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Une vieille connaissance

Le poisson-chat

Connaissez-vous le poisson-chat ? Oui, sans doute, car, si vous ne l'avez jamais accroché à votre hameçon, vous avez dû le voir plusieurs fois et il est de ceux qu'on n'oublie pas. Quand nous aurons dit qu'il est de longueur moyenne, la tête grosse, le corps assez épais, recouvert d'une peau visqueuse, noirâtre sur le dos, grisâtre sous le ventre, que son museau est orné de six barbillons, que, vu de face, sa physionomie rappelle celle du chat, que ses nageoires pectorales et dorsales sont munies chacune d'un aiguillon fort acéré, nous en aurons tracé un portrait sinon flatteur, du moins assez ressemblant.

Le poisson-chat (Ameiurus catus ou nebulosus) n'est pas autre chose que le silure nain d'Amérique. Il n'est bien connu, en France, que depuis l'an 1883 et, à ses débuts, avait fort peu fait parler de lui.

Ce n'est que vers 1900 que divers chroniqueurs halieutiques s'avisèrent de lui faire de la réclame et de le tirer de son obscurité. Nous fûmes alors inondés d'articles élogieux, dont nos vieux confrères doivent encore se souvenir. D'après leurs auteurs, le poisson allait bientôt manquer en France et il fallait promptement aviser. Quoi de plus naturel que de recourir, pour le remplacer, à un nouveau venu qui avait déjà fait ses preuves en Allemagne, en Belgique, en Hollande, etc., et dont on disait merveille ? Ce poisson avait toutes les qualités : vitalité extrême, acclimatation facile partout, supportait froid, chaleur, pollution, etc. Il était, de plus, très prolifique, atteignait vite une taille raisonnable ; sa chair était délicieuse, et il n'était nullement nuisible. Sur la foi de ces pompeux éloges, il fut introduit par certains propriétaires dans leurs étangs, et aussi, dans plusieurs canaux et rivières, par des associations de pêcheurs à la ligne avides de nouveautés, mais singulièrement imprudentes, car le seul nom de « silure » eût dû les inciter à la méfiance ; son parent, le silure glanis, ne jouit pas, en effet, et pour cause, d'une excellente réputation.

Malgré cela, on le propagea en maints endroits, et ce qui était à prévoir arriva. Si, dans certains étangs riches en plancton et où abondaient vers, larves, mollusques et crustacés aquatiques de petite taille, il ne se comporta pas trop mal au début, on s'aperçut vite de son insatiable appétit. Il faisait disparaître une notable partie de la nourriture habituelle des petites carpes et tanches, qui périclitaient et ne grossissaient plus qu'avec lenteur. On ne tarda pas aussi à constater qu'il dévorait avec avidité le frai des adultes, et même les alevins naissants. Dans les eaux libres imprudemment ensemencées, le silure nain se comportait de façon semblable. Très prolifique, il envahissait les parties de cours d'eau à courants ralentis, à fond herbeux ou vaseux, et en chassait impitoyablement tous autres poissons ; il était peu recherché des voraces, à cause de ses aiguillons. De plus, comme il se confinait dans des espaces relativement restreints, il y pullulait bientôt et ne grossissait guère ; au lieu de spécimens du poids de un kilogramme qu'on leur avait promis, les pêcheurs à la ligne ne capturaient guère que des petits ; ils n'étaient pas contents.

Au bout de plusieurs années, l'expérience s'avérait concluante et on s'efforça d'en limiter le nombre ; certains propriétaires d'étangs essayèrent même de le détruire. Mais cela n'est point aisé ; quand les poissons-chats s'aperçoivent que l'eau baisse, lors de la pêche de la pièce d'eau, au lieu de suivre le cours de cette eau, ils s'envasent profondément et échappent ainsi aux filets traînants et aux trubles que l'on manoeuvre pour s'emparer du bétail d'eau. Ils restent fort longtemps vivants au sein de la boue pour réapparaître plus tard, lors de la remise en eau. Seuls, l'assec complet et la mise en culture peuvent en avoir raison. Dans les rivières, ils se réfugient dans les herbiers épais, la vase profonde, où n'importe quel genre de filet n'a aucune action.

Cependant, depuis quelques années, le poisson-chat paraît nettement en régression, et on le voit peu sur nos marchés.

Au point de vue du pêcheur à la ligne, il est assez peu intéressant. C'est un nocturne qui n'abandonne ses repaires qu'à la nuit tombante, ou par temps très sombre. De plus, ce n'est pas un poisson de sport. On ne le prend à la mouche que par exception rare, et pas souvent aux leurres métalliques. Ni le vif, ni les fruits, ni les farineux ne donnent de bons résultats.

D'ailleurs, il mord peu pendant le jour ; il faut amorcer à proximité immédiate de ses cachettes avec des vers, asticots, petites bêtes, cherfaix, etc., et ce seront ces mêmes appâts qui devront garnir l'hameçon. Sa touche est monotone ; il n'attaque l'esche que sur le fond même ou à quelques centimètres au-dessus, et son manège se rapproche de celui de la tanche d'étang. Il avale presque toujours profondément et se défend mollement. Il faut aller chercher l'hameçon dans l'oesophage ou même l'estomac, ce qui n'a rien de récréatif, et il faut encore éviter de le saisir à pleine main sans précaution, car, dès qu'on le sort de l'eau, il redresse ses épines aiguës et celles-ci, bien que non venimeuses comme celles de la vive, peuvent néanmoins causer de douloureuses piqûres.

La taille relativement faible des prises les plus habituelles n'encourage pas beaucoup l'amateur. Quand un poisson-chat de poids minime a été vidé, ses nageoires épineuses coupées, qu'on a supprimé sa grosse tête immangeable, il ne reste pas grand'chose de comestible.

Quant à la qualité de sa chair, si prônée de quelques auteurs, je ne l'ai pas trouvée supérieure à celle de l'anguille, du congre, de la lamproie, et fort inférieure à celle de l'ombre, de la perche, de la truite, et surtout des corégones.

En somme, et pour conclure, le silure nain est un poisson de valeur assez médiocre, peu intéressant à pêcher et fort nuisible au repeuplement. L'acquisition n'est donc pas très fameuse et, au lieu de le répandre partout inconsidérément, il eût beaucoup mieux valu le réserver pour certains étangs très vaseux et les rivières par trop polluées par déchets industriels, où aucun remède n'apparaît possible.

R. PORTIER.

Le Chasseur Français N°660 Février 1952 Page 84