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Aviation

Aile delta et cellules en matière plastique

Si l'Exposition internationale aéronautique 1951 organisée à Paris n'avait offert que très peu de nouveautés techniques, la présentation nationale anglaise qui eut lieu courant septembre à Farnborough fut, par contre, pleine d'enseignements dans ce domaine.

Les Anglais, depuis la fin des hostilités, luttent avec une énergie farouche pour hisser leur industrie aéronautique à la première place dans le monde. Dans les bureaux d'études des constructeurs aéronautiques, on travaille fiévreusement à conquérir cette suprématie ... Un peuple tout entier accepte de nouvelles privations pour que ses dirigeants lui donnent une aviation commerciale puissante et une industrie aéronautique exportant dans le monde entier des avions modernes.

Cette politique devait porter ses fruits ... Ils sont magnifiques. Les constructeurs anglais sont, en effet, incontestablement les maîtres dans le domaine de la propulsion par réaction ... et beaucoup de projets d'avions actuellement en étude à travers le monde sont inspirés par des prototypes anglais. D'autre part, l'Angleterre vend des moteurs à réaction ou en a cédé les licences à plusieurs nations d'Europe.

Je m'excuse de ce petit préambule ... C'est la leçon qui se dégage de l'exposition de Farnborough. Il est loyal d'en faire la constatation. Nous pouvons nous consoler du dépit causé à notre amour-propre national par cet état de fait provisoire en sachant que nous vendons actuellement aux Anglais des machines-outils leur permettant d'usiner les éléments de ces moteurs ou de ces avions modernes.

À Farnborough 1951, une vingtaine d'avions nouveaux furent présentés, pour la première fois, au public anglais et aux techniciens et journalistes étrangers : avions à réaction, civils ou militaires, hélicoptères ou appareils de tourisme ... Les vitesses de ces machines variaient entre 64 et 1.200 kilomètres-heure.

L'avion à ailes delta.

— Les techniciens qui ont assisté, à Farnborough, aux premières démonstrations des avions expérimentaux à ailes en forme de delta ou triangles volants estiment que les avions à réaction de l'avenir auront une forme analogue à celle des avions en papier que confectionnent les écoliers. Ils ont prouvé à quel point ils étaient faciles à manœuvrer en décollant ou en atterrissant sur des parcours relativement réduits, tel l’Avro 707 B se posant ou atterrissant sur une distance de 6 à 700 mètres grâce, il est vrai, à l'aide d'un parachute fixé à la queue pour servir de frein à l'atterrissage. Cette astuce n'est d'ailleurs pas nouvelle puisque, le 1er juillet, lors du meeting du Bourget, le Grognard de la S. N. C. A. S. O. se posa dans les mêmes conditions.

La forme delta a été, ou sera certainement adoptée par les constructeurs en vue de satisfaire la demande pour un avion qui soit capable de transporter une charge importante sur de longues distances et à de grandes altitudes.

Pour obtenir les meilleurs résultats du point de vue économique, l'avion doit pouvoir voler à des vitesses proches de celle du son, chose qui n'est possible que si on parvient à éliminer toute résistance.

Pour résoudre ce dernier problème, les ailes doivent être fuyantes, de façon à former un angle très prononcé avec le fuselage.

Après les dernières expériences réalisées en Angleterre, en France ou en Amérique, l'on considère que les données que l'on possède sur la forme nouvelle sont suffisantes pour démontrer que ce sont les ailes triangulaires qui conviendront le mieux aux avions de très grande vitesse et de grande altitude de l'avenir.

Il est d'ailleurs intéressant de souligner que les performances du prototype français Espadon ont été considérablement améliorées par l'augmentation de la flèche de sa voilure. Il en est de même pour l'Ouragan, qui est devenu le Mystère et a gagné 150 kilomètres-heure grâce à la même modification, sans toutefois que la voilure de ces deux appareils soient en forme de delta.

Une firme américaine poursuit, d'autre part, la mise au point, dans le désert de Muroc, en Californie, d'un appareil assez révolutionnaire. Cet avion peut changer, en plein vol, l'angle de flèche de sa voilure. Aux vitesses de décollage et d'atterrissage, l'angle de la flèche de la voilure est obtus ; aux vitesses soniques ou supersoniques, il devient aigu. La réalisation pratique de cet « avion à changement de vitesses » présente cependant de très grandes difficultés.

Quoi qu'il en soit, la forme des voilures des avions modernes s'oriente de plus en plus vers cette figure géométrique très simple : le delta. Il est assez piquant de le constater lorsque l'on se souvient de tous les chefs-d'œuvre de construction aérodynamique qui furent réalisés en voilures ou en cellules d'avions. Il est vrai que les puissants propulseurs utilisés actuellement permettraient de faire voler certains appareils ne présentant pas plus de qualités aérodynamiques qu'un « fer à repasser ».

Cellules en matière plastique.

— Depuis de nombreuses années, les spécialistes de la matière moulée essayaient de conquérir l'industrie aéronautique. Différents essais et expériences avaient lieu en France et en Amérique, mais les résultats n'avaient jamais été très satisfaisants.

Ce fut donc avec un grand intérêt que les techniciens étrangers assistèrent à la présentation, à Farnborough, d'un avion dont l'aile triangulaire est en matière plastique. Un communiqué officiel annonçait d'ailleurs que des savants avaient mis au point une technique nouvelle de construction aéronautique employant une matière plastique moulée de grande résistance.

En effet, les ensembles en matière plastique à haute résistance, moulés et renforcés aux endroits où les efforts sont les plus considérables, ont toutes chances de rivaliser victorieusement avec les matières premières traditionnelles. Non seulement ils peuvent être fabriqués rapidement et à bon marché, avec un outillage relativement simple, mais encore la surface de la matière plastique peut être polie au degré voulu pour être aérodynamique aux vitesses très élevées.

Grâce à un traitement spécial, la matière plastique peut être rendue insensible aux carburants, permettant ainsi d'en faire des réservoirs complets. On peut également loger les antennes de radio à l'intérieur de la carlingue en matière plastique — ce qui présente un gros avantage pour tous les avions rapides, — et ses propriétés isolantes du point de vue chaleur sont excellentes.

Cette mise au point sera-t-elle parfaite ? Il sera certainement intéressant d'en suivre les applications, ce qui pourrait révolutionner totalement l'industrie aéronautique.

Maurice DESSAGNE.

Le Chasseur Français N°659 Janvier 1952 Page 57