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Les "marathons" ne prouvent pas grand'chose

Les épreuves particulièrement longues et pénibles frappent l'esprit du public. Pour la masse, l'homme qui traverse la Manche à la nage, marche de Paris à Strasbourg, va de Paris à Brest et en revient en pédalant, accomplit un exploit exceptionnel. Suivant une expression quelque peu ridicule, il dépasse la limite des forces humaines.

Ces compétitions, dans le langage courant, sont appelées des marathons, en souvenir du soldat grec qui, exténué, est mort en annonçant la victoire. Certaines ont disparu, que nous ne regretterons guère. Les anciens se souviennent d'un Paris-Toulouse à la course, de matches de boxe « au finish », de six jours cyclistes disputés individuellement et non par équipes. Ces dernières exhibitions ont dû être interdites parce que des concurrents devenaient fous après avoir tourné cent heures et plus sur une piste.

Les autres marathons n'ont pas eu de conséquences aussi néfastes. Mais il serait faux de croire que leurs vainqueurs sont des athlètes exceptionnels. Pour terminer, en rang honorable, un marathon, une seule qualité est requise : le courage. Nous n'en contestons pas la valeur, tout en soulignant qu'elle n'est pas essentiellement sportive. Il s'agit d'ailleurs, ici, d'une forme spéciale de courage. L'homme ne risque pas sa vie. Il lutte contre la fatigue et il la surmonte. Le résultat n'est pas négligeable, mais on ne peut sans exagération parler d'héroïsme.

L'endurance n'est pas une qualité innée. Elle s'acquiert. Au risque d'être taxé de paradoxe, nous affirmerons que tous les gens bien constitués peuvent s'aligner dans tous les marathons nautiques, pédestres et cyclistes, après avoir subi au préalable, bien entendu, un entraînement sévère.

La vélocité, elle, est un don de la nature. On naît rapide, on ne le devient pas. Sur cent individus vigoureux, il n'en est pas un qui puisse, en courant, parcourir un 100 mètres en moins de onze secondes, performance médiocre. Pour les nageurs, le 100 mètres en une minute constitue un exploit interdit à la grande majorité, alors que le record du monde s'établit aux alentours de cinquante-cinq secondes. Dans ces exemples, nous considérons des athlètes bien préparés.

Georges Prade a écrit naguère : « La vitesse est l'aristocratie du mouvement. » Par là, il signifiait qu'elle était réservée à une élite. Son origine demeure mystérieuse, même pour les physiologistes les plus savants. Morphologiquement, il n'existe pas de type d'homme rapide ; certains vainqueurs olympiques sont des géants à la musculature puissante. D'autres sont petits et fragiles. David peut battre Goliath sur le ciment ou la cendrée. On ignore où il puise sa détente.

Dans un de ses excellents articles du Chasseur Français, René Chesal a cité le cas d'un « sprinter » cycliste qui, grâce à un « doping » meurtrier, a pu remporter une victoire sans lendemain. Des substances de composition plus ou moins secrètes peuvent, certes, fournir à un homme une vigueur éphémère. Les spécialistes de la vitesse ne les utilisent que par accident. Les marathoniens, eux, sont tentés d'y recourir pour vaincre leur plus redoutable adversaire. Cet adversaire n'est ni un concurrent, ni la distance. L'ennemi qu'il faut surmonter, c'est le sommeil. Il est irrésistible. N'a-t-on pas vu des hommes dormir littéralement debout, des chauffeurs s'assoupir au volant d'une voiture ? Les « écureuils » des Six-Jours continuent à tourner en rêve au milieu d'une foule vociférante. Seule une drogue néfaste permet de sortir de la léthargie. Cette considération suffit pour condamner les épreuves dont le déroulement occupe plus d'une journée. Ces courses épuisantes n'offrent pas, d'autre part, un spectacle passionnant. D'ordinaire, elles se divisent en deux phases. Au cours de la première, les compétiteurs, qui ménagent à l'extrême leurs ressources nerveuses et musculaires, se contentent de se suivre à la queue-leu-leu, à une allure de promenade. Pendant la seconde, effondrements et abandons se succèdent. Il n'y a plus guère de luttes viriles. L'essentiel est que la mécanique tienne.

Sauf de rares exceptions, les marathoniens ne sont pas des hommes de grande classe. Ils s'apparentent plus à des percherons qu'à des pur sang. Dans une épreuve normale, leurs chances sont inexistantes. Pour la plupart, ils ont dépassé l'âge des ambitions. Quand ils ont acquis une notoriété de bon aloi, ils sont sur le déclin ou, suivant une image expressive du jargon sportif, sur le toboggan.

Sans réserves, nous félicitons les organisateurs du Tour de France d'avoir adopté le principe des étapes courtes. La victoire de Koblet marquera une date dans l'histoire du Tour. Qui se souvient encore de Scieur ou de Lambot, gagnants sans panache au temps où les étapes longues de 400 kilomètres et plus voyaient des pelotons ramper de l'aube au crépuscule ?

Nous conservons tous de vilains instincts hérités de la brute primitive. La perspective d'assister à des spectacles dangereux ou cruels réveille ces instincts. Inconsciemment, à la foire, beaucoup espèrent que le lion dévorera le dompteur, que l'acrobate opérant sans filet se rompra les os. Qu'un écervelé parie de passer au-dessus des chutes du Niagara sur un fil d'acier, et des foules accourent. Le sport dégénérerait s'il appâtait les foules par l'annonce d'exploits discutables. La vision offerte par l'arrivée de malheureux fourbus n'est ni édifiante ni belle. Elle risque de fournir des arguments aux détracteurs, de plus en plus rares, de la saine et féconde émulation suscitée par les rencontres de la route ou du stade.

La traversée de la Manche nous paraît constituer une limite qui ne doit pas être dépassée. Ce n'est pas sans quelque malaise que nous avons appris l'histoire d'une nageuse qui, ayant perdu l'esprit, a dû être remontée dans un bateau et qui, plusieurs heures après, n'avait pas recouvré la raison. Ne jouons pas avec des organismes sensibles et fragiles.

À ce propos, nous pourrions aborder le problème délicat du sport féminin. Il nous entraînerait dans des développements excessifs. Pour résumer notre pensée en quelques lignes, nous dirons qu'est à déconseiller tout exercice qui prive la jeune fille ou la femme de ses apanages naturels : la souplesse et la grâce. Malgré sa sévérité relative, le basket-ball conserve un peu des charmes d'un ballet. Nous saluons avec sympathie la vogue des danses nautiques. Déjà, la course est moins séduisante. Nous sommes modérément enthousiaste devant la renaissance, actuellement tentée, du cyclisme féminin de compétition. Quant aux marathons de toute espèce, qu'on en préserve, par pitié, nos filles et nos compagnes.

Pour les mâles, violents et rudes, un Paris-Brest et retour tous les dix ans nous suffit. L'excès en tout est un défaut, proclame la Sagesse des nations, qui, parfois radoteuse, exprime dans un dicton banal une vérité.

Jean BUZANÇAIS.

Le Chasseur Français N°660 Février 1952 Page 92