La fécondité est la faculté qu'ont tous les animaux de se
reproduire et multiplier, par accouplements, pour entretenir à l'état de
nature, ou favoriser en la perfectionnant sous l'influence de l'homme,
l'évolution d'une espèce ou d'une race, par une suite indéfinie de générations.
La fécondation est le résultat de la fécondité, qui varie
beaucoup d'une espèce à l'autre, et dans chaque espèce avec les individus.
C'est ainsi que l'éléphant femelle ne donne un produit que tous les trois ou
quatre ans (la durée de la gestation est de deux ans), tandis que dans le même
temps les lapins et les mouches donnent naissance à des nombres prodigieux de
descendants.
Le degré de fécondité de nos femelles domestiques est plus
facile à constater ; une jument féconde, par exemple, est celle qui,
pendant plusieurs années consécutives, donne un poulain chaque année. Chez le
mâle, l'appréciation de cette qualité reste plus aléatoire, car, dans la
plupart des cas, on ne peut affirmer lequel des deux géniteurs doit être tenu
pour responsable, quand le résultat de leur rencontre n'est pas celui qu'on
avait espéré. Néanmoins, de même que l'on juge un arbre d'après le nombre et la
qualité de ses fruits, la valeur reproductrice d'un étalon s'établit d'après le
nombre de ses produits au cours d'une saison de monte, sans tenir compte des
défauts de conception attribuables aux juments.
D'après les statistiques de l'administration des haras, les
naissances se produisent dans la proportion de 60 p. 100 des saillies ;
beaucoup d'étalons donnent un pourcentage plus favorable, mais d'autres font
beaucoup moins bien, au point que chaque année un certain nombre d'étalons
nationaux ou particuliers sont réformés pour cause d’infécondité ou de stérilité,
inaptitude à procréer qu'il ne faut pas confondre avec l'impuissance.
On croit généralement que les limites des facultés de
reproduction chez la jument sont restreintes et ne peuvent être exploitées dans
des conditions avantageuses que pendant une période d'une dizaine d'années,
entre cinq et quinze ans, correspondant à l'âge pendant lequel les animaux se
trouvent au summum de leurs moyens et de leur vitalité. Des faits d'observation
courante démontrent fréquemment que cette manière de voir impose à l'élevage
des restrictions très préjudiciables à son développement et à sa prospérité, et
nuit aux intérêts de l'éleveur, qui, faute de savoir, laisse passer l'occasion
d'un profit, qui ne l'aurait exposé à aucun risque. Lafont-Pouloti, hippologue
fort distingué du XVIIIe siècle, en avait déjà fait la remarque et
en relevait l'erreur en écrivant : « Les personnes qui attendent que
les juments aient sept, huit ou dix ans pour les faire saillir, dans l'espoir
que les productions (sic) deviennent plus fortes, plus accomplies que si
elles venaient de mères plus jeunes, se trompent. Les juments de cet âge
retiennent difficilement, surtout si elles ont été nourries au sec et si leur
jeunesse a été employée à des travaux pénibles. »
L'administration des haras a fixé à trois ans l'âge minimum
auquel les juments peuvent être présentées à ses étalons, parce qu'elle pense
que la gestation avant cet âge risquerait de donner un produit de qualité
inférieure, tout en compromettant la santé et le développement de la
poulinière. En elle-même, la mesure est fort sage, mais les prévisions des
hommes sont souvent dépassées par les forces ou fantaisies de la nature, et
très souvent des gestations plus précoces ont été menées à bien, sans dommage
ni pour la mère ni pour le poulain. En voici deux exemples, entre autres, qui
ont été relatés dans la Revue vétérinaire, par M. Abadie
vétérinaire à Nantes, très réputé en son temps, et dont il avait été témoin :
« Chez M. Nourrit, propriétaire au Coin, commune
de Saint-Fiacre (Loire-Inférieure), une pouliche de deux ans et un poulain d'un
an, tous deux de la même mère, laissés en liberté à la prairie, s'accouplèrent,
et la jument fécondée mit bas un poulain mâle de belle constitution qui se
développa normalement. Il fut vendu à quatre ans, un bon prix, à un
propriétaire qui n'eut qu'à se louer de ses services et le garda jusqu'à l'âge
de vingt-cinq ans. »
« Chez M. Baudoin, fermier à Ancenis, un mâle de
vingt-deux mois et une pouliche de onze mois produisirent, dans les
mêmes conditions, un poulain mâle, assez faible au moment de sa naissance ;
mais la mère, malgré son tout jeune âge — elle avait un peu moins de
vingt-trois mois ! — se montra bonne nourrice, et le nouveau-né
se développa normalement. Le père obtint à quatre ans un premier prix au
Concours hippique de Nantes, dans la catégorie des attelages, et la mère fut
vendue la même année pour la remonte de la gendarmerie. Quant au poulain, qui
devint plus grand et plus fort que père et mère, il fit preuve aussi de
beaucoup de vitesse et de qualité et fut livré à la remonte comme cheval de tête,
à l'âge de trois ans. »
Il nous paraît inutile d'énumérer plus longuement la liste
de ces « accidents heureux » qui restent des exceptions pour la
confirmation de la règle, mais qui peuvent permettre aussi à des éleveurs
renseignés, observateurs avisés, de gagner une année sur la carrière de
reproduction d'une poulinière. Et, en matière de conclusion, il est permis
d'admettre qu'une jument peut être fécondée quand elle accepte de recevoir
l'étalon.
J.-H. BERNARD.
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