Quittons les légumineuses, dont le rôle est si considérable
en agriculture et qui contribuent largement à améliorer gratuitement la
fertilisation des sols. Que se passe-t-il du côté des céréales ?
Muntz et Girard, dans leurs carrés de Vincennes, étudient la
répartition des racines par couches de 25 centimètres ; ils trouvent pour
le blé, par hectare, 921 kilogrammes de 0 à 25 centimètres ; 292, de 25 à
50 ; 248, de 50 à 75 ; 101, de 75 à 1 mètre et encore 110, de 1 mètre
à lm,25. Pour l'orge, les chiffres sont les suivants : 629,
186, 110, 86, 16 kilogrammes ; l'avoine donne respectivement 1.120, 178,
230, 114, 11 kilogrammes.
Ces chiffres démontrent simplement que les racines ne se
contentent pas d'explorer la couche arable, teintée plus ou moins de brun foncé
par l'humus, remuée par les charrues dans les labours ordinaires et entretenue
en matière organique par le fumier ou ses succédanés. Ainsi s'expliquent les
bienfaits que procurent les sols profonds pénétrables. Un sol profond permet
l'emmagasinement de l'eau si le complexe argilo-humique est assez important ;
l'eau est conservée, elle ne s'est pas évaporée après la chute, elle ne
s'infiltre pas d'une manière excessive dans les couches profondes. L'amendement
des sols, la technique appropriée des façons aratoires concourent à développer
cette situation favorable.
Il est remarquable de voir ce qui se passe par suite de la
sécheresse. Nous en avons fait l'expérience sur le plateau de la ferme
extérieure de Grignon en 1921, année où l'été fut extrêmement sec ; malgré
cette absence de pluie, les rendements du blé furent cependant remarquables.
Sur les conseils de mon ancien administrateur délégué, Émile Petit, après la
moisson, je fis creuser une tranchée profonde de 2m,25, sur une
longueur de 2 mètres, perpendiculairement aux rayons de blé, une largeur de 1
mètre. On aurait voulu détacher les racines mises à nu par un jet d'eau et les
peser ; mais le sol était tellement sec et dur qu'il fallut se contenter
d'observations générales. Jusqu'à 0m,90 dans ce limon des plateaux,
une terre friable, de 0m,90 à 1m,40, une couche très
tendre parsemée de concrétions calcaires, ces concrétions représentant assez
bien l'emplacement ancien des racines de luzerne et de chardons ;
au-dessous une sorte de tuf, enfin un terrain très dur : le tuf est
constitué par l'accumulation du carbonate de chaux provenant de la
décalcification superficielle.
Les racines se présentaient ainsi : une masse
extrêmement puissante en surface (les 55 p. 100 relevés par Muntz et
Girard opérant dans une case de végétation en terre rapportée, alors que nous
opérions en plein champ sur terre en place), de 25 à 50 centimètres, des
racines encore nombreuses représentant du cinquième au sixième des précédentes ;
dans la zone très friable un très petit nombre de racines, sur 8 décimètres
carrés nous en avons compté 35 parmi lesquelles 5 atteignant une profondeur de lm,40,
ces très longues racines émettant au niveau du tuf calcaire un grand nombre de
ramifications horizontales terminées par un paquet de chevelu. D'après la
densité de la végétation, chaque pied de blé avait envoyé à la profondeur de 1m,40
une ou deux longues racines grâce auxquelles la plante avait résisté à la
sécheresse. Résultat : 250 pieds au mètre carré, un tallage prodigieux,
1.000 brins au mètre carré, mais seulement 500 épis ayant évolué, le tout
alimenté par 1 ou 2 longues racines par pied.
Dans une autre série de documents établis par M. Aurousseau,
les blés de 1921 étaient bien plus riches en chaux que les blés de 1922, qui ne
furent pas obligés, par suite d'une pluviosité plus importante, d'aller se
ravitailler au niveau du tuf calcaire.
Cet assèchement des couches profondes par les racines
résulte nettement d'un travail récent de M. Morel, maître de conférences à
Grignon. Point de départ des observations, la sécheresse de 1947 ; deux
pièces contiguës sont étudiées dans le secteur de 1921, on constate qu'après
luzerne l'assèchement est marqué intensément en profondeur, peu s'il s'agit de
céréales, et qu'après des années normales (juin 1951) le taux d'humidité n'est
pas reconstitué. Ainsi apparaît une cause possible du non-retour facile des
luzernes dans un milieu naturel insuffisamment humide.
Il ne nous a pas été possible de renouveler les observations
de 1921, mais si, à cette époque, nous avions étudié le comportement racinaire
du blé hâtif inversable, grande variété de l'époque, d'autres recherches ont
été effectuées par le regretté Rives dans les terres du domaine de Monlon près
de Toulouse. L'auteur a examiné comment évoluaient des blés appartenant à des
variétés différentes, et il a constaté des écarts sensibles dans la proportion
de racines et de tiges entre les variétés : somme toute, des blés
explorant le sol et le sous-sol le font avec plus ou moins de facilité, la
pénétration des racines n'est pas la même, les éléments assimilés diffèrent et,
à sol égal, des variétés sont plus accommodantes que d'autres. Il serait donc
opportun, lors de la sélection des variétés, de considérer l'aptitude des
plantes à utiliser tel ou tel milieu. Ainsi ne végètent pas du tout de la même
façon les blés en Afrique du Nord et dans les polders hollandais. Ce que la
plante absorbe pour fabriquer les racines dont elle a un impérieux besoin ne se
retrouve plus pour élaborer du grain.
Mais l'étude des racines présente encore d'autres
conséquences ; le blé, par exemple, n'aime pas la terre creuse ; il
ne faut pas mettre les racines en présence de cavernes conservées entre les
mottes de terre par suite d'un labour trop tardif, en sols à éléments très
disparates. Plus tard, les racines superficielles se forment, accompagnant le
phénomène du tallage au printemps. Il convient donc de se garder de détruire
ces racines précieuses qui cheminent sans descendre ; s'il est bon de
travailler les blés au printemps, il ne faut pas abuser des hersages, des
binages, il convient surtout de les exécuter de bonne heure et avec des
instruments appropriés. Aux lames coupantes de la houe qui détruisent des
mauvaises herbes, il serait souvent opportun de substituer des dents de herse
passant légèrement entre les rayons sans toucher aux pieds de blé. Questions
délicates, mais qui montrent une fois de plus la complexité des techniques
agricoles. Alors je ne comprends pas pourquoi de pauvres individus faibles
d'esprit, mais rééduqués, seraient tout indiqués pour faire de l'agriculture,
même au titre de simple manœuvres.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
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