Accueil  > Années 1952  > N°660 Février 1952  > Page 99 Tous droits réservés

Grande culture

Regardons encore dessous

Quittons les légumineuses, dont le rôle est si considérable en agriculture et qui contribuent largement à améliorer gratuitement la fertilisation des sols. Que se passe-t-il du côté des céréales ?

Muntz et Girard, dans leurs carrés de Vincennes, étudient la répartition des racines par couches de 25 centimètres ; ils trouvent pour le blé, par hectare, 921 kilogrammes de 0 à 25 centimètres ; 292, de 25 à 50 ; 248, de 50 à 75 ; 101, de 75 à 1 mètre et encore 110, de 1 mètre à lm,25. Pour l'orge, les chiffres sont les suivants : 629, 186, 110, 86, 16 kilogrammes ; l'avoine donne respectivement 1.120, 178, 230, 114, 11 kilogrammes.

Ces chiffres démontrent simplement que les racines ne se contentent pas d'explorer la couche arable, teintée plus ou moins de brun foncé par l'humus, remuée par les charrues dans les labours ordinaires et entretenue en matière organique par le fumier ou ses succédanés. Ainsi s'expliquent les bienfaits que procurent les sols profonds pénétrables. Un sol profond permet l'emmagasinement de l'eau si le complexe argilo-humique est assez important ; l'eau est conservée, elle ne s'est pas évaporée après la chute, elle ne s'infiltre pas d'une manière excessive dans les couches profondes. L'amendement des sols, la technique appropriée des façons aratoires concourent à développer cette situation favorable.

Il est remarquable de voir ce qui se passe par suite de la sécheresse. Nous en avons fait l'expérience sur le plateau de la ferme extérieure de Grignon en 1921, année où l'été fut extrêmement sec ; malgré cette absence de pluie, les rendements du blé furent cependant remarquables. Sur les conseils de mon ancien administrateur délégué, Émile Petit, après la moisson, je fis creuser une tranchée profonde de 2m,25, sur une longueur de 2 mètres, perpendiculairement aux rayons de blé, une largeur de 1 mètre. On aurait voulu détacher les racines mises à nu par un jet d'eau et les peser ; mais le sol était tellement sec et dur qu'il fallut se contenter d'observations générales. Jusqu'à 0m,90 dans ce limon des plateaux, une terre friable, de 0m,90 à 1m,40, une couche très tendre parsemée de concrétions calcaires, ces concrétions représentant assez bien l'emplacement ancien des racines de luzerne et de chardons ; au-dessous une sorte de tuf, enfin un terrain très dur : le tuf est constitué par l'accumulation du carbonate de chaux provenant de la décalcification superficielle.

Les racines se présentaient ainsi : une masse extrêmement puissante en surface (les 55 p. 100 relevés par Muntz et Girard opérant dans une case de végétation en terre rapportée, alors que nous opérions en plein champ sur terre en place), de 25 à 50 centimètres, des racines encore nombreuses représentant du cinquième au sixième des précédentes ; dans la zone très friable un très petit nombre de racines, sur 8 décimètres carrés nous en avons compté 35 parmi lesquelles 5 atteignant une profondeur de lm,40, ces très longues racines émettant au niveau du tuf calcaire un grand nombre de ramifications horizontales terminées par un paquet de chevelu. D'après la densité de la végétation, chaque pied de blé avait envoyé à la profondeur de 1m,40 une ou deux longues racines grâce auxquelles la plante avait résisté à la sécheresse. Résultat : 250 pieds au mètre carré, un tallage prodigieux, 1.000 brins au mètre carré, mais seulement 500 épis ayant évolué, le tout alimenté par 1 ou 2 longues racines par pied.

Dans une autre série de documents établis par M. Aurousseau, les blés de 1921 étaient bien plus riches en chaux que les blés de 1922, qui ne furent pas obligés, par suite d'une pluviosité plus importante, d'aller se ravitailler au niveau du tuf calcaire.

Cet assèchement des couches profondes par les racines résulte nettement d'un travail récent de M. Morel, maître de conférences à Grignon. Point de départ des observations, la sécheresse de 1947 ; deux pièces contiguës sont étudiées dans le secteur de 1921, on constate qu'après luzerne l'assèchement est marqué intensément en profondeur, peu s'il s'agit de céréales, et qu'après des années normales (juin 1951) le taux d'humidité n'est pas reconstitué. Ainsi apparaît une cause possible du non-retour facile des luzernes dans un milieu naturel insuffisamment humide.

Il ne nous a pas été possible de renouveler les observations de 1921, mais si, à cette époque, nous avions étudié le comportement racinaire du blé hâtif inversable, grande variété de l'époque, d'autres recherches ont été effectuées par le regretté Rives dans les terres du domaine de Monlon près de Toulouse. L'auteur a examiné comment évoluaient des blés appartenant à des variétés différentes, et il a constaté des écarts sensibles dans la proportion de racines et de tiges entre les variétés : somme toute, des blés explorant le sol et le sous-sol le font avec plus ou moins de facilité, la pénétration des racines n'est pas la même, les éléments assimilés diffèrent et, à sol égal, des variétés sont plus accommodantes que d'autres. Il serait donc opportun, lors de la sélection des variétés, de considérer l'aptitude des plantes à utiliser tel ou tel milieu. Ainsi ne végètent pas du tout de la même façon les blés en Afrique du Nord et dans les polders hollandais. Ce que la plante absorbe pour fabriquer les racines dont elle a un impérieux besoin ne se retrouve plus pour élaborer du grain.

Mais l'étude des racines présente encore d'autres conséquences ; le blé, par exemple, n'aime pas la terre creuse ; il ne faut pas mettre les racines en présence de cavernes conservées entre les mottes de terre par suite d'un labour trop tardif, en sols à éléments très disparates. Plus tard, les racines superficielles se forment, accompagnant le phénomène du tallage au printemps. Il convient donc de se garder de détruire ces racines précieuses qui cheminent sans descendre ; s'il est bon de travailler les blés au printemps, il ne faut pas abuser des hersages, des binages, il convient surtout de les exécuter de bonne heure et avec des instruments appropriés. Aux lames coupantes de la houe qui détruisent des mauvaises herbes, il serait souvent opportun de substituer des dents de herse passant légèrement entre les rayons sans toucher aux pieds de blé. Questions délicates, mais qui montrent une fois de plus la complexité des techniques agricoles. Alors je ne comprends pas pourquoi de pauvres individus faibles d'esprit, mais rééduqués, seraient tout indiqués pour faire de l'agriculture, même au titre de simple manœuvres.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°660 Février 1952 Page 99