse, qu'il suffirait de rompre pour assainir le terrain. On fait alors des trous dans cette argile, et on place trois cartouches dans chacun d'eux, qu'on bourre ensuite soigneusement. De deux à quatre trous sont suffisants pour assainir un hectare, à condition, évidemment, que les roches situées sous la couche d'argile soient elles-mêmes perméables.

Nivellement.

— L'explosif peut permettre aussi de détruire les diverses buttes et les accidents de terrain qui bossellent un champ, ou encore les talus qui les bordent. Dans ce dernier cas, on place de chaque côté du talus une mine de deux ou trois cartouches par mètre courant. L'effet obtenu est d'autant meilleur que l'explosion des mines est simultanée.

Bien d'autres usages peuvent se présenter encore à l'explosif, ne serait-ce que faire des fossés, creuser des fondations pour un bâtiment, aider au forage d'un puits, etc. Un avantage accessoire, mais non négligeable de l'emploi des explosifs, est le dégagement de gaz toxiques, qui asphyxient un certain nombre de rongeurs et d'insectes. Il n'est pas douteux que le procédé pourrait être utilisé plus largement qu'il ne l'est, faute bien souvent d'y penser. Il est sans danger quand les précautions nécessaires ont été prises, mais encore faut-il qu'elles le soient. Il arrive parfois qu'après s'être mis à l'abri l'opérateur s'impatiente et, croyant que la mèche est éteinte, se rapproche de la mine qui explose à ce moment. On ne saurait être trop prudent à cet égard et il vaut mieux perdre deux ou trois minutes que se précipiter au-devant du danger. Il convient aussi de prendre garde aux tiers et aux enfants qui, ignorant ce qui se passe, peuvent, sans s'en douter, pénétrer dans la zone dangereuse. Une surveillance active des abords s'impose.

Ces réserves ne sauraient, toutefois, diminuer l'intérêt de l'opération, qui demande du soin, un peu de pratique et pas mal de jugement pour être effectuée convenablement. Il n'y a là rien qui soit de nature à faire reculer les utilisateurs éventuels.

R. GRANDMOTTET,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°659 Janvier 1952 Page 37