— J'ai lu avec intérêt l'article de M. Lartigue paru
dans le numéro de novembre 1951. Pour l'édification des lecteurs, je complète
la liste avec les principaux poissons marins venimeux qui vivent dans la mer
des Antilles. Ce sont la « Babiane », le « Congre vert »,
le « Coffre zinga », certaines variétés de « Vieilles » et
de « Carangues ». Mais la chair de ces poissons est nocive seulement
quand ils ont mangé sur des bancs de cuivre. Par contre, la chair du poisson
surnommé « vingt-quatre heures » n'est pas venimeuse, mais sa piqûre
provoque une fièvre violente qui dure exactement vingt-quatre heures. Cependant
M. Lartigue a passé sous silence le nom d'un des poissons les plus
venimeux connu jusqu'à ce jour : le « barracuda » (Sphyraena
barracuda). Ce poisson, nommé aussi Bécune, Cuda, Tigre de mer, vit au
Brésil, dans le Sud de la Caroline, la mer des Antilles, l'Atlantique et le
golfe de la Californie. C'est une véritable brute, pouvant atteindre une
longueur de 2 mètres. Son attaque est immédiate et brutale et sa défense
sauvage et prolongée. Le record mondial appartient à M. C. E. Benêt,
des îles Bahamas B. W. 1, qui, en 1932, a pris un barracuda accusant
un poids total de 103 livres un quart. Sa chair est excellente et apparaît
fréquemment sur les menus américains avec l'appellation « Truite de haute
mer ». Mais, à certaines périodes de l'année, sa chair devient tout à fait
nocive. C'est ainsi que, le 12 juillet 1951, deux familles des Saintes (Terre-de-Bas),
composées au total de douze personnes, ont été empoisonnées par un barracuda.
Deux heures après l'ingestion de la chair de ce poisson, les symptômes
commencèrent : vomissements, diarrhées, fièvre, délire, rétention d'urine,
maux de tête, brûlures intolérables à l'œsophage, à la gorge, à l'estomac, aux
intestins, à l'anus et aux parties sexuelles. Les médecins sont impuissants à
combattre le mal. Treize poules, un chien, un chat et un rat qui avaient
absorbé les boyaux, les ouïes et quelques restes de ce poisson moururent après
une courte agonie. Neuf personnes ont été miraculeusement sauvées après
d'horribles souffrances, mais Mmes Vve Vala et Nazaire Beaujour,
ainsi que M. René Beaujour meurent fous quelques jours après, les
entrailles dévorées par le feu, tandis que la fille de ce dernier devenait subitement
folle trois mois après.
Le barracuda avait mangé une variété d'Acaliphes surnommée « Galère
noire », de la famille des Méduses. Et, depuis, un arrêté local a interdit
la vente de ce poisson sur tout le territoire de la Guadeloupe. Ce qui
n'empêche pas les pêcheurs des Saintes de continuer à le manger. Comme je
m'étonnais de cet état de choses, un pêcheur me répondit : « Un
bateau qui coule n'empêche pas les autres de « voyager. » Car, en
principe, ils savent très bien que, quand le mucus qui s'écoule de la colonne
vertébrale du barracuda est amer, le risque d'empoisonnement est certain. De
même qu'une cuillère en argent qui noircit au contact de l'eau de cuisson du
poisson décèle immédiatement le poison.
Mais, pêcheurs, attention ! quelles que soient vos
connaissances en la matière, méfiez-vous du barracuda ; il y va de votre
vie.
Ary EBROIN.
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