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Les pies-grièches

Un abonné ayant demandé des renseignements sur les moeurs de la pie-grièche, sa requête m'a été transmise. Comme cet abonné n'a pas précisé quelle est l'espèce au sujet de laquelle il souhaite avoir quelques détails, nous allons passer en revue nos différentes espèces françaises.

Elles sont au nombre de cinq. Les trois plus grandes, la pie-grièche grise, la pie-grièche méridionale et la pie-grièche d'Italie, atteignent plus ou moins la taille d'une grive. La première n'est jamais très commune et la troisième est assez rare. Il ne sera pas question ici de la seconde, cantonnée dans le Midi de l'Europe et de la France et qui ne peut par conséquent intéresser, au point de vue qui le concerne, un habitant de la région parisienne. Les deux dernières, beaucoup plus répandues, sont de taille sensiblement plus petite et ne dépassent guère celle d'une alouette. Ce sont la pie-grièche à tête rousse et la pie-grièche écorcheur.

Toutes ont en commun, d'abord, une certaine manière de caqueter que l'on peut traduire par gaek, gaek, ou graek, graek. Ces cris indiquent sans erreur possible qu'on a affaire à une pie-grièche, bien avant de savoir de laquelle il s'agit ; elles le répètent à satiété tout le long du jour. Leur chant est assez insignifiant et souvent émis à voix basse, mais elles ont une grande facilité pour imiter celui des autres oiseaux, qu'elles entremêlent parfois de façon amusante.

Leur nourriture se compose surtout de coléoptères, de sauterelles, de grillons, de larves de chenilles, et même de courtilières, qu'elles recherchent dans le sol. Elles apprécient aussi les œufs, les oisillons au nid et certains petits vertébrés, lézards, rongeurs, etc. Pour se livrer à cette chasse, elles ont coutume de se percher sur un arbre isolé, un buisson élevé ou la barrière d'un champ, d'où elles observent les alentours, en abaissant et en relevant leur queue, de bas en haut aussi bien que de gauche à droite. Elles ont l'habitude d'empaler, sur de longues épines à proximité de leur nid, le surplus de leur butin, qu'elles oublient parfois et laissent se dessécher au soleil. Elles forment la transition des passereaux aux rapaces. Ainsi que les premiers, elles sont complètement dépourvues de serres. Elles ont des derniers le bec crochu et denté et, au-dessus des narines, des plumes en forme de soies, dirigées en avant. Enfin, toutes aussi agrémentent parfois leurs nids de plantes à petites fleurs et d'herbes aromatiques, ce qui, lorsque c'est le cas, en rend la détermination très facile. Ces nids sont assez grands, construits de racines sèches, de foin, de paille et tapissés intérieurement de poils, de laine et de plumes.

La pie-grièche grise (Lanius excubitor).

— C'est la plus grande de la famille ; elle mesure 27 centimètres de long et 36 d'envergure. Toute la partie supérieure de son corps est gris cendré clair avec les épaules, la poitrine et le ventre blancs. Une large bande noire, partant du bec, passe sur l'œil et la joue, surmontée d'un léger sourcil blanc. Les ailes sont noires avec un double miroir blanc, la queue noire bordée de blanc. Le bec est noir comme les soies qui couvrent ses narines. La femelle est plus petite, avec un plumage plus foncé et quelquefois le dessous du corps à taches ondulées brunes, plus ou moins visibles. Chez les jeunes, le gris du dos est moins pur et leurs couleurs noires se rapprochent du brun. On trouve dans toute la France cette pie-grièche, qui n'est cependant abondante nulle part. Il semble que les auteurs qui se sont occupés d'elle la considèrent comme sédentaire, ou tout au plus erratique. Elle fréquente les petits bois, la lisière des forêts ; les grands arbres du bord des routes — surtout les peupliers — et ceux isolés au milieu des prairies et des champs, dans lesquels elle niche volontiers, ainsi que les vieux vergers aux abords des agglomérations. C'est pourtant un oiseau défiant qui redoute la présence de l'homme. Son nid renferme d'ordinaire de quatre à sept œufs, peu luisants, d'un blanc jaunâtre ou grisâtre, quelquefois verdâtre, avec de nombreuses taches brunes, violacées ou ocrées. Son cri d'appel, touhu, la distingue des autres espèces.

La pie-grièche d'Italie (Lanius minor).

— Elle est encore plus rare. C'est surtout un oiseau du sud-est de l'Europe, qui ne niche en France que dans certaines localités. Elle n'arrive qu'au commencement de mai, pour repartir vers la fin d'août. Elle ressemble beaucoup à la pie-grièche grise, avec pourtant les ailes plus longues et plus pointues, ce qui, au dire des auteurs, révèle l'oiseau migrateur. Elle est aussi plus petite et ne mesure que 21 centimètres de long et 36-38 d'envergure à cause de ses longues ailes. On l'appelle quelquefois pie-grièche à front noir, car une large bande de cette couleur lui couvre tout le front, traverse les yeux et s'étend jusque sur les côtés du cou. Le dessus du corps est gris bleuâtre. Les ailes sont noires avec un petit miroir. La queue noire avec des rectrices blanches. Le dessous du corps blanc, passant au rose sur les flancs. Le bec et les pieds sont noirs. La femelle a le noir du front moins large, celui de la queue plus étendu et le rose de la poitrine plus pâle. Les jeunes n'ont pas de noir au front, le dessous du corps est plus terne et le ventre blanc jaunâtre ondé transversalement de gris foncé. Elle habite surtout les plaines et niche très haut dans la cime des arbres, chênes, hêtres, peupliers, noyers ... Ses œufs sont au nombre de quatre à six à fond verdâtre, grisâtre ou jaunâtre, avec des taches gris violacé ou brun verdâtre généralement en couronne au gros bout.

Les deux espèces suivantes sont de beaucoup les plus communes, principalement la dernière.

La pie-grièche à tête rousse (Lanius senator).

— Plus simplement appelée pie-grièche rousse, elle a 19 centimètres de long et 30 d'envergure. Son plumage est aussi élégant qu'original. Le mâle a le dos noir, le ventre, les épaules et le croupion blancs, un miroir blanc sur l'aile et sur la tête une belle calotte roux vif. La femelle est de teinte plus terne ; les jeunes sont d'un gris brun couvert de taches noires, les ailes et la queue brunes. Avec cette espèce, nous arrivons aux pies-grièches qui préfèrent comme demeures les grandes haies aux arbres élevés, quoiqu'elle niche fréquemment aussi dans les vergers, sur les arbres fruitiers. Elle arrive en avril et repart en août pour hiverner dans le Centre de l'Afrique. Ses œufs sont blanc jaunâtre ou grisâtre, avec des taches et des points brun violacé.

La pie-grièche écorcheur (Lanius collurio).

— Voici enfin la plus commune de toutes ; dans ma région, sur vingt pies-grièches que je peux rencontrer, il y a dix-neuf écorcheurs. La pie-grièche rousse fait la vingtième. Quant aux autres, sans parler de la rarissime pie-grièche d'Italie, il faut bien presque arriver à la centaine pour trouver dans le nombre une ou deux pies-grièches grises. C'est l'écorcheur qu'on aperçoit tout l'été perché sur les buissons, seul au printemps, quand la femelle couve, ou en famille, au milieu de la belle saison et jusqu'au commencement de septembre, révélant sa présence à la moindre alerte par des gaek, gaek indéfiniment répétés. C'est cette même pie-grièche encore qui, une fois les foins fauchés, aime à se tenir sur les barrières des champs, les haies basses, les piquets des clôtures. Levant et abaissant tour à tour la queue, comme un traquet, elle reste là des heures entières, surveillant des proies invisibles et se précipitant sur elles d'un vol brusque, pour revenir à son point de départ. La pie-grièche écorcheur à 19 centimètres de long et 31 d'envergure. Sa tête et sa nuque sont gris cendré, avec une raie noire sur les yeux ; le dos couleur rouille foncé, les ailes de la même couleur bordées de noir ; les plumes de la queue noires avec les pointes blanches ; le ventre blanc, légèrement glacé de rose ; le bec et les pieds noirs. La femelle a le dos gris roux, le ventre blanchâtre ondé de brun. Les jeunes se distinguent de la femelle par des taches claires sur les plumes du dos. Cet oiseau est surtout un nicheur de haies, qui préfère à tous les autres les grands buissons épineux. Les œufs, au nombre de cinq ou six, sont de couleurs très variables, jaunâtres, blanc jaunâtre, jaune verdâtre, et couverts surtout au gros bout de taches gris cendré, brun-olive ou brun roux. L'écorcheur arrive dans nos régions au début de mai, pour repartir fin août ou commencement de septembre, avec les autres espèces de pies-grièches migratrices.

Pierrette MAGNE.

Le Chasseur Français N°661 Mars 1952 Page 132