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L'écart probable

Nous avons fait remarquer, dans notre précédente causerie, qu'il était malheureusement impossible d'indiquer une merveilleuse recette concernant la réduction de l'écart probable dans le tir de chasse. À défaut, il n'est pas inutile d'examiner les diverses causes de cet écart et de rechercher la possibilité de quelque amélioration partielle.

Rappelons que l'écart probable de chasse est la somme de deux erreurs commises par le tireur : une erreur sur la valeur de la correction de pointage nécessitée par la direction et la vitesse du gibier, et une erreur résultant de la visée très sommaire de la pièce. Nous pouvons poser la formule E = ep + ev, dans laquelle E est l'écart total, ep l'écart de pointage et ev l'écart de visée proprement dit. Il n'est pas exclu d'ailleurs qu'il s'agisse ici d'une somme algébrique, car certains écarts de visée peuvent être parfois de signe contraire aux écarts de pointage.

Les valeurs de ep sont généralement beaucoup plus importantes que celles de ev. D'autre part, la pratique indique que le tireur apprécie toujours la correction de pointage par défaut et que l'erreur de visée est de sens et de valeur quelconque. Nous allons prendre quelques exemples :

Considérons le cas d'une perdrix tirée en plein travers vers la limite de portée, mais se détachant bien sur le ciel ; nous aurons à effectuer une correction de pointage de l'ordre de 2m,50 à 3 mètres, sur laquelle une erreur de 30 p. 100 est facile à commettre. L'étendue de la zone meurtrière ne représente guère qu'un cercle de 0m,90 de diamètre; on voit tout de suite la difficulté qu'il y a pour placer convenablement cette zone par rapport au gibier. D'autre part, dans cet exemple, la bonne visibilité de la pièce et sa trajectoire rectiligne facilitent la visée. Nous aurons donc très probablement un ep plus grand que ev.

Prenons maintenant le cas d'un lapin passant à une dizaine de mètres du tireur, dans des broussailles plus ou moins épaisses. En plein travers, la correction de pointage serait d'une longueur de lapin environ ; en raison de l'allure irrégulière du gibier, elle sera le plus souvent inférieure, mais la pièce n'est visible que pendant de très courts instants, et la zone meurtrière ne représente, en canon cylindrique, que la surface d'un cercle de 0m,30 de diamètre. Dans ces conditions, la difficulté est beaucoup plus de pointer exactement l'arme que d'effectuer une correction de vitesse exacte : nous aurons bien des chances d'avoir un ev plus important que ep.

Nous avons, en outre, à prendre en considération la vitesse « angulaire » de l'objectif, qu'il ne faut pas confondre avec sa vitesse réelle. Un gibier possédant une vitesse propre de 12 mètres à la seconde possède à 40 mètres une vitesse angulaire, lorsqu'il passe en travers, beaucoup plus faible que lorsqu'il passe à 10 mètres. Si nous confondons en première approximation la tangente et l'arc, nous pourrons dire que ces vitesses sont dans le rapport des portées. Le canon de l'arme devant prendre le mouvement de la pièce avant de la précéder, tout chasseur comprendra parfaitement la nécessité où il se trouve de faire ce mouvement plus rapidement dans le cas du lapin que dans celui de la perdrix ; c'est encore une raison de plus pour que, dans notre deuxième exemple, la valeur de ev soit supérieure à ep.

Lorsque, par suite de la distance, d'une visibilité défectueuse et d'un tir très rapide, les deux valeurs de l'écart de pointage et de l'écart de visée sont maxima, celle de l'écart probable augmente, et le résultat devient très incertain.

Les jeunes chasseurs posent souvent la question suivante : Est-il plus difficile de tirer de près ou de loin ? Il est impossible de répondre à cette question trop simple ; les considérations précédentes leur fourniront quelques éclaircissements.

Tout ceci entendu, que pouvons-nous utilement faire pour réduire les valeurs de ep et de ev ?

En ce qui concerne ep, pas grand'chose que de la pratique : les meilleurs tireurs de battue déclarent qu'il leur faut parfois un certain nombre de coups pour être fixés sur la valeur de la correction de pointage en raison de la vitesse du gibier, de celle du vent et même de celle de l'éclairage. On règle son tir beaucoup plus facilement sur le poil que sur la plume, en raison des points de repère fournis par le terrain.

Il est plus facile de diminuer l'importance de ev ; sans rien changer à la visibilité incertaine ou intermittente du gibier, nous pouvons chercher à réaliser un accord aussi parfait que possible entre l'arme et le tireur.

En ce qui concerne l'arme, celle-ci doit avoir un bon équilibre, monter facilement à l'épaule et être d'un poids, donc d'un calibre, adapté aux forces du chasseur.

On vérifie qu'un fusil convient bien à un tireur de la manière suivante :

Fixer un point pendant une seconde environ, fermer les yeux, épauler et ouvrir aussitôt l'œil droit pour constater si l'arme est bien dirigée sur le point choisi. L'existence d'un écart se présentant toujours dans le même sens sera révélateur d'une défectuosité nécessitant une modification de crosse ou d'épaulement.

Dans tous les cas, il faut toujours considérer qu'une arme ainsi bien réglée ne le sera pas dans toutes les circonstances : le simple fait de remplacer un vêtement mince par un vêtement épais implique un recul de la joue et de l'œil le long de la crosse et une tendance à faire tirer plus bas. Le plus souvent, un léger déplacement de la main gauche en avant fait baisser le bec de crosse et corrige ce petit inconvénient. Il est toujours bon, au départ pour la chasse, de voir comment l'arme tombe en joue et d'agir en conséquence.

Les chasseurs qui tirent les deux yeux ouverts sont beaucoup moins tributaires des dimensions de leur arme et des conditions d'épaulement : ils tirent comme ils jouent au billard, non pas par visée d'alignement, mais par visée perspective. Seulement, toutes les conformations physiques ne peuvent s'habituer à la visée binoculaire, car elle demande, chez le tireur, un assez grand écartement pupillaire et une excellente accommodation ; contentons-nous de ce que nous pouvons faire.

Certaines vues se trouveront mieux de l'emploi d'une bande saillante, d'autres d'une bande plongeante ; un gros guidon avantagera les myopes et les chasseurs pourvus d'une crosse trop droite. Des détentes trop dures font tirer trop tard, c'est-à-dire derrière, et souvent trop bas. Bref, dans l'observation de ces menus détails, il y a parfois quelques perfectionnements latents à découvrir.

Enfin, que peut le tireur lui-même après avoir mis son arme bien au point ? Surveiller sa forme physique, éviter la fatigue musculaire ou nerveuse avant la chasse et, sur le terrain, avoir toujours l'esprit en éveil, de manière à éviter d'être surpris par le gibier.

Considérer enfin qu'un facteur important dans la réduction de l'écart probable (aussi bien en ce qui concerne ep que ev) est l'action précise du bras gauche, qui est l'outil pointeur dans le tir de chasse. En marche devant soi, la position de la main gauche ne peut être aussi avancée que dans le tir de battue pour des raisons de fatigue, d'équilibre de l'arme et du tir en retour ; on aura cependant avantage à placer ladite main gauche le plus loin possible.

Tout ceci vaut bien quelques essais qui, sans apporter, comme nous l'avons dit, la perfection dans le tir, contribueront sensiblement à son amélioration.

M. MARCHAND,

Ingénieur E. C. P.

Le Chasseur Français N°660 Février 1952 Page 65