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L'orfèvrerie française

À l'inverse des autres arts, l'orfèvrerie n'eut pas à renaître avec le XVIe siècle, car, en France, elle n'avait point dégénéré dans les extravagances du baroque, comme en Allemagne et en Espagne.

François 1er appela Léonard de Vinci à sa cour, mais, contrairement à ce que l'on pense, surtout au titre de savant, et, pour les arts, ce fut à Benvenuto Cellini qu'il fit appel, en lui installant un prestigieux atelier au Petit Nesle, emplacement actuel de l'hôtel des Monnaies.

De ce génial artiste, il subsiste cependant peu d'oeuvres d'orfèvrerie, et la plus célèbre est la salière de François 1er avec les figures semi-couchées de Neptune et Amphitrite. Elle est au Musée de Vienne.

La caractéristique de la Renaissance est que les orfèvres travaillent d'après des dessins de peintres et d'ornementistes. Si les œuvres restantes sont peu nombreuses, on a maintes reproductions figurées et descriptions de pièces émanant de Delaune, Briot, Cousin et surtout du Cerceau. Ce sont surtout des bassins et d'immenses aiguières, ainsi que de vastes coupes dont les pieds sont des statuettes ou des balustres. Le concept de toute cette orfèvrerie est architectural, même pour le décor fait de moulures, frontons, arabesques, chapiteaux, pilastres et entrelacs de lanières de cuir caractérisant surtout le style Louis XIII. Une pièce extrêmement importante est l'aiguière donnée par Henri III à la chapelle du Saint-Esprit, fondée en 1578.

L'époque est cependant défavorable aux œuvres d'art par suite des guerres militaires et religieuses jusqu'au début du XVIIe siècle.

Louis XIV va donner une impulsion nouvelle à l'orfèvrerie, car il possédera une vaisselle d'or massif et des meubles en argent. Ils lui coûtent dix millions de son époque, soit deux milliards actuels, et représentent 22.000 kilos d'argent et 1.500 d'or. On aurait tort toutefois de crier au scandale, car c'était une façon comme une autre de conserver un trésor de guerre et, en même temps, d'en profiter. On le vit bien quand, devenu âgé et ayant besoin d'argent liquide pour les caisses de l'État, Louis XIV envoya le tout à la fonte et prescrivit à la cour d'en faire autant sous peine de très rigoureuses sanctions.

S'il n'en reste plus grand' chose, ces œuvres sont connues par des descriptions et dessins, et en particulier celles de l'atelier du Louvre, que dirigeait Claude Ballin. Les aiguières sont encore les pièces les plus nombreuses qui restent dans des collections, mais elles ont évolué comme formes et affectent l'aspect d'un casque retourné, avec de grands becs et anses s'équilibrant.

Le décor Louis XIV est reconnaissable à la palmette épanouie autour d'un buste féminin et décorant surtout les becs de verseuses. C'est à cette époque que paraissent les premiers couverts de table, aux formes simples, mais larges et amples. Le cuilleron est presque rond.

Si Louis XIV avait envoyé à la fonte l'orfèvrerie de la cour, la Régence fastueuse allait voir une résurrection très prospère, dans un art de fantaisie et de souplesse, se lavant de l'étiquette rigide de Versailles. Courbes échevelées et rocailles puissantes évoluent en vagues, coquilles, frises et acanthes toujours dépourvues de symétrie. Le grand orfèvre de cette période est Meissonnier, d'origine italienne, suivi du Hollandais Oppénor.

Mais, en art, tout excès apporte une réaction. Elle eut lieu sous l'effet des diatribes de Nicolas Cochin, faisant appel à la raison et voulant que les lignes soient surtout adaptées à la destination de l'objet. Cela donna toute une nouvelle école avec les noms de Lalonde, Lafosse, Joubert et les Germain : Thomas le père et Jean-François son fils.

C'est en l'honneur de ces derniers que Voltaire écrivit l'épître à Phyllis ;

Non, madame, tous ces tapis
Qu'à tissés la Savonnerie,
Ceux que les Persans ont ourdis,
Et toute votre orfèvrerie,
Et ces plats si chers que Germain
A gravés de sa main divine,
Et ces cabinets où Martin
A surpassé l'art de la Chine,
Vos vases japonais et blancs ;
Toutes ces fragiles merveilles,
Ces deux lustres de diamants

Qui pendent à vos oreilles,
Ces riches carcans, ces colliers
Et cette pompe enchanteresse
Ne valent pas un des baisers
Que tu donnais dans ta jeunesse.

C'est surtout une pure vue de l'esprit que de vouloir opposer les styles Louis XV et Louis XVI. En fait, dès 1760, la marquise de Pompadour apportait une influence artistique rappelant la simplicité antique et réagissant contre le style rocaille. On doit cette influence aux découvertes des ruines de Pompéi et d'Herculanum. Avec la cour de Louis XVI, les rubans et lauriers et surtout un retour à la symétrie absolue caractériseront le style.

Le caractère essentiel de cette période est la disparition croissante de la vaisselle de métal précieux (or et argent) ou vulgaire (étain) devant la porcelaine. Les orfèvres recherchent alors une nouvelle clientèle avec des tabatières à priser, des bonbonnières et autres bibelots précieux servant de cadeaux. La ciselure en acquiert une finesse merveilleuse.

Toutefois les traditionnelles aiguières subsistent comme celle, très spécifique de l'époque, dite de Vinsac.

Mais la Cour est moins riche qu'au temps du Roi Soleil, et la fabrique royale de Pomponne va créer le plaqué, dont une soupière sera la meilleure et durable réalisation.

Un très grand orfèvre débute alors, Robert Auguste, et on cite de lui la salière pour le tsar de Russie.

Et puis c'est le grand drame de la Révolution : les statues des églises sont brisées, les vitraux vendus à l'Angleterre (où ils continuent à orner les manoirs et châteaux d'Écosse), les carrosses et voitures d'apparat partent au Portugal ... et la Monnaie fond 55.000 kilos d'argent, provenant d'orfèvreries, et 6 tonnes d'or.

La très traditionnelle corporation des orfèvres, vieille de huit siècles, est abolie.

Après la tempête, le calme, et Napoléon n'a d'autre moyen d'assurer temporairement la solidité de son trône qu'en renouant avec les traditions royales. Déjà, du reste, dès le Directoire, il avait fait appel à Percier et Fontaine pour décorer l'hôtel Récamier. Ces deux artistes, avec Auguste, vont réaliser la nouvelle orfèvrerie des Tuileries. Elle a subsisté et se trouve actuellement au musée de la Malmaison.

La seconde République va amener une grande confusion artistique, et l'on verra alors fleurir l'anachronisme le plus extravagant : des décors gothiques et romans sur des couverts qui n'existaient pas à ces périodes, ce qui ne serait qu'un moindre mal s'il ne s'agissait que de décor, mais on invente aussi des formes ...

Janine CACCIAGUERRA.

Le Chasseur Français N°659 Janvier 1952 Page 55