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Tourisme au cercle polaire

Pays de l'organisation rationnelle, la Suède se devait de mettre en valeur les étendues mélancoliques du merveilleux paysage de Laponie. Certes, les matins clairs y sont parfois idylliques, mais aussi que de crépuscules poignants de solitude et de désolation ! Éprise d'étrangetés, d'horizons vierges, l'âme de ce peuple se retrouve naturellement dans le culte de la Nature ... Rien d'étonnant dès lors à ce que, hiver comme été, le tourisme du Grand Nord y compte des fidèles en nombre croissant.

Ici ou là, dans le plus sauvage des décors, le Touring-Club suédois a créé des hôtels-chalets où un remarquable confort vous est proposé. Et sur les cartes de la Suède septentrionale, au cœur de ces lieux ensorcelants, chantent les noms du pays lapon : Abisko, Kebnekaise, Riksgränsen ...

L'ambiance de ces stations ignore le snobisme ou l'originalité de mauvais goût ; elle est toute discrétion et simplicité. Un état-major féminin, un personnel de choix président à la bonne marche de la maison.

Lorsque, après une semaine de course dans la toundra vide d'hommes, nous abordâmes la station d'Abisko, dans le parc national du même nom, cher à tous les Nordiques, elle se présenta à nous sous la forme souriante d'un aimable Scandinave qui, d'emblée, nous adopta et nous remplit les bras d'un pain blanc et de gâteaux qui nous parurent d'autant plus délectables qu'ils succédaient à un régime exclusif de flocons d'avoine et de conserves.

Très certainement la station touristique d'Abisko est la plus septentrionale du monde, mais, quoique située à 200 kilomètres du cercle arctique, elle n'est pas à plus de vingt-sept heures de Stockholm par la ligne polaire de Narvik, à voie unique. Non loin de la gare, simple et proprette, s'élève l'hôtel, grande bâtisse de bois à un étage, derrière laquelle des plaquettes neigeuses accrochent en plein mois d'août les montagnes voisines. Des sommets proches on peut, du 26 mai au 17 juillet, contempler le soleil de minuit.

Annexées à l'hôtel, une vingtaine de « cabanes » perdues dans les bosquets sont offertes au touriste de passage. Si le premier comporte eau courante, chauffage central, salles de bains, salle à manger s'ouvrant sur l'immense lac Torneträsk de 90 kilomètres de long, les secondes proposent généralement deux lits superposés, chauffage et radiateur électriques pour la cuisine. Rien en somme qui rappelle nos auberges de jeunesse ou nos chalets de montagne.

Sains, généreux et typiquement nordiques sont les repas servis à l'hôtel. En veut-on la formule ? La voici. Au centre de la vaste et claire salle à manger sont disposées de grandes tables où sont présentés les divers plats dont chacun usera sans jamais abuser : potages, hors-d'œuvre (anchois, céleri, carotte ...), boulettes de viande mariées à de vertes salades et de blanches pommes de terre, le tout assaisonné ou non d'une compote d'airelles. Le repas s'achève, dans un silence un peu troublant pour un Français, sur une assiette de rhubarbe agrémentée de verres de lait et de croustillantes galettes beurrées.

Mais « hôtel » et « cabanes » sont un moyen dont la fin est l'évasion dans la pleine nature. Sans doute la pureté du ciel vous a-t-elle décidé à partir en excursion pour la matinée ! Alors le « frukost », ou repas matinal, vous attend, mais plus copieux que d'habitude puisque le déjeuner n'aura lieu qu'à 13h.30. Une couronne de plats s'offre à vous : porridges à la compote de myrtille, galettes, harengs, nouilles, anchois, le tout évidemment baptisé d'un inévitable laitage.

Et vous voilà prenant la route ... À l'aventure vous allez ! Non pas, car des guides sont à votre disposition et des spécialistes vous ont fait des exposés traitant botanique, géologie locales ou ethnographie des Lapons, que vous aurez peut-être la chance de rencontrer au cours de vos pérégrinations. Comme nous souhaiterions alors à tant de Français, à trop de campeurs de toute obédience et de tout uniforme, incapables de préciser le sens ou le nom des expressions vivantes qui sont la parure de nos forêts ou de nos montagnes, d'aimer la Nature comme l'aime tout Suédois, en poète et en connaisseur, pour qui le roulis des nuages, le coloris d'une fleur ou le pépiement d'un oiseau sont à la fois objet de science et pastorale rêverie.

De nombreuses excursions, partiellement jalonnées, rayonnent à partir de la station. Dans la montagne même, des tentes dressées pour l'été accueillent le voyageur. Plus loin encore, après une ou plusieurs journées de marche solitaire dans le semis d'éboulis, de torrents et de marécages, il trouvera des huttes sans gardien, dont pourtant demeure tout le nécessaire de cuisine et de vaisselle désirable. Le foyer déjà préparé l'attend ... Une allumette, et la flamme claire du bouleau jaillira. Honnêteté, respect du prochain, telle est la loi du Nord.

Aux abords de la station, une petite barque à moteur relie quelques points du grand lac et permet d'aborder à l'autre rive ... Là naissent des immensités presque vides où s'anime le pelage fauve des rennes ... Là s'élèvent les huttes de terre ou de rondins des Lapons sédentaires. Ceux-là, du moins, paraissent placés là pour satisfaire la curiosité du touriste, dont ils tirent d'appréciables revenus qui leur assurent une quiète existence pour le reste de l'année.

Depuis quelque temps, en hiver, ces stations sont particulièrement recherchées ... Ce sont alors les longues courses dans le jour assombri du solstice, à travers les blancheurs neigeuses. Et la neige y est une visiteuse que l'on n'attend guère, puisque août en voit souvent les premières chutes.

Parce que là-haut, sur la terre aux étranges clartés, nous avons connu en cette clairière d'Abisko des joies inoubliables, il nous est agréable de souhaiter au lecteur de semblables contentements. Aux frontières d'un pays profondément humain, baigné par les dernières vagues d'une civilisation intelligente, il y goûterait la douceur de la vie au rythme des grands espaces vierges, au cœur des solitudes sauvages.

Pierre GAUROY.

Le Chasseur Français N°659 Janvier 1952 Page 60