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Causerie juridique

Chasse dans les réserves

Parmi les délits de chasse, il en est peu qui aient donné lieu à autant de difficultés que le délit de chasse sur le terrain d'autrui sans le consentement du propriétaire.

Au milieu de nombreuses décisions de jurisprudence à cet égard, nous avons récemment relevé un arrêt de la Cour d'appel de Poitiers rendu sur un point qui, à notre connaissance, n'avait pas encore été soumis aux tribunaux.

Il s'agissait de décider si le membre d'une société de chasse pris alors qu'il chasse sur des parcelles louées à la société, mais que celle-ci avait constituées en réserve, pouvait être condamné pour chasse sur terrain d'autrui. Sur une poursuite exercée par la société de chasse, le tribunal correctionnel de Niort avait répondu affirmativement et condamné le coupable à une peine d'amende et des dommages-intérêts. Sur appel interjeté par la partie condamnée, la Cour d'appel de Poitiers, par un arrêt rendu le 22 février 1951, publié sous le n°6531 dans le numéro du 8 novembre 1951 de la Semaine Juridique, a annulé ce jugement et a décidé que le membre d'une société qui chasse sur des terres louées à celle-ci, mais constituées en réserve, ne commet pas un délit de chasse sur terrain d'autrui et n'encourt pas de poursuites pénales ; il n'y a dans ce fait que la violation du pacte social entraînant seulement pour le coupable une poursuite civile à fin de dommages-intérêts. « Les membres d'une société de chasse, dit l'arrêt, ont la jouissance indivise du droit de chasse concédé à la société et le fait qu'une réserve ait été constituée sur une partie des terres louées n'a pas pour effet de faire des parcelles ainsi réservées un terrain d'autrui. » En conséquence, le prévenu a été acquitté et la société poursuivante condamnée à supporter les frais de la poursuite.

Bien qu'il nous semble que cette solution soit équitable, nous devons reconnaître que la décision rendue par le tribunal de Niort était défendable, et que les arguments produits en sa faveur ne manquent pas de force. Elle repose sur ce principe que les sociétés de chasse ou associations de chasseurs, dès lors qu'elles ont été l'objet d'une publicité régulière, jouissent de la personnalité civile ; elles constituent ainsi des personnes distinctes des membres qui les composent. On en déduit que si la société se rend acquéreur de droits de chasse, c'est à elle, société, que le droit de chasse appartient ; les membres de la société n'en bénéficient que dans la mesure où la société leur a transmis ce droit. Dès lors, si la société réserve certaines parties des terres sur lesquelles porte son droit de chasse, les membres de la société n'ont acquis aucun droit d'y chasser ; ces terres sont ainsi restées terrain d'autrui.

Ce qui nous choque un peu dans cette manière de présenter l'argument, c'est qu'on n'y tient pas suffisamment compte de ce que cette dualité de personnes : la société d'une part, les associés d'autre part, est purement théorique. La société n'a qu'une existence idéale ; elle n'existe réellement que dans les personnes qui la composent ou dans celles à qui ces dernières ont confié la mission de les représenter. On oublie trop, en ce qui constitue la création de réserves, que ce sont ceux-là mêmes à qui est conféré le droit de chasse ou ceux qui les représentent qui apportent des restrictions à l'exercice du droit de chasse, et, dans ces conditions, il est difficile de les considérer comme des tiers au regard de la société.

Pour justifier encore l'exercice de poursuites pénales dans le cas qui nous occupe, on fait état de ce que, dans le cas de chasse dans les réserves, la faute commise est plus grave que lorsqu'il s'agit du cas classique de chasse sur terrain d'autrui. Une telle appréciation peut être exacte, mais rien n'empêche de prévoir, dans les statuts sociaux, des sanctions sévères pour ce cas de violation des statuts, telles que l'exclusion immédiate du coupable de la société, indépendamment de sanctions pécuniaires.

La solution que nous préconisons et qu'a adoptée la Cour d'appel de Poitiers dans l'arrêt du 22 février devrait, à notre avis s'imposer, a fortiori, dans le cas où l'associé fautif aurait été pris chassant sur une réserve créée par lui au moment où il faisait l'apport à la société. Mais, même en dehors de cette hypothèse, nous croyons que c'est la décision de la Cour de Poitiers qui est dans le vrai.

Il est à prévoir que c'est la Cour de cassation qui sera appelée à dire le dernier mot.

Paul COLIN,

Docteur en droit.
Avocat honoraire à la Cour d'appel de Paris.

Le Chasseur Français N°660 Février 1952 Page 66