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La taille des animaux

des îles et des continents

Je me permets de rappeler le problème posé par M. Paul Molyneux : « Les animaux de même espèce sont de plus petite taille dans les îles que sur les continents. »

Le corps des vertébrés est soutenu par un squelette composé de carbonates, phosphates, fluorure de calcium et de phosphates de magnésium. Cette charpente est édifiée par des tissus producteurs de cellules minéralisées. Les sels minéraux sont fixés dans l'édifice cellulaire, mais subissent le métabolisme qui fabrique des substances spécifiques, les fixe, puis les détruit. Dans le protoplasme existe, en plus, une quantité assez importante de sels de calcium fixés sur des molécules de protéine. Dans tout organisme il y a donc deux sortes de sels : les uns sous leur forme purement minérale, les autres sous forme d'ionoprotéine.

Les besoins en calcium sont constants. La vie étant caractérisée par le métabolisme interne, les éléments minéraux en suivent le cycle, et un apport, faible il est vrai, mais ininterrompu, doit remplacer les quantités éliminées. D'ailleurs, le calcium assimilé ne représente qu'une faible partie de celui qui compose les corps minéraux absorbés, car tous ne sont pas retenus et transformés par la digestion ; les uns ne sont pas assimilables, les autres ne le pouvant être par suite d'un déséquilibre dans la faction de nutrition. La présence de calcium dans l'alimentation n'amène pas, ipso facto, une augmentation du catabolisme calcique ; mais l'absence totale déclenche une carence spécifique. L'organisme est un ensemble dont l'équilibre général s'établit en fonction des aliments dont les proportions particulières sont les plus faibles vis-à-vis des proportions générales. Il s'ensuit que les caractères physiques de l'individu sont fonction de l'établissement de cet équilibre au niveau cellulaire.

Pendant la période de croissance, les besoins en matières minérales sont augmentés. Un veau de trois semaines retient journellement 0gr,2 de calcium et un enfant de dix ans en retient 0gr,4. Pendant cette période, la loi du minimum efficace joue un rôle très important, le rapport « calcium assimilé-assimilés phosphates » doit être voisin de 1, et c'est lui qui régit toute l'ossification.

Pendant la période de gestation, l'organisme maternel est obligé d'augmenter l'assimilation des sels de calcium et souvent remplace-t-il celle-ci par une autodigestion de ses propres tissus minéralisés.

Le manque de calcium dans l'alimentation se traduit, pour l'être à l'état adulte, par une rupture du cycle : il y a perte sans apport de remplacement ; pour l'être en croissance, il y a insuffisance dans la minéralisation des os. Le squelette sera plus grêle, les tissus moins développés. Mais il n'y aura pas rachitisme caractérisé, puisque celui-ci traduit un déséquilibre organique, alors que dans notre cas l'équilibre s'établira à partir d'une substance dont le taux sera inférieur à la normale.

Concluons en constatant que la présence de sels minéraux dans l'alimentation a un retentissement direct sur le développement du squelette et des tissus.

Abandonnons la physiologie pour la géologie et reprenons les points du globe cités par M. Molyneux.

Les Îles Britanniques, la Sicile, les Baléares sont des îles aux terrains très variés, principalement sédimentaires.

L'Australie (qui peut être considérée comme un continent), les îles du Pacifique, les îles Falkland, Jersey, Guernesey, Shetland, la Corse, la Sardaigne, l'Irlande, les Cyclades, les Sporades sont constituées par des terrains essentiellement volcaniques ou cristallins ; le Groenland est un bloc de granit et de gneiss; la Bretagne, l'Écosse, la région de Smyrne sont des régions granitiques par excellence. La résistance du granit à l'érosion marine explique d'ailleurs ces constatations d'ordre géologique.

Ainsi, dans la majorité des cas cités, les sols de ces régions manquent de calcaire, donc de calcium assimilable (certaines roches cristallines contiennent du calcium, mais sous une forme insoluble et très stable). Dans cette carence en calcaire, il faut voir la cause de la petitesse des animaux vivant dans ces régions. (Remarquons que, grâce à leurs déplacements, les oiseaux échappent à cette carence.)

Est-ce à dire que partout où les sols ne seront pas calcaires les habitants seront de petite taille ? Non, car d'autres facteurs influent. En considérant de grands espaces hétérogènes, les êtres vivants sont continuellement brassés, mélangés, leur nourriture est d'origine quelquefois lointaine, et l'absence de calcium ne se fait pas sentir. Le cas de la Bretagne est spécial : c'est une presqu'île, mais isolée du reste du continent par son réseau hydrographique très localisé, par sa vie économique et humaine. Une race de vaches a pu s'y différencier grâce à la continuité de la vie sur les landes. Le Massif Central est bien différent, son réseau hydrographique est varié (des rivières nées en pays calcaires irriguent des régions granitiques), sa vie économique est facilitée et dirigée par les vallées, largement ouvertes sur les plaines sédimentaires.

En plus de l'absence de calcaire, d'autres facteurs peuvent agir sur le squelette, je pense au milieu chloré, iodé, fluoré qu'est le rivage maritime. Ces éléments chimiques sont liés à l'ossification (principalement par le fluorure de calcium) et peut-être leur présence en quantité anormale déclenche-t-elle une minéralisation trop précoce ou un ralentissement de la croissance ?

Je ne voudrais pas terminer sans aborder le côté philosophique de la question, à savoir : l'ajustement apparent de la taille aux dimensions du milieu. D'autres êtres vivants diminuent de taille si l'on modifie les conditions extérieures.

Certains végétaux deviennent acaules si on les transplante en montagne. Les finalistes y voyaient une adaptation à la vie en montagne, une preuve tangible de la possibilité qu'ont les plantes de s'organiser avantageusement pour lutter contre le vent, l'enneigement. Les expériences de laboratoire ont montré que le raccourcissement de la tige était surtout dû à l'insolation, aux radiations lumineuses différentes en haute montagne de celles des vallées. Que reste-t-il de l'adaptation à la vie en altitude ? Qu'une simple variation morphologique déclenchée par une modification des conditions de vie ; mais la présence de la montagne est inutile puisqu'en expérimentant en plaine on arrive aux mêmes résultats ! Et quels avantages gagnent ces plantes puisque d'autres végétaux sont insensibles à la désadaptation ? Les plantes réagissent donc d'une façon quelconque, désordonnée même, aux variations de milieu sans aucun avantage pour elles-mêmes. Il en est de même pour les animaux, et il faudrait bien peu (présence de sels de calcium solubles dans les roches cristallines) pour que cet « ajustement de la forme aux dimensions du milieu » n'existe pas. Il ne faut donc voir dans cette observation que la traduction d'une répercussion évidente mais quelconque du milieu sur l'organisme, et non une adaptation.

VUITTENEZ.

Le Chasseur Français N°659 Janvier 1952 Page 57