Au cours du mois de juillet, mettant à profit un des rares
jours sans pluie, je voulus tenter ma chance sur les bords du Palluel, notre
grand collecteur communal.
Tout de suite le soleil, heureux de me témoigner sa
présence, darda sur moi des rayons abusifs ; je péchais sans enthousiasme,
gardant avec difficulté un équilibre instable sur le flanc d'un talus de
gravier cru à peu près vertical. Rôti, sucé par des moustiques féroces, hanté
par la terreur d'un bain redoutable, je marchais, si l'on peut dire, la jambe
droite tendue et l'autre douloureusement ployée en un raccourci obligatoire.
Ce petit supplice supplémentaire, bien connu, quoique au « moderato »,
du monsieur qui, pris dans une foule compacte, est obligé de « circuler »
un pied dans la rigole et l'autre sur le trottoir, ne pouvait se terminer
autrement que par une crampe de toute beauté. C'est l'instant précis que mit à
profit une grosse perche mal ferrée pour me lâcher au contact de l'épuisette ;
un juron, trop vigoureux, je m'en excuse, me fit asseoir par répercussion
presque au ras de l'eau sur une marche providentielle suffisante pour poser un
pied, mais pas une « partie double ». Le « plouf ! »
m'avait été épargné ... et à mon âge on ne remonte pas toujours.
Comme j'y pensais, sans plus, mon attention fut captivée par
les fantaisies hors nature d'un tout petit poisson qu'à son reflet nacré je
reconnus être un goujon. D'une plaisante cabriole, il bondissait hors de l'eau,
se roulait dix ou quinze secondes dans le sable chaud, puis retournait faire
trempette, à ma profonde stupéfaction. À ce jeu, plus de vingt fois répété, il
éprouvait un plaisir évident, recherché, j'en suis convaincu, avec autant
d'astuce qu'une coquette de plage, mais beaucoup plus de sincérité. Il restait
ainsi au soleil aussi longtemps que le lui permettait la fraîcheur de ses
branchies.
Mais là ne devait point s'arrêter cette extraordinaire
fantaisie. Je le vis très distinctement, je l'affirme, à plusieurs reprises,
cueillir sur le sable et jusque sous la semelle de mes bottes, soit à vingt
centimètres de la nappe, de minuscules proies invisibles ; il le fit aussi
aisément qu'aurait pu le faire un animal amphibie, une grenouille, par exemple,
quoique, naturellement, dans un espace de temps limité à dix ou quinze secondes ;
j'aurais pu le prendre aisément à la main, « au sec », mais pour quoi
faire, grand Dieu ! quand je profitais si largement d'une leçon de choses
gratuite, autant qu'inestimable.
Ce manège de sorties et plongées dura douze minutes, montre
en main, sous un soleil brûlant. (En toutes circonstances exceptionnelles,
j'aime à m'entourer du maximum de précision possible.) Enfin, le petit poisson
regagna définitivement son élément, mais je pus le voir encore quelques
instants véroter tranquillement à fleur d'eau, contre la berge, jusqu'au moment
où il disparut dans le fouillis de la végétation.
J'ai observé certes, très souvent, des poissons se chauffant
au soleil les dorsales, la moitié du corps même émergeant, mais je n'avais
encore jamais vu de poisson d'eau douce se prélassant hors de l'eau. L'anguille
seule, à ma connaissance, du moins on le dit, peut au besoin, pour passer d'un
étang à l'autre, traverser une prairie lorsqu'elle est fortement mouillée par
la pluie ou la rosée.
Je serais heureux d'apprendre par quelque confrère que cette
anomalie a déjà été remarquée.
J. LEFRANÇOIS.
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